Quant à ceux-ci, leur position extra-légale n’est
que momentanée. Avant même la publication du
ban qui les libère, ils rentrent dans le droit commun
: -ils peuvent intenter contre leurs vainqueurs
une action criminelle, et dans bien des cas même
une action civile; seulement, l’action doit être pa-
tronée par quelqu’un faisant partie du camp vainqueur,
et le respect du droit est tel que nul ne se
refuse à accorder ce patronage.
Comme on l’a vu, tout combattant doit rendre
compte à son seigneur direct de son butin et de ses
prisonniers ; c’est dans cet esprit qu’il lui en fait
hommage publiquement, en lui débitant son theme
de guerre. S’il a fait prisonnier un homme de mar- .
que, il le .remet à son seigneur, qui à son tour en
doit compte à son chef ; et si les dépouilles sont trop
disproportionnées à la condition du capteur, le seigneur
lui donne en échange une gratification conforme
à sa position. Détourner ou céler les personnes
ou les valeurs quelconques prises à l’ennemi,
constitue un acte de félonie. Si un prisonnier est
accusé d’un crime ou d’un délit antérieur à la bataille,
l’accusateur donne connaissance au capteur,
devant témoin, de son accusation; et si le prisonnier
parvient à s’échapper, le capteur encourt personnellement
la peine qu’entraîne le crime commis,
fût-ce un meurtre. Le prisonnier ainsi accusé doit
passer de mains en mains jusqu’au seigneur dont la
juridiction est compétente. Enfin, celui qui relâche
un prisonnier avant d’y être autorisé par le ban du
chef d’armée, commet une félonie et peut être rendu
responsable de tous les méfaits attribués au fugitif.
La coutume tolère la mise à rançon d’un prisonnier,
et à cette fin l’emploi même de la torture; mais
les moeurs atténuent cette rigueur, au point qu’il est
rare qu’on y ait recours, si ce n’est lorsque le prisonnier
se trouve dans un cas exceptionnel et aggravant.
Si parmi les prisonniers il se trouve des
transfuges, les hommes de marque sont condamnés,
selon les cas, à avoir le pied ou le poignet coupé,
ou à payer une rançon et quelquefois à subir auparavant
la peine du fouet, ou bien encore à la détention.
Quant aux transfuges de peu d’importance, on
les relâche, à moins toutefois que leur désertion
n’ait été accompagnée de circonstances particulières.
Le chef de l’armée désigne les prisonniers qu’il veut
garder; les autres sont renvoyés dans les vingt-
quatre heures: l’usage est de ne leur laisser que la
culotte et le cordon de soie, signe de leur baptême.
Il arrive quelquefois qu’un soldat est assez âpre
pour 'échanger sa vieille culotte contre celle d’un
prisonnier; mais un pareil acte l’expose aux injures
de ses camarades. La fortune la plus inconstante
est souvent celle qui pervertit le moins. Les
soldats' éthiopiens sont convaincus de la versatilité des
positions, et cette croyance contribue à les moraliser
jusque dans l’ivresse de la victoire, et à les rendre cléments
envers les vaincus. La fréquence même de leurs
guerres, presque toutes intestines, en atténué les rigueurs.
Un parent, un ami ou un ami de leurs
amis peut leur tomber sous la main, et un acte
gratuitement sanguinaire amènerait des vengeances.
On voit des vainqueurs et des vaincus se reconnaître,
s’embrasser, s’informer avec sollicitude
de leurs récents adversaires ou s’interposer auprès
d’un compagnon afin d’améliorer le sort de quelque
ami. Des seigneurs et meme des soldats pauvres
renvoient quelquefois de nombreux prison