donné leurs foyers et déserté leur passé pour vivre de
hasards et de rapines.
Comme on l’a vu, en effet, le morcellement de
l’Ethiopie en principautés rivales a donné naissance
à une nombreuse classe d’hommes, qui, faisant métier
de la guerre, abandonnent leurs terres, vont
chercher fortune au service des Polémarques, et
mettent une espèce d’amour-propre à guerroyer dans
les diverses parties de l’Éthiopie. Quelques-uns reviennent
prendre du service chez le gouverneur de
leur province natale, et ils parviennent quelquefois à
faire dégrever d’impôts leurs terres patrimoniales.
La plupart meurent loin de chez eux; quelques-uns
finissent par entrer en religion; d’autres se marient
au loin et se fixent dans le pays de leur femme; mais
le plus grand nombre périt par les fatigues ou dans
les combats. Quelques-uns arrivent à une haute fortune.
La plupart des Polémarques appartiennent à
cette classe, de laquelle sort Théodore, le prétendu
empereur actuel, malgré ses prétentions-à une origine
princière. Les cultivateurs perdent dans les
camps leurs habitudes de travail et d’honnêteté, et
comme les femmes sont admises à suivre les armées
, celles des villes et des campagnes vont aussi
dans les camps chercher fortune, aventures, et per-,
dent leurs plus précieux attributs.
• ■Les armées actuelles, composées d’hommes servant
les, uns pour acquitter le service imposé à leurs
terres, les autres comme volontaires et pour une
solde, ont donné lieu aux chefs éthiopiens d’apprécier
l’influence que chacun de ces mobiles exerce
sur le caractère du militaire. D’après eux, les volontaires
sont les plus turbulents, les plus gais; ils
résistentmoins aux privations et se démoralisent plus
facilement ; ils font moins de cas de la vie des vaincus,
mais sont moins implacables que les autres soldats;
ils sont les meilleurs escarmoucheurs, mais ils
désertent plus volontiers; on les entraîne plus facilement
au combat, mais ils y persistent moins et passent
sans transition de l’obéissance à la licence. Leur
courage a plus d’éclat, mais moins de fond. Néanmoins,
comme la plupart des guerres en Ethiopie
sont injustes, les chefs préfèrent ces engagés, parce
qu’ils se prêtent avec plus d’entrain à toutes leurs
entreprises. .
Comme on vient de le voir, les manoeuvres sur
le champ de bataille sont tout a fait élémentaires,
elles sont produites par la coordination spontanée
des volontés individuelles, et cette espèce d opinion
publique, expression électrique du jugement des combattants,
s’est développée d’une façon surprenante.
Les Éthiopiens prétendent que ce développement est
des plus utiles; qu’il habitue les citoyens à coordonner
promptement leurs volontés et à intimider
ainsi toutes les tyranies; ils'ajoutent que sous toutes
les faces la vie est un combat, et qu’il faut habituer
chacun à être constamment sur le qui-vive,
aussi, disent-ils que le citoyen n’est complet, que
lorsqu’il a fait quelques campagnes. A voir la facilité
avec laquelle chefs et soldats obéissent aux impulsions
collectives, on serait porté à croire que
les hommes, si jaloux de leur liberte, le deviennent
davantage en face de pouvoirs nettement définis,
tant ils mettent de zèle à obéir aux pouvoirs impersonnels,
tels que les moeurs ou l’opinion publique,
et même les caprices de la mode.
- Peu avant mon arrivée dans le pays, le Dedjadj
Conefo, ayant fait, -dans sa campagne contre les