Birro survint ; il était seul et il se mit à galoper
en rond devant nous, en criant :
— .Birro! Birro! l’esclave de Guoscho ! Birro, le
père de Dempto ! de l’isabelle !
Le teint assombri, .les lèvres desséchées, la voix
cassée, il paraissait harassé, et il avait l’air d’un
criminel. Son bouclier pendait à l’arçon ; sa lourde
javeline était tortuée et sanglante, et sa ceinture
également souillée de sang; sa cotte d’armes de
mousseline blanche, toute déchirée, se collait en
pandeloques sur les flancs de Dempto couvert de
boue et d’écume. Comme Monseigneur ne ralentissait
pas son allure, Birro- lui dit précipitamment, en
guise de thème de guerre :
*— Monseigneur, voilà comme tes ennemis sont
traités par moi, Birro, ton fils, ton soldat, ton bras,
ta javeline! Rappelle-toi que tant que la poussière
n’aura pas recouvert mon corps, tant que Birro sera
au soleil, il en sera, comme tu vois, de tous ceux
qui voudront s’élever contre mon père,
Puis, décrochant son bouclier et s’inclinant jùs-
qu’à l’arçon :
— Monseigneur est le bien venu à la victoire, dit-il,
— Amen! Heureusement, Dieu l’a protégé.
En nous quittant, Birro reconnaissant le Chalaka
Tedjaubasse qui nous suivait péniblement à distance,
'lui cria :
— Ah ! roncin, toi aussi, tu as voulu trahir tes
maîtres !
J’eus à peine le temps de prévenir Monseigneur;
en deux bonds, il fut auprès de son fils, qui, le bras
levé, allait fendre la tête de Tedjaubasse.
— Par ma mort! Birro, laisse donc. Tuer un
vieillard! •
Et Birro s’en.alla grommelant :
— Voilà bien mon père 1 Indulger un vieux fripier
d’intrigues comme ça!
Le Dedjazmatch fit monter le Chalaka sur un des
chevaux d’escorte, et le pauvre homme, dont la contenance,
dans cette extrémité, avait été très-digne, put
se tenir à portée de son protecteur.
Cependant, les derniers tumultes qui accompagnent
l’agonie d’une bataille s’apaisaient. Nos
horfimes, chargés de butin, descendaient du plateau,
poussant devant eux les servantes et les serviteurs de
l’ennemi, et l’on emportait. nos blessés et nos morts
dans la direction du camp qui nous attendait dans
la plaine subjacente. En traversant un champ d’orge,
nous vîmes sur les épis foulés un blessé couché au
milieu de cadavres.
C’était un bel homme dans la force de l’âge;
une blessure à la poitrine et une affreuse mutilation
le retenaient à terre. Il se releva avec effort sur son
coude, et s’écria : ,
— Monseigneur! Que Monseigneur ne passe pas
sans s’attrister sur moi! Je suis un de ses hommes,
un de ses bons liges. Qu’il voie plutôt : j’ai donné
mon corps pour lui, et mon âme s’en va. Que Monseigneur
entende ce que j’ai a dire, au nom de saint
Michel et de Notre-Dame!
— Il n’a donp personne pour le relever! dit le
Dedjazmatch.
Et il continua son chemin.
Le mourant voyant son seigneur passer sansl’é-
couter, nous enveloppa tous d’un regard effaré; ses
lèvres remuèrent encore, mais on ne l’entendit
plus.D
es nuages noirs s’entassaient dans le ciel. En