le grief; puis il reprenait son chemin aux cris de
joie et aux bénédictions verbeuses de son vassal
consolé.
Des troupes de cavaliers ou de fantassins se joignaient
à nous le long de la route, et notre camp
grossissait d’étape en étape. Beaucoup de petits chefs
nous attendaient sur le chemin avec leurs soldats, afin
que le Prince pût juger par ses yeux du nombre de
vassaux qu’ils lui amenaient. Lés seigneurs de marque
rejoignaient, suivis seulement d’une faible escorte, et
leurs troupes s’évertuaient à former un campement,
le plus grand possible; on rapportait au Dedjazmatch
que depuis l’arrivée de tel ou tel, l’armée s’étendait à
perte de vue. Parfois, la nuit, les hyènes faisaient tout à
coup silence; le sol résonnait sourdement, et l’on entendait
dans le lointain un choeur militaire qui grandissait
en se rapprochant : c’était encore quelque
bande qui venait rejoindre. Le brillant Ymer-Sahalou
nous arriva un matin à la tête d’environ huit cents cavaliers;
nous venions de nous mettre en route; il devançait
ses hommes de pied et ses bagages. Le lendemain,
pendant la marche également, nous vîmes une
troupe d’environ douze cents lances venir rapidement
vers nous ; elle s’ouvrit des deux côtés de notre chemin,
et le Blata-Filfilo, à la tête d’une quarantaine de cavaliers
aux boucliers étincelants, s’avança au galpp. Il
montait sans jactance un magnifique et fougueux cheval
noir; une pèlerine de guerre remplaçait sa toge, et,
en signe d’allégeance, il portait au bras son bouclier
rutilant de vermeil. A vingt pas du Prince, il mit prestement
pied à terre et s’inclina, ses hommes restant
derrière et en selle. Par déférence pour le rang et l’âge
de ce vassal, le Dedjazmatch arrêta sa mule et dit selon
l’usage :
— Par Notre Dame I que mon frère se remette en
selle.
Vingt voix firent écho, et un suivant jeta une toge sur
les épaules du Blata Filfilo, qui enfourcha sa mule et
chemina à côté du Prince.
Parfois, nous restions quelques jours au même
endroit. Toute apparence de mystère cessa enfin : un
ban invita les volontaires, tant étrangers que sujets,
soldats ou paysans, à venir concourir à une expédition
contre les Gallas, et des auxiliaires, la plupart paysans
du G-ojam, affluèrent, malgré la saison avancée qui
faisait appréhender que la crue prochaine.de l’Ab-
baïe ne rendît notre retour périlleux. De leur côté,
les Gallas, instruits de nos projets, se préparaient
a la résistance. Afin de leur donner le change sur
le point où nous traverserions l’Abbaïe, l’armée
exécuta plusieurs mouvements contraires, tantôt dans
la direction du Gouderou, tantôt dans celle du
Liben; ensuite, revenant sur nos pas, nous campâmes
en face du Horro, puis dans le centre du Gojam.
Là, le bruit se répandit que notre campagne contre
les Gallas n’était que simulée ; que par suite d’une
mésintelligence entre le Dedjadj Guoscho et le Ras
Ali, nous allions être obligés de défendre nos frontières
du côté du Bégamdir. Quelques districts gallas
ajoutèrent foi à cette nouvelle; d’autres demandèrent
des sauf-conduits, et députèrent auprès du.
Dedjazmatch, pour lui offrir leur soumission, lui
promettre des tributs et se lé concilier par des
présents consistant en chevaux, bétail, grains d’or,
toges grossières, et quantité de miel et de beurre.
Le Prince recevait de toutes mains et faisait même
visage à tous ces envoyés, qu’il congédiait avec de
vagues assurances. Un jour que nous avions reçu une
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