Bientôt, le soleil devient incommode; chacun rentre
chez soi pour la grande affaire du déjeuner, et
Gondar redevient silencieuse jusqu’à deux ou trois
heures de l’après-midi.
Les Éthiopiens observent plusieurs jeûnes longs
et rigoureux, indépendamment de celui du mercredi
et du vendredi. En temps de jeûne, les offices ne
commencent pas avant deux ou trois heures de
1 après-midi, et les habitants attendent, pour faire
l’unique repas de la journée, que les carillons aient
annoncé la communion.
Ne connaissant ni sablier, ni clepsydre, ni horloge
d’aucune sorte, ils divisent la journée en six
parties qui- ont leurs dénominations consacrées,
d’après la hauteur du soleil sur l’horizon. Le clergé
et les hommes instruits usent d’une chrônométrie un
peu moins grossière : le dos au soleil, ils mesurent,
par semelles et demi-semelles, la longueur de leur
ombre. La durée quotidienne de chacun de leurs jeûnes
équivaut a tel nombre de semelles et demi—semelles;
quelques-uns se prolongent jusque peu avant
le coucher du soleil.
Pendant les longues matinées du mercredi et du
vendredi, Gondar présente sa physionomie la plus
animee. Les églises restent ouvertes : on y voit, au
milieu de désoeuvrés et de chercheurs d’aventures,
des vieillards, des femmes, des soldats et des clercs
faisant leurs méditations, leurs prières ou causant paisiblement
à l’ombre des arbres du pourtour. Vers huit
heures, les habitants se portent aux divers plaids de
1 Atsé, de 1 Itchagué, de l’Aboune, du Négadras, du
Kantiba ou des prudhommes : les délibérations de quelque
importance et les procès étant remis de préférence
à ces jours. Comme les maisons n’offrent que
très-peu de salles spacieuses, la plupart du temps,
ces plaids se tiennent en plein air; l’été, juges et
assistants sont ordinairement munis de parasols.
Ceux que les incidents-judiciaires intéressent moins,
vont badauder chez les ouvriers en réputation, où
se réunissent quelques nouvellistes, des soldats et
des étrangers. Les réunions choisies se tiennent
chez l’orfèvre, le sellier et quelquefois chez le forgeron;
la préoccupation de des ouvriers est de se défendre
des importuns, mais ils n’y réussissent guère.
L’un a quelque chose à faire à sa bague, à l’ornement
de son bouclier, à son amulette, ou bien deux
points seulement, dit-il, à sa selle; l’autre, un ardillon
ou une javeline à redresser ou quelque brèche
à faire disparaître de son sabre ou de sa faucille ; si
l’on veut seulement lui confier un outil, il le fera
lui-même. Les ouvriers cèdent à ces instances et
perdent ainsi leur temps, sans autre bénéfice que
l’espoir de s’achalander par ces complaisances, tout
en égayant leur travail des conversations qui s’établissent
chez eux. Les hommes les plus considérables
ne dédaignent pas de se rendre à ces cercles où se
répètent les bons mots, les anecdotes, les scandales,
les récits des derniers événements; où l’on fait la
description des modes nouvelles, l’énumération des
qualités et des défauts de tel cheval, de telle femme ;
où l’on discute les héros d’amour, ceux de guerre et
parfois même des points de théologie, pendant que les
plus affamés s’assoupissent sur place ou vont dormir
chez eux en attendant l’heure de rompre le jeûne.
A mesure que l’ombre s’allonge, on entend les voix
plaintives des moines, des lépreux et des étudiants,
mendiant de porte en porte au nom du saint du
jour, du Remède du monde (Jésus-Christ), de Saint