alors, et la discipline la plus prévoyante et la plus
sévère est impuissante souvent à empêcher le combattant
de décéler sa véritable nature. Quoiqu’en Europe
l’art militaire, la discipline et les armes soient partout
les mêmes, les diverses races européennes révèlent
néanmoins par leur façon de combattre et de faire la
guerre, leurs caractères, leurs aptitudes et jusqu’à leurs
moeurs nationales.
On peut dire des Éthiopiens qu’ils combattent en
hommes libres, surtout si on les compare aux soldats
d’autres nations, dont la forte organisation militaire
exige en premier lieu, comme dans les ordres monastiques,
le dépouillèment de la volonté propre. Si l’on
veut juger les Éthiopiéns d’après leurs allures à la
guerre, on dira qu’ils sont rusés, pillards, formalistes,
fanfarons, vains, insouciants et ardents à la fois, aventureux,
susceptibles d’attachement et de dévouement,
d’une sensibilité féminine, et stoïques souvent jusqu’à
l’héroïsme, enthousiastes et tenaces malgré leur légèreté,
peu vindicatifs, d’une obéissance facile, portés
à la gaîté malgré leur fonds de mélancolie, accessibles
à toutes les séductions de la formo et aimant
à revêtir toutes choses de poésie, et surtout comme à
enguirlander du sentiment religieux, qu’ils mêlent à
tout, jusqu’aux scènes les plus meurtrières. Lorsque je
leur expliquais notre manière de combattre, ils en
comprenaient les terribles effets, mais nous renvoyant
le reproche que leur adressaient leurs voisins les
Gallas, au sujet de leur propre tactique, ils traitaient
la nôtre de brutale, et ils trouvaient répréhensible que
des peuples chrétiens si policés fissent tant de victimes
dans leurs guerres.
— Vos fusils, disaient ils, sont des inventions maudites,
qui doivent servir souvent parmi vous les desseins
de Satan, lequel s’attache de préférence à pervertir
la volonté des forts.
L’idée généreuse de bannir la guerre d’entre les
hommes paraît être une utopie. En tous cas, jusqu’à
ce qu’elle se réalise, il est bon de regarder la guerre
comme la fonction la plus importante de l’homme,
après celle de se procurer la subsistance; et à ce
compte, le point de vue sous lequel les Éthiopiens la
considèrent et l’organisent, les effets qu’elle exerce sur
eux et ceux qu’ils lui attribuent méritent peut-être
d’être rapportés.
On a dit en Europe que déclarer la guerre à
une nation équivaut à la condamner à mort. Ce principe
est celui des Musulmans, et l’on sait les rigueurs
que leur inspire la victoire. Les Éthiopiens, moins
barbares en théorie, disent que la guerre est presque
toujours une expiation amenée par les péchés des
hommes; qu’en tout cas, notre vue étant ordinairement
trop circonscrite poür saisir l’ensemble des relations
qui la produisent, il convient de borner l’effusion
du sang au droit du talion. Ils n’admettent pas
que le perfectionnement et la multiplicité des engins
destructeurs, en rendant les guerres plus meurtrières,
les rendent plus courtes, plus décisives et moins fréquentes.
« La guerre, disent-ils, ne peut guère être
déclarée ni conduite sans passion, et sous cette influence,
l’homme s’arrête d’autant plus difficilement
qu’il dispose de moyens d’action plus efficaces. Il est
dangereux, disent-ils, d’accroître sa puissance, au point
où il cesse de redouter celle de ses semblables; le
sang enivre, et plus on en verse, plus on est entraîné
à en verser. »
Leur organisation militaire, résultat de leur constitution
féodale, fait que chaque combattant a une