mière, savoir monter à cheval, réparer un harnais, nager,
tirer la carabine, jouer aux échecs, raisonner les
qualités d’une arme,d’un cheval ou d’un chien de chasse,
enfin et surtout être affable et poli avec les femmes, les
prêtres, les pauvres et les vieillards.
Les officiers de la maison d’Oubié, profitant de
l’ignorance ou de la faiblesse des Européens, avaient
aussi pris l’habitude de les rançonner de diverses
manières, sous le prétexte de les faire bien venir de
leur maîtr’e. Ce n’étaient plus des cadeaux qu’on attendait
de nous, c’étaient de véritables impôts. Ils nous
disaient à brûle-pourpoint que nous étions deâ grands
seigneurs et nous tapaient familièrement sur l’épaule
en nous demandant de l’argent. Enhardis par ces
exemples, tous les habitants usaient envers nous de
façons analogues, et, depuis la- Takkazé jusqu’à la
mer Roüge, l’Européen, victime de toutes les exactions,
était le plus souvent un objet de risée. Quant à moi,
je venais du Bégamdir et du Gojam, dont les habitants
ont bien plus d’urbanité que dans le Tegraïe; je m’étais
associé à la vie des.indigènes; je savais ce que je leur
devais et ce que tout étranger était en droit d’attendre
d’eux, conformément à leurs moeurs. Le compatriote
pour lequel je venais de prendre fait et cause méritait
d’ailleurs d’être accueilli convenablement; il était docteur
en médecine et il collectionnait pour le Jardin-
des-Plantes de Paris. Après un long séjour, lorsqu’il
comptait retourner en Europe, il fut mangé par un
crocodile.
Le Dedjadj Oubié leva son camp le lendemain et
continua sa route vers le Samen.
De mon côté, je ne tardai pas à m’acheminer vers
Moussawa. J’eus à subir en route quelques tentatives
de la part des péagers, qui voulurent m’assimiler aux
trafiquants et exiger des droits de passage; mais en
me reconnaissant, ils se rappelèrent la longue résistance
que, mon frère et moi, nous avions opposée dans
le Koualla de Maïe-Ouraïe aux exactions de Blata-
Guebraïe, et ils se désistèrent de leurs prétentions.
J’eus ainsi la satisfaction de recueillir les fruits de
notre conduite et de rentrer dans le droit commun.
Au lieu de suivre la route des caravanes et de
passer, comme à mon entrée dans le pays, par Halaïe,
je passai par Digsa, village situé à quelques kilomètres
plus au Nord. Ces deux villages appartiennent à la
puissante tribu qui forme de ce côté la frontière
des États d’Oubié, et qui se dit issue de deux frères
nommés Akéli et Ogouzaïe. La population de Halaïe
descend d’Ogouzaïe, et celle de Digsa d’Akéli; mais
nonobstant ce lien de parenté, une grande inimitié
séparait ces deux villages : l’un et l’autre soutenaient
la prétention de faire passer par leur territoire les
caravanes et les voyageurs, et de prélever sur eux les
droits d’usage. Parfois ils se disputaient ce monopole
les armes à la main, et ils épuisaient leurs ressources
pécuniaires pour se le faire concéder par le Dedjaz-
match; depuis quelques années, Halaïe l’exploitait,
mais avec une rapacité dont les trafiquants se plaignaient
avec raison. Je préférai donc passer par Digsa,
malgré la fâcheuse réputation de son chef, Za-Guior-
guis, qui portait le titre de Bahar-Negach (roi de la mer.)
Ce chef me reçut bien; il fit abattre un boeuf pour
notre repas et m’offrit de passer quelques jours avec
lui ; mais j’étais pressé de gagner Moussawa. Les tribus
des Sahos qui occupent les bas pays entre le premier
plateau éthiopien et la mer Rouge, remplissent de droit
les fonctions de guides entre la frontière chrétienne
et Moussawa; ce droit donne lieu à des tracasseries