provisés entre citoyens, la noblesse territoriale, représentaient
autant de juridictions, qui dispensaient
ordinairement d’avoir recours au. tribunal suprême
des Atsés, et, quoique vaincue, après une lutte contre
eux, plusieurs fois séculaire, pour la conservation
de ce droit, la nation n’a jamais perdu complètement
l’habitude de l’exercer. Les Polémarques, qui avaient
tout fait pour accaparer 'ce droit au bénéfice des Empereurs,
eussent voulu le garder pour eux-mêmes, lorsque
l’Empire tomba; mais, à cause de la nature précaire
de leur autorité, ils n’osèrent pas affronter en ce point
jusqu’au bout le sentiment intime de leurs sujets; les
circonstances leur vinrent bientôt en aide.
Les communes reprirent leur juridiction primitive
; mais lorsque des conflits s’élevèrent entre elles,
comme il ne se trouvait plus aucun pouvoir judiciaire
intermédiaire entre elles et le pouvoir central
représenté désormais par les Dedjazmatchs, ou autres
Polémarques, héritiers de fait, et chacun dans ses
Etats, du pouvoir impérial, elles comprirent alors la
faute qu’elles avaient commise en laissant déraciner
ce qui restait de la noblesse territoriale, et elles
durent subir en tout la juridiction des Polémarques.
Ceux-ci empiétèrent de plus en plus, jusqu’à absorber
toutes les causes entre citoyens, en répartissant
toutes les communes de leurs États en fiefs qu’ils
distribuaient annuellement à leurs hommes d’armes.
Chaque Dedjazmatch, depuis ce temps, entretient
quelques hommes de loi, pour interpréter au besoin
le texte du code de Justinien; mais, si ce n’est pour
les causes criminelles, il est rare qu’on y ait recours,
ce recours dépendant des parties qui se réclament
presque toujours des lois coutumières. Les
Polémarques et leurs délégués jugent d’après elles,
mais, à l’exemple des hommes de loi des Empereurs,
ils prélèvent des frais de justice, qui ruinent les
plaideurs et constituent leurs principaux bénéfices.
Dans les causes civiles, - ces frais montent souvent
jusqu’à la moitié des valeurs en litige. Depuis que
la justice coutumière a cessé d’être gratuite, sa vénalité
est devenue notoire. Néanmoins ces tribunaux
dégradés subissent encore la pression de la conscience
publique, qui leur apparaît comme un fantôme
et donne encore assez souvent le spectacle
consolant des embarras de la force injuste aux prises
avec le droit et la faiblesse qu’elle opprime. Il s’est
bien trouvé, tantôt dans une province, tantôt dans une
autre, quelques Polémarques qui se sont efforcés de relever
l’autorité de la justice et de la morale. On cite
parmi eux, le Ras Woldé Sillassé, qui gouverna le Te-
" graïe pendant plus de vingt ans; les Ras Haïlo et
Méred, Gouverneurs du Gojam et du Damote; le Ded-
jadj Sabagadis, en Tegraïe; le Ras Haïlo, dans le Sa-
men, et plusieurs Polémarques de moindre importance
dont la mémoire est bénie. L’action de ces hommes de
bien, quoique bornée à l’étendue de leurs domaines,
a exercé néanmoins sur le reste du pays une influence
salutaire. Malheureusement, dans la longue lutte que
le droit indigène avait soutenue contre le code byzantin,
il avait subi des altérations dans ses parties
essentielles, celles qui règlent la famille, la propriété
et le mariage : la famille est restée démantelée; le
mariage et la propriété n’ont plus rien de stable, et
n’était l’esprit chrétien planant au-dessus de cette
nation désorientée, et qui, bien qu’altéré, l’illumine
encore quelquefois, elle aurait atteint depuis longtemps
le dernier degré de la déchéance et de l’abaissement.
Gomme dans toute société anarchique, la car