58 DOUZE ANS DE SÉJOUR
comme monnaie, et' se détaille, par huitièmes. Celles
de qualité supérieure sont d’un coton blanc, choisi,
à larges liteaux et se rapprochant ou dépassant
un peu les proportions précitées ; leur prix
varie entre 2 et 5 talari ; les plus belles rappellent
au toucher le moelleux du châle de cachemire.
Il y a aussi la toge de. cérémonie ou toge d’honneur,
ordinairement d’un-tissu plus léger, plus fin;
le liteau est en soie, tissé en losange ou en damier.
Il y a en outre plusieurs toges différentes - entre
elles par leurs dimensions, depuis la toge ample de
la province du Ottawa et de quelques provinces occupées
par les Gfallas ou Ilmormas, jusqu’à la toge à deux
lés faite d’une espèce de madapolam de fabriqne
américaine ou indigène; cette toge, toujours portée
en simple, est en usage dans plusieurs districts
kouallas voisins des frontières ; les soldats la portent
aussi quelquefois aux jours de combat ou de
parade.
La toge à trois lés, de fabrique indigène, se
porte toujours en double, ce qui la réduit à 2 m. 40
de haut sur 2 m. 80 de large; elle s’ajuste de beaucoup
de façons, mais sans agrafe, broche ni attache,
et couvre ordinairement depuis le cou jusqu’aux
chevilles. Malgré l’adhérence et la souplesse de son
tissu, elle exige un art ou une habitude telle, qu’il
est très-rare qu’un étranger parvienne à s’en vêtir
convenablement, nec ftuat nec stràngulet, selon l’expression
de Quintilien, ce qui provoque chez les indigènes
un sourire de dédain.
L’Européen, en arrivant dans le pays, est frappé
de la variété des costumes; il sent que les vêtements
sont à peu près les mêmes, mais 11 éprouve
de l’embarras à discerner ca qui les différencie. Cela
provient de ce qu’il arrive de pays, où la forme
des vêtements plus ou moins amples est arrêtée à
demeure par l’aiguille et les ciseaux, tandis qu’en
Ethiopie, à l’exception de la ceinture et de la culotte,
les ajustements divers sont composés de pièces
d’étoffes rectangulaires, différentes de dimension seulement
et offrant tous les aspects variés que permet
la draperie. La confusion qui, à première vue, résulte
de ces ajustements, donnerait peut-être la
raison de l’embarras des antiquaires et de leur
désaccord fréquent, touchant les. costumes de l’antiquité
grecque et romaine. Je ne sais si je m’abuse,
mais mon séjour prolonge au milieu de peuples
dont la manière de se vêtir offre des ressemblances
frappantes avec celles des Grecs et des Romains,
et l’usage que j’ai fait moi-même de leurs vêtements,
me donnént à croire que beaucoup de leurs
noms signifiaient, non des vêtements différents,
mais différentes façons de draper le même vêtement
(1).
Au besoin, les Éthiopiens font de leur toge un tapis,
une courte-pointe, une tenture ou- une portière,
comme le rapporte, pour les Grecs, Athénée; de même
qu’Agamemnon, ils s’en servent comme de signal;
elle leur sert à recueillir l’enfant à sa naissance; ils
n’ont d’autre couverture durant leur sommeil et un
pan de toge leur sert de linceul, comme il est dit dans
Homère [et Xénophon. Pour exprimer l’accueil le
plus sincère et le plus dévoué, ils ont des expressions
qui signifient étendre la toge le long du chemin sous
les pas de celui qu’ils veulent honorer, rappelant ainsi
les récits évangéliques de l’entrée du Sauveur dans
(1) Voir la note 1 à la fin du volume.