seul au milieu de ruines, exposé aux oiseaux de proie
qu’alléchaient mes blessures, je me suis traîné du
côté où ma famille avait disparu. Les hyènes sont
venues avec la nuit, et je me suis réfugié dans votre
camp. C’est le Maître du ciel bleu qui m’a conduit,
puisque je.n’ai plus ni soif, ni froid, et que j’ai un lit
entre mon corps et la,.terre. Tu dois être un homme
puissant, car ta tente est voisine de celle de Zaoudé
G-uoscho; achève donc ce que tu as commencé, faismoi
rendre ma femme, mes fils et mon frère; que je
les voie en mourant. *
Le Prince voulut bien consentir à ma demande.
Des prisonnières nous firent découvrir la femfiie du
Dalla, qui, après avoir longtemps parcouru le camp
avec un huissier du Prince, revint accompagnée de son
beau-frère et de deux enfants, un gentil garçon d’une
dizaine d’années, et un autre de.deux ou trois ans,
qu’elle portait à chevauchons sur sa hanche. Toute la
vie du blessé sembla remonter dans son regard. J’annonçai
à ces infortunés que devant nous mettre en
marche le jour suivant, j’allaisr afin de les soustraire
aux violences de nos traînards, les faire escorter jusqu’à
une certaine distance d’où ils pourraient rejoindre
leurs compatriotes. Le blessé demanda alors instamment
à devenir mon fils adoptif, et mes gens m’engagèrent
tant à satisfaire à ce voeu d’un moribond,
que je m’y rendis.
L’adoption, usage emprunté aux Éthiopiens par la
plupart des peuples qui les environnent, se pratique de
la façon suivante : pelui ou celle qui adopte présente
le sein aux lèvres de l’adopté, qui s’engage par serment
à se conduire comme un fils. Dans quelques endroits,
selon les circonstances, l’adoptant présente le sein et
le pouce, ou, comme chez les Dallas, le pouce seulement.
Cette parenté conventionnelle, reconnue du reste
par les us et coutumes, entraîne parfois, comme toutes
choses, des conséquences abusives, mais elle produit
souvent aussi les effets les plus salutaires.
En partant, le blessé me dit :
— Tu m’as trouvé déchu, car je ne suis plus rien;
mais je vaux quelque chose par mes parents.; on compte
parmi eux de véritables fils d’hommes, dont le bon
vouloir est recherché. Tu m’as recueilli et tu as fait
rentrer en moi mon âme, en me disant : « Voilà ta
femme, tes enfants, ton frère ; je te les donne. » Tu es,
dit-on, d’un pays bien éloigné du Dojam, et tu marches
devant toi à travers le monde ; peut-être viendras-tu
un jour chez nous. Si je vis, je te donnerai un cheval,
des bêtes grasses, du miel parfumé; mes parents et
tous mes voisins t’accueilleront comme un des nôtres,
car tous dans nos pays apprendront ta conduite envers
moi. Si je suis revêtu de la toge qui ne s'use pas (la
terre), mes fils reconnaîtront ma dette. Quoi qu’il arrive,
que le bien que tu nous fais retombe sur toi
comme une pluie !
La femme, qui était jolie, ajouta :
— Sois protégé de Dieu, pour m’avoir rendu mes
enfants, mon mari, mon pays et mon protecteur naturel,
dit-elle naïvement en désignant son beau-frère.
J’appris à cette occasion que, comme chez les Hébreux,
la loi du Lévirat était en pleine vigueur parmi
les Dallas, et que la femme du blessé était désormais
considérée comme veuve.
Pendant trois semaines, nous parcourûmes par
petites étapes les woïna-deugas du Liben. L’armée allait
au pillage : tantôt c’étaient tous les soldats, tantôt
ceux du camp de droite, ou du camp de gauche, ou
du camp de derrière seulement; et quand nous avions
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