— Sois le bienvenu chez moi, me dit le Dedjaz-
match. On assure que les hommes de vos pays sont
curieux de visiter les contrées étrangères ; mais quelle
que soit votre curiosité, elte ne saurait surpasser celle
que nous éprouvons en voyant chez nous pour la première
fois un enfant de cette Jérusalem, où Notre-
Seigneur Jésus-Christ a touché terre. Aussi, tu excuseras
l’impatiente curiosité; de mes soldats, qui n’a rien
de malveillant pour toi. Lorsque ce printemps, tu
nous as refusé de venir en Gojam, ton refus nous eût
été pénible, si nous t’eussions connu comme aujourd’hui;
c’est donc avec plaisir que nous t’accueillons,
rendant grâces à Dieu d’avoir changé le cours de tes
projets.
Je crus devoir expliquer au Prince ce qui m’avait
empêché de me rendre à sa première invitation. *
— Notre ami, le Lik Atskou, nous a appris qu’effectivement
tu es préoccupé du départ de la caravane
pour l’Innarya.
Il se fit ensuite un silence de plusieurs minutes, un
de ces silences durant lesquels il semble que les sympathies
ou les répugnances éclosent, se mesurent et
s’échangent.
Le Prince fit mander les deux principaux dignitaires
de son armée, et nous passâmes dans la grande tente,
où il s’installa sur un alga élevé recouvert d’un tapis
turc. Le Dedjadj Guoscho, âgé d’environ cinquante ans,
était grand et de belle prestance, gros sans obésité ; ■
mais la partie inférieure de son corps paraissait grêle
par rapport à son buste puissant. Il avait les attaches
fines et la main d’une élégance féminine, le teint brun
cuivré, la tête volumineuse, gracieusement posée sur
un cou long et d’une beauté de contour rare chez un
homme, le front large, haut et bombé, les tempes délicatement
dessinées, le nez petit, aux ailes mobiles, et
de grands yeux à fleur de tête. Un léger duvet ombrait
sa lèvre supérieure; ses dents étaient petites, nacrées,
et son menton court, fin, à fossette ; ses joues plates,
larges, dénuées de barbe.
Son port de tête et ses moindres mouvements
étaient doucement dominateurs; son regard réservé
laissait deviner une certaine complaisance pour, lui-
même. Quoique sa physionomie intelligente fût voilée
de cette impassibilité qui convient à l’exercice d’un
haut pouvoir, on y découvrait une grande bonté,
timide plutôt qu’active, de la finesse, de l’enjouement,
un manque de décision joint à l’entêtement, l’esprit
d’aventures, l’intrépidité et ce doute mélancolique qui
gagne souvent ceux qui ont la responsabilité des événements
et des hommes.
Sa toge, drapée avec soin, laissait entrevoir trois
longs colliers composés de périaptes ou talismans recouverts
en maroquin rouge ou en vermeil, entremêlés
de grains de corail, d’ambre ou de verroterie rare. Il
portait au petit doigt une bague en or, formée de trois
anneaux engagés les uns dans les autres, et ornés
chacun d’une émeraude ; ce bijou antique, admirablement
ouvragé, provenait de l’Inde. Une longue épingle
d’or, terminée par une boule en filigrane, était passée
dans sa chevelure noire, touffue, ondoyante et ramenée
en corymbe ; en sa qualité de Waïzoro, il portait aux
chevilles des périscélides composés de petits cônes d’or
enfilés.
Il ne fut pas plutôt installé sur sa couche, que
nous vîmes entrer les deux personnages mandés.
Le premier s’avança en se découvrant respectueu sement
la poitrine, s’inclina profondément et s’assit