d’égorger un mouton gras; il voulait manger dos grillades
et il faisait fouetter un page, un soldat ou une
femme'de service dont les allures a demi endormies
lui paraissaient trop lentes. D’autres fois, son chapelet
à la main, il venait furtivement s’asseoir sur moxi alga
et, récitant ses prières, il me réveillait de la main tout
en me faisant signe de faire silence. Son chapelet ter-,
miné, il me disait :
— Je ne puis te voir dormir quand je veille. Tout
ne doit-il pas être commun entre nous? Nous devrions
mourir le même jour. Puis, vois-tu, je me mefie de tous
mes hommes; ma vie n’est qu’un long semblant, j ai
besoin de parler à coeur ouvert. Attristons-nous sur
moi.
Quelquefois il cessait d’égrener son chapelet, son
regard devenait méditatif, et, après être resté silencieux,
le front dans la main, oubliant ma présence, il
se levait soudain, commençait une prière, mais quittant
la formule usitée, il s’adressait à Dieu en termes
improvisés et poignants; puis il se tournait vers moi
en riant de confusion, mais les yeux encore pleins de
larmes.
Dès le lever du soleil, il commençait l’expédition
des affaires, présidait le conseil; rendait la justice et
envoyait de tous côtés des messagers pour nouer ses
intrigues compliquées. La vigilance, l’ordre, le discernement
qu’il déployait surprenaient tout le monde.
Il formulait ses instructions et ses ordres avec concision
et clarté, et possédait le don de commandement;
il avait l’adresse de faire croire à une supériorité plus
grande encore que celle dont il était doué ; la moindre
parole était dite à intention; il posait toujours, souvent
vis-à-vis de lui-même, et il était comédien consommé.
Quelquefois, nous montions à cheval pour
jouer au jeu de cannes; d’autres fois, le déjeuner ou le
dîner se prolongeait des heures entières : on buvait,
on causait, on écoutait les trouvères. Un dimanche,
nous nous rendîmes à l’église de Findja.
Depuis près d’un siècle, Findja servait de capitale
aux Polémarques du Dambya, et les libéralités
de plusieurs d’entre eux avaient enrichi son église
et son clergé. C’était la première fois que le Dedjadj
Birro s’y rendait. Il était monté sur une mule superbement
caparaçonnée, et, dédaignant d’en tenir les
rênes, il les avait confiées à deux piétons qui couraient
de chaque^ côté de sa monture. Un long collier
de riches amulettes était passé par dessus sa toge,
d’une blancheur éclatante et traînant presque jusqu’à
terre; il était coiffé d’un volumineux turban de mousseline
et portait une pèlerine blanche de peau de
mouton, garnie en vermeil : les mèches de la toison,
longues de plus d’une coudee, ondulaient gracieusement
à ses moindres mouvements. A quelques pas
derrière, se pressaient silencieusement tous ses notables;
pour lui faire honneur, ils allaient bouclier
au bras. Devant lui, son cheval Dempto, conduit à
la main, se balançait sous la housse ecarlate de sa
selle. En tête, les timbaliers, gonfanon et parasol
déployés, battaient la marche des grands jours. Une
centaine de cavaliers, en tenue de combat, ouvraient
la marche, fermée par six cents rondeliers d’élite.
Tout le clergé de Findja vint à sa rencontre avec
croix et images. A la porte de l’eglise, le Dedjazmatch
mit lestement pied à terre, jeta sa pèlerine à un
soldat, et, se découvrant la poitrine, il se prosterna
jusqu’à terre, avant même d’entrer dans la première
enceinte, où stationnait une foule considérable. Là,
drapant sa toge à la façon ' respectueuse, il s’adossa