Tout ce que je pus apprendre dans la suite sur lè
compte de ce solitaire, qui s’était si vivement intéressé
à moi, fut qu’on le nommait en religion Abba
(père) Waldé Mariam, et qu’il mourut, comme il le
désirait, en arrivant à Jérusalem.
La semaine suivante, un des pèlerins revint de la
côte mer demander, de la part d’Abba Waldé Mariam
et de ses compagnons, d’entrer dans une affaire qui
les préoccupait vivement. Parmi les nombreux esclaves
que la caravane conduisait à Moussawa, ils
avaient découvert une jeune chrétienne volée en Go-
jam et vendue à un trafiquant musulman qui, pour la
soustraire aux recherches, l’avait fait voyager de nuit
jusqu’en Tegraïe. A Moussawa, les pèlerins, pensant
que le meilleur fruit de leur pèlerinage à Jérusalem
serait de sauver une âme en voie de perdition, s’étaient
cotisés ' avec les trafiquants chrétiens pour
racheter l’esclave, et ils offraient tout ce qu’ils possédaient.
Mais le musulman, encouragé par ses coreligionnaires,
demeurait inflexible. Je descendis à Moussawa,
où, grâce à l’intervention secrète du gouverneur,
je contraignis le musulman à lâcher sa proie, et
Kassa, le plus riche trafiquant chrétien de Koua-
rata, sur la frontière du Gojam, fut chargé de reconduire
la jeune fille à sa famille. Elle était fort jolie :
il s’en éprit et il en fit sa femme.
De retour à Maharessate, je reçus mes messagers
venant de Gondar avec mes effets. L’excellent Lik
Atskou déplorait vivement ma "disgrâce chez Oubié:
« Résigne-toi, Dieu est le plus fort, me faisait-il dire,
« et il ne se sert peut-être de cet Oubié que pour te
« détourner de ce malheureux pays, où les caprices
<c de nos soudards se sont substitués à la loi et aux
« convenances, et où tu aurais fini peut-être par
<r succomber. Tout arrive par la permission de
« Dieu; si nous ne devons plus nous revoir sur terre,
« je t’attendrai là-haut, »
Bientôt une lettpe de mon frère, datée d’Aden,
m’apprit qu’il était encore souffrant et qu’il m’attendait
avec impatience. Rien ne me retenait plus
désormais; je quittai Maharessate pour Moussawa, où
l’on se trouvait au plus fort de l’été. Les chaleurs
étant accablantes, je dus aviser immédiatement à y
soustraire mon cheval, sujet d’envie de la part des principaux
officiers d’Oubié et cause d’inquiétude continuelle
pour mes gens, depuis que j’étais séparé des
Dedjazmatchs Guoscho et Birro; car en quittant les
États de ees Polémarques, nous étions entrés dans la
catégorie de soldats sans maître, sans protecteur régulier
par conséquent, et nous ne dépendions plus
que de notre adresse à nous faire bien venir.ou à
nous faire respecter. Mais il restait à ce cheval bien
d’autres aventures à courir. Je le confiai à Jean,
auquel l’air et le régime natals devenaient de plus en
plus nécessaires, et, comme mon frère m’en exprimait
le désir, je le chargeai d’offrir le cheval en son
nom à Mgr le prince de Joinville, comme témoignage
de sa reconnaissance pour l’attention que ce prince
avait bien voulu prêter à ses projets de voyages scientifiques.
Ce cheval arriva heureusement, avec son
conducteur, à Djeddah, où le consul de France l’embarqua
pour Kouçayr. Il fit naufrage sur la côte
d’Égypte, se sauva à la nage avec son Basque, et,
après plusieurs incidents peu ordinaires, il arriva à
Toulon, où, d’après la volonté de son illustre destinataire,
il fut remis à Mgr le duc d’Aumale, qui partait
pour l’Algérie.
Il me fallut attendre un bâtiment à destination