ramener les schismatiques, il s’adonnerait à l’étude
de Yamarigna et du guez ou langue sacrée, tout en
s’appliquant à se concilier le bon vouloir des habitants.
Nous partageâmes nos ressources avec cet
agréable compagnon, et nous le quittâmes à regret;
dès lors, notre route se bifurqua pour toujours.
Quelques mois après, mon frère arrivait à
Rome, et la Congrégation des Lazaristes, autorisée
par la Propagande, adjoignait d’autres missionnaires
au Père Sapeto, pour continuer la mission en Tigraïe
et en pays Amhara.
La journée était avancée lorsque nous quittâmes
le camp du Prince. Ayant reconnu les inconvénients
de nombreux bagages, nous les avions réduits à ce
que nous pensions être le strict nécessaire; nous
avions fait présent de nos deux tentes, et, à l’exception
des instruments d’astronomie de mon frère, tout
était renfermé dans des outres de peau de chèvre,
plus commodes à transporter et attirant moins l’attention
que les malles ou les coffres. Nous n’avions
plus que vingt suivants environ, tant porteurs que
serviteurs. Le soldat d’Oubié nous faisait héberger
chaque soir; à cet effet, il nous précédait de quelques
centaines de mètres et s’enquérait, auprès des paysans
occupés aux champs, du nom du chef de la localité,.
Parfois, ceux-ci, devinant ses intentions, tiraient du
pied; il les poursuivait, atteignait les moins lestes,
et l’on riait de -part et d’autre; mais ces débuts
nous pronostiquaient ordinairement maigre chère.
Nos porteurs déposaient leur charge sur le chango
ou place du village; c’est le forum éthiopien, le lie'u^
où se discutent les intérêts publics et privés; villes,
bourgs, villages, les plus petits hameaux ont le leur.
Notre soldat parcourait le village,'annonçant à haute
Voix sa mission, puis, revenait s’accroupir auprès-de
nous, et quelquefois nous attendions longtemps que
les habitants vinssent, négocier. En tout pays, le
laboureur est avare et madré; de plus, celui d’Éthio-
pie est particulièrement loquace. Un à un, ces braves
gens s’assemblaient, discutaient d’abord avec le soldat
d’Oubié, et s’entre-querellaient pour la répartition
de nos gens, quelquefois endormis de fatigue; on
les réveillait, on réunissait les bagages dans la
maison qui nous était destinee, et chacun suivait
le paysan chargé de l’héberger pour la nuit. Le Ded-
jadj Oubié avait recommandé de nous faire donner
chaque soir un mouton; on nous servait du
reste, six ou huit portions, tant en pain qu’en mets
préparés; car, en Éthiopie, on mangf; toujours avec
quelques-uns de ses serviteurs. D’ailleurs, il est d usage
de fournir le voyageur assez abondamment pour que,
sur son repas du soir, il puisse réserver son déjeuner
du lendemain. Entre Adwa et Gondar, une seule fois,
les habitants refusèrent de nous recevoir, leur chef s’étant
offensé d’une expression échappée à notre soldat;
il nous fallut presque recourir à la violence pour qu’on
nous permît d’entrer dans un parc de moutons pour
nous y abriter contre les hyènes. La coutume est;,
en pareil cas, d’intenter une action _ en dommages et
intérêts, qui varient selon l’importance du voyageur.
Quant à nous, malgré le vif désir de notre guide,
nous ne voulûmes faire aucune plainte.
Nous arrivâmes à Gondar le 28 mai, sept jours
après notre départ d’Adwa. Jusqu’alors Gondar n’avait
été visité que par un très-petit nombre d’Européens,
et cela à de longs intervalles. Cette ville, voisine des
parties encore peu explorées de la haute Ethiopie,
nous offrait plusieurs avantages pour nos investiga