approchant du camp, nous rencontrâmes des troupes
de femmes montant, au champ de bataille pour s’enquérir
de ceux qui leur étaient chers. A la vue du
Prince, elles poussaient des cris de joie et agitaient
les pans de leurs toges, rappelant l’orarium ou mouchoir
que les Romaines agitaient en signe d’applaudissements;
elles'nous entouraient, embrassaient nos
genoux ou enlaçaient de leurs bras le cou de nos
Chevaux.
Notre camp n’était encore indiqué que par les
bagages; la tente du Prince, la seule dressée, fut
bientôt envahie par des hommes de tous les rangs,
venus pour partager la joie de leur maître. Nous
apprîmes qu’aucun de nos hommes de marque n’était
mort et que nos pertes étaient insignifiantes. Beaucoup
de chefs ennemis étaient prisonniers, le Lidj
Mokouannen, qui commandait l’aile gauche ennemie,
avait pu gagner le large, mais il était poursuivi de
près par les cavaliers de Birro. Rien ne troublait
donc l’allégresse de notre victoire.
Bientôt éclata un violent o r a g e ; les coups de
tonnerre se succédaient rapidement, et la pluie
transperça latente. Un des assistants déploya sa toge,
et quatre soldats la tinrent comme, un tendelet au
dessus du Prince. Le Lidj lima fut amené devant
n o u s ‘ , i . . — Dieu t’a heureusement sauvé, mon fils, lui dit
le Dedjazmatch. Il le baisa et le fit j asseoir auprès
de lui. Ce pauvre jeune homme était encore- tout
interdit et palpitant. Monseigneur lui dit en me
désignant :
C’est Mikaël ; connais-le. C’est mon fils et mon
meilleur ami; tu en feras ton ami aussi. |
Mais comme le prisonnier ne cessait de me considérer
avec une aversion manifeste, je sortis pour
le mettre à son aise et aussi pour revoir mes amis.
La boue étant intolérable, j’allai m’asseoir sur mes
bagages. D,e mes cinq soldats, trois ayant ete heureux
à la bataille, il fallut écouter successivement
leurs thèmes de guerre, Ils me dirent qu’ils avaient
fait merveille et qu’ils accompliraient ries prodiges
à la première occasion. Il est d’usage qu’à tous les
degrés de la hiérarchie, un lige fasse hommage à
son seigneur de ses succès militaires. J’eus ainsi la
gloire de confirmer mes trois hommes dans la possession
de quelques loques, boucliers, sabres et javelines
pris à l’ennemi. Sur leur ordre, les prisonniers
qu’ils avaient faits s’inclinèrent en grelottant, et
selon l’usage je dis : « Aïzo jg aux uns et aux autres.
Ce mot dont l’emploi est multiple, signifiait pour
les prisonniers qu’ils étaient désormais en sûreté, et
pour leurs loquaces capteurs que je les encourageais
à continuer leurs .prouesses. Il fallut ensuite écoutei
thème de guerre sur thème de guerre, que des clients,
des amis ou ceux, qui cherchaient à le devenir venaient
débiter devant- moi, en me faisant aussi hommage
de leurs succès : démarche regardée comme
un honneur rendu à celui qu’on traite ainsi à 1 égal
de son propre. Seigneur. • Un de mes hommes prétendait
avoir pris à l’aile gauche trois fusiliers, mais
Ymer-Sahalou les lui avait enlevés, disait-il. De
pareils faits se présentent fréquemment : les armes
à feu prises à l’ennemi revenant de droit au Prince,
les chefs surtout mettent de l’émulation à lui en
rapporter le plus possible. J’allai donc à la recherche
d’Ymer. Il était, lui aussi, assis sur des paquets, en
plein air, se réjouissant au milieu de son monde ; il
avait fait à lui seul plus de deux cents prisonniers. Je
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