si plein d’humour et si fécond en anecdotes, qu’il
était naturel de le retenir quand on le pouvait.
A Adwa, il oublia ses rêves de fortune, et pendant
six années, il regretta son esclave, qu’il parvint
enfin à dégager des mains de son hôte de Gondar.
Il est mort depuis, sur une barque qui le conduisait
à Djiddah, où il projetait un dernier trafic.
Nous savions que le Dedjadj Oubié avait conçu de
la jalousie au sujet du fusil de rempart donné par
mon frère à son rival Kassa. Ces fusils se chargeaient
par la culasse : nouveauté merveilleuse pour le pays.
Nous savions également qu’il avait refusé aux mis-
sionqaires allemands la permission d’aller à Gondar,
ville située dans les États de son suzerain nominal,
le Ras-Aly, et comme nous désirions nous y rendre
au plus tôt, nous jugeâmes prudent, pour ne point
provoquer de nouveau sa jalousie, de lui faire présent,
avec d’autres objets, des deux fusils de rempart
qui nous restaient. Je me rendis donc à son camp,
avec mon frère et le Père Sapeto, 'que je lui présentai.
Il fut enchanté des fusils. Je les tirai en sa
présence, en prenant pour but un groupe d’arbres
tellement éloigné, que les assistants ne purent voir
la poussière soulevée par les balles; à chaque coup
ils regardaient, bouche béante, le Prince, comme pour
savoir s’il n’y avait pas quelque tour d’escamotage
de ma part; par politesse, on eut l’air d’ajouter foi
à la portée que j’annonçais; mais le lendemain, un
paysan étant venu montrer au prince des balles d’un
calibre inusité, lancées, croyait-il, par quelque lutin,
car il n’avait entendu aucune détonation, on reconnut
mes projectiles, et le bruit se répandit que nous
avions donné au Dedjazmatch des armes qui portaient
sûrement la mort à une demi-journée de route.
Le prince en conçut pour nous une amitié particulière,
et envoya nous demander à plusieurs reprises
en quoi il pourrait nous être agréable. Afin de mieux
tenir en haleine ses bonnes dispositions, nous nous
gardâmes d’en user; mais, ayant fait en secret nos
préparatifs, environ un mois après, nous nous présentâmes
chez lui, suivis de'nos bagages, et, comme
si nous n’avions pas douté de son consentement,
nous lui annonçâmes que nous allions à Gondar. Pris
ainsi à l’improviste et embarrassé par notre assurance,
il nous permit, bien malgré lui, de continuer
notre route; il nous donna même un soldat pour
nous escorter jusqu’aux frontières de. ses États, qui
s’étendaient jusqu’à une heure de marche de la ville
de Gondar. Personne, dans Adwa, n’avait cru à la
possibilité de notre voyage à Gondar; car Oubié passait
pour le moins affable des princes éthiopiens
envers les étrangers, quoiqu’il tirât vanité de leur
présence dans son pays, surtout quand ils exerçaient
quelque art manuel ou se trouvaient à même de lui
faire des présents. En le quittant, nous lui recommandâmes
le Père Sapeto, et il nous promit de lui
accorder une protection spéciale.
Ayant réussi à introduire et à établir dans le Tigraïe
un prêtre catholique, malgré les anciennes et sanguinaires
prohibitions, il avait semblé que, pour
confirmer ce premier avantage, le Père Sapeto rie
pouvait mieux faire que de rester dans cette province,
où il serait à portée de communiquer facilement
avec l’Europe par Moussawa, de recevoir des
secours, et d’accueillir d’autres missionnaires, si la
Propagande décidait de donner suite à une mission
commencée d’une façon si inespérée. Il fut convenu
qu’avant d’exercer *son ministère, ou de chercher à