feudataires étant dispersés dans leurs seigneuries, il
n’y avait guère là plus de 10,000 hommes. Le camp
était composé de plusieurs enclos circulaires et con-
tigus formés par des huttes rondes et revêtues de
chaume; au milieu de chaque enclos composé de 60
à 400 huttes, s’élevaient de une à six tentes pour les
chefs. Au centre d’un de ces enclos formé d’environ
200 huttes habitées par. les gens de service, se trouvait
l’établissement personnel du Dedjadj Oubié. Cet
établissement consistait en trois tentes dressées de
front; sur leur droite un vaste hangar construit en ramée,
et, derrière, deux huttes spacieuses. Les tentes
lui servaient de chapelle, de salle d’audience et d’antichambre;
le hangar, de salle de festin ou de grande réception;
il passait la nuit dans une des huttes; l’autre,
un peu à l’écart, gardée par des eunuques, était
réservée à ses femmes. L’enclos n’avait qu’une seule
entrée, en face des tentes. On ne voyait aux abords du
camp ni postes, ni sentinelles, ni aucun indice -de ces
précautions habituelles à la vie militaire d’Europe.
Malgré un bourdonnement continu qui s’élevait
de tous les quartiers, on sentait que la vie du camp
était concentrée devant les tentes du prince, où plusieurs
groupes de notables 3 s’entretenaient d’un air
circonspect. Un huissier, les épaules nues et une verge
à la main, se tenait debout à la porte du hangar, ce
qui dénotait que le prince s’y trouvait.
Je voulus entrer , mais l’huissier me barra le passage,
en m’appuyant à deux mains sa verge sur la
poitrine. Je le repoussai brutalement et il alla tomber
contre un des poteaux de la porte. Mon interprète
s’enfuit effaré, et tous les yeux se portèrent
sur moi, pendant que l’huissier entrait en gesticulant
chez le prince. • Je compris, à l’ébahissement
dont j’étais l’objet, que ma vivacité avait une'portée
sérieuse, et j’allai m’asseoir à l’écart sur une pierre.
Bientôt un page sortant du hangar me fit'signe d’approcher;
mon drogman ne se décida qu’avec peine à
me suivre et nous fûmes introduits.
Le prince, à demi étendu sur une couche élevée,
présidait une réunion d’environ soixante hommes,
assis par terre et vêtus de la toge blanche et du turban
blanc particulier aux ecclésiastiques; son sabre,
sa javeline et son bouclier orné de bosselures
en vermeil étaient accrochés derrière lui; une quinzaine
d’hommes, à la mâle tournure et à la chevelure
tressée, se tenaient debout autour de sa couche,
immobiles et respectueux. A l’autre bout du hangar,
deux beaux chevaux gris pommelé étaient attachés
à des piquets devant un monceau d’herbe fraîche
qu’ils éparpillaient d’une lèvre repue. Après m’avoir
considéré un instant, le prince me donna le bonjour,
me fit signe de m’asseoir, et l’assemblée parut
reprendre le cours d’une délibération. Pendant une
grande heure, je dus me borner à observer; mon
drogman, à qui je manifestais mon impatience, me
faisait des gestes , suppliants pour m’engager à attendre.
Au centre de l’assemblée, deux personnages
d’un âge avancé consultaient par moments un manuscrit
in-folio ; les assistants se levaient chacun à
leur tour, semblaient émettre des considérants termh
_ nés par un avis et se rasseyaient, le silence reprenait,
interrompu seulement par le bruit argentin des
sonnailles des chevaux ou par la voix grêle et sèche
d’Oubié.
Enfin, un vieillard se leva; et l’intérêt général parut
s’accroître; il adressa quelques paroles au prince;
ce dernier, promenant lentement ses regards sur tous,