piens envisagent la sujétion de l’homme à l’homme,
dans l’ordre tant politique que civil ou domestique, il
résulte que chez eux la position du domestique européen
est moralement fausse. S’il se conforme aux moeurs du
pays, en devenant comme le compagnon de son maître,
il dénature son état, tel qu’il lui est fait en Europe ;
et s’il conserve la manière d’être du domestique européen,
il donne aux indigènes le spectacle d’une servitude
qui leur paraît dégradante. C’est, ainsi que j’eus
lieu de moins regretter le départ de Jean. D’ailleurs,
à cette époque, j’avais l’espoir de retourner un jour
dans mon pays et d’y retrouver, par conséquent, en
lui un serviteur éprouvé.
Après avoir traversé le Takkazé, nous nous engageâmes
dans la région montagneuse du Samen. Les
bois, la riche verdure, les sources limpides et abondantes
et la douce fraîcheur du climat réveillèrent en
moi les souvenirs de mon enfance dans les Pyrénées.
Dans la matinée du cinquième jour après notre
départ d’Adwa, nous arrivâmes à Maïe-Tahalo. J’envoyai
tout d’abord saluer l’abbé chez lequel j’avais
logé lors de ma dernière visite au Dedjadj Oubié. Mais
il était absent depuis quelques jours, ce que je regrettai
d’autant plus que je ne connaissais pas d’autre
personne à cette cour.
Nous fûmes bientôt introduits dans une grande
hutte obiongue, basse et obscure, où le Dedjazmatch
buvait l’hydromel en petit comité après son déjeuner.
11 nous fit asseoir- en face de lui, à côté d’un compatriote,
M. Combes, chargé par le gouvernement français
de nouer avec le Dedjadj Oubié des relations
commerciales, qui n’aboutirent pas. Le Dedjazmatch,
assis à la turque sur un haut alga, tenait son burilé
à la main, et chaque fois qu’il le portait à ses lèvres,
deux . pages debout voilaient leur maître des pans de
leurs toges. Quatre ou cinq femmes Waïzoros, dont
une seule jeune et belle encore, buvaient l’hydromel
en silence, accroupies à terre au chevet et au pied
dei-l’alga. Deux hommes à cheveux blancs, un échan-
son que je reconnus pour le fusilier qui m’avait engagé
à manéger mon cheval devant le Dedjazmatch,
un jeune soldat armé, debout près de la porte, et une
porteuse d’hydromel tenant son amphore penchée sur
ses genoux formaient, avec un de mes hommes qui
s’était glissé à ma suite toute l’assistance. A terre se
trouvait un grand portrait en buste du roi Louis-
Philippe, apporté par l’envoyé français.
Le Prince parut contrarié qu’il n’y; eût plus de
viande fraîche à nous offrir, et il nous fit servir des
langues séchées au soleil et réservées pour luijTéchan-
son nous présenta à chacun un burilé d’hydromel ;
j’acceptai par déférence, quoique je n’en busse jamais.
Le Dedjazmatch me demanda où était mon cheval,
et je lui dis les motifs qui m’avaient engagé, à l’envoyer
par la route du bas pays.
— Il craint sans doute de le laisser voir, dit-il.
Puis il me questionna sur le but de mes voyages
et il redevint silencieux ; mais il me regardait par
instants à la dérobée et avec une expression peu
bienveillante. On continua à boire dans ce silence
qu’Oubié imposait durant ses repas.
Beaucoup d’Éthiopiens et d’Éthiopiennes ont l’habitude
de priser ; ils font, rarement usage de tabatières
comme les nôtres, tout leur en tient lieu : le
tuyau d’un roseau ou l’extrémité d’une corne de boeuf,
une fiole ou le péricarpe ligneux d’un fruit. Us répandent
du tabac sur la paume de la main, remettent-
leur tabatière dans leur ceinture et prisent ensuite