dant l’air de comprendre, Dieu sait quoi. En partant,
ils nous dirent :
Gardez-vous néanmoins; quelques mauvais Somau-
lis songent peut-être à lever contre vous leurs javelines;
mais il y a encore de braves gens parmi nous;
espérons que leur influence pourra contenir ces méchants,
dont le premier tort, à nos yeux, est d’obéir
à des suscitations étrangères à nos tribus indépendantes.
Aucun Européen n’avait encore visité le royaume
de Harar dont les habitants, musulmans fanatiques,
mettraient à mort, disait-on, tout chrétien qui pénétrerait
chez eux. Néanmoins, avec un peu de savoir-
faire, nous espérions réussir ; mais bientôt nous sûmes
que les mesures prises contre nous par le gouverneur
d’Aden étaient connues à Harar même, où notre succès
dépendait en grande partie de l’imprévu de notre
arrivée. Cette nouvelle nous décida à changer nos
plans et à essayer d’arriver en Chawa par la voie de
Toudjourrah.
Cette voie avait été ouverte, environ deux ans
auparavant, par notre compatriote M. Dufeÿ, grâce
au Polémarque du Chawa, Sahala Sillassé, qui l’avait
recommandé à une caravane composée d’habitants
de Toudjourrah. On disaitjbien à Berberah et à Zeylah
que le capitaine Hein es répandait à Toudjourrah des
sommes d’argent importantes, et que son influence,
quoique non avouée, y était toute puissante. Mais nous
ne pouvions sur des on dit renoncer à notre voyage ;
d’ailleurs si la route par Toudjourrah nous était
fermée, il nous restait encore deux autres routes
principales : l’une par les États du Dedjadj Oubié
dont les dispositions s’étaient modifiées en ma faveur,
l’autre par le Sennaar. Nous étions fort disposés à
croire que nous aurions encore à lutter à Toudjourrah
contre l’influence anglaise, mais j’espérais néanmoins
que mes relations avec de Polémarque du Chawa nous
permettraient d’arriver jusqu’à lui.
Quelques notables des Somaulis sachant que nous
allions nous embarquer, vinrent nous féliciter d abandonner
une lutte sans espoir, disaient-ils; et le^ 1.5
janvier 1841, nous mîmes à la yoile, laissant derrière
nous cette côte aride de Berberah, rendue si inhospitalière
par la malveillance d’Européens qui auraient
dû être nos protecteurs naturels. _ :
Arrivés à Zeylah, mon frère étant souffrant, j’allai
seul chez le chef de cette petite ville; il me reçut bien
'se mit à mes ordres avec cette urbanité trompeuse
souvent, mais agréable du moins, qu’on est presque
toujours sûr de rencontrer sur les côtes orientales de
l’Afrique; et j’étais à peine rembarqué, qu’il nous envoya
en cadeau trois moutons et des mets préparés.
Le lendemain, nous reprîmes la mer; et le troisième
jour, nous glissions doucement à l’entrée de la baie
magnifique au fond de laquelle se trouve Toudjourrah.
Je descendis à terre avec le patron de notre barque
et affectant une confiance que nous n’avions pas,
nous n o u s dirigeâmes vers l’habitation du chef de
la ville, auquel, par suite de je ne sais quelle tradition,
on donne le titre de Sultan.
Toudjourrah est situé tout au bord 4e la mer, sur
une plage sablonneuse et plate; le terrain, a environ
cinq cents mètres du rivage, commence à s’élever en
ondulations graduées qui atteignent dans le lointain
. les proportions de montagnes. La ville est composée
d’environ deux cent cinquante maisons éparses, faites
de fortes nattes en feuilles de palmier soutenues par
des châssis de bois et recouvertes d’un toit de chaume,