fort à la description de la maladie et de la personne
de l’auguste patiente, qu’il n’avait jamais été
admis à voir. Il me pria néanmoins de ne rien épargner
pour la guérir ; les ancêtres de la Famille impériale
avaient toujours été, disait-il, généreux et bons
envers les étrangers. Je songeai qu’effectivement,
ils s’étaient montrés tels envers l’écossais Jacques
Bruce, et pendant plus d’une semaine, deux fois le
jour, malgré les pluies, j’allai exactement au palais.
Ma grosse cliente se rétablissait à vue d’oeil. L’Atsé
me fit sonder relativement à mes honoraires : je refusai
d’en recevoir; il feignit de croire sa dignité
offensée et saisit la première occasion de rompre
avec moi. La convalescente ne se soumettait qu’imparfaitement
au régime prescrit. Un matin, je la
trouvai plus souffrante, elle m’avoua avoir bu de
l’éau-de-vie; je lui déclarai que je ne la reverrais que
sur une nouvelle invitation de l’Empereur; et je ne
fus pas rappelé.
Ce dénoûment était fort à ma convenance. Si la
malade n’était pas radicalemant guérie, ma médication
expectante avait du moins écarté le danger
et le public m’attribuait tous les honneurs dç la
guérison. J’avais d’ailleurs perdu le goût de faire
le médicastre. Lorsque je devais entrer chez la malade
ou la quitter, me présenter devant son Empereur
ou me retirer, enfin, dès que je paraissais au
palais, les quelques valets enhaillonnés, qui passaient
leur temps à muser aux portes, prenaient des airs
Compassés, solennels, et j’avais à-subir toutes les Simagrées
de l’étiqüette de l’ancienne cotir des Empereurs
d’Ethiopie. Les premiers jours, cette mise en
scène bouffonne m’avait fait pitié; mais sa répétition
quotidienne m’était devenue désagréable. Plus
tard, m’étant initié à la langue, aux coutumes et
aux traditions, je regrettai de ne m’être pas montré
plus patient à l’égard de ces débris d’une famille
de princes tombée, dit-on, d’une hauteur de
28 siècles. Mais avant de parler de cette famille impériale
qui, chaque jour, comme une statue renversée
de son piédestal, s’enlize davantage dans la
poussière des temps, il convient de donner une idée
de la base géographique sur laquelle, debout de générations
en générations, elle a su, pendant que
surgissaient et s’abîmaient tour à tour la plupart
des dynasties souveraines du monde, diriger l’histoire
de tant de peuples de l’Afrique orientale et de
l’Arabie.
On s’est habitué, en Europe, à donner le nom
d’Abyssinie à la portion indéfinie de l’Afrique orientale
qui nous occupe , et sur laquelle, de toute antiquité,
et même aujourd’hui, plane le nom primitif
d’Éthiopie.
Les indigènes savent que les musulmans nomment
leur pays el Habech, mais s’ils tolèrent ce nom
dans la bouche des étrangers, c’est par courtoisie
ou par pitié pour leur ignorance; eux=mêmes, pour
la plupart, ne connaissent pas l’étymologie du mot
Habech, mais ils sentent qu’elle est injurieuse pour
eux. En effet, Habech, en afabe, s’emploie pour qualifier
un ramassis de familles d’origines diverses ou
bien de généalogie inconnue ou altérée; et parmi
les races sémitiques, l’injure fa plus mortifiante
qu on puisse faire à un homme ou à un peuple, est
de dire qu’il ignore sa généalogie ou qu’elle est entachée
de promiscuité, parce que, çhez eux, les
hommes de tous les rangs sont convaincus de l’existence
d’une solidarité étroite nott-seüleinent entre