tions avec le Dambya, nous firent dire de nous hâter,
que le vide fait dans les rangs d’Ilma par la désertion
d’une partie des troupes de l’Agaw-Médir se comblaitra-
pidement, grâce aux volontaires venant de tous les
points du Bégamdir. Le Prince fit ses adieux à sa femme,
et sans avoir publié le ban d’usage, il alla camper à
quelques milles de Goudara.
Quelque sévères que soient les princes éthiopiens, ils
en sont ordinairement réduits, pour réunir leurs troupes,
à publier plusieurs bans; de plus, des bandes entières
s’arrangent pour ne rejoindre que la veille de la
bataille, afin de vivre jusque-là, à leur aise, aux dépens
de l’habitant. En partant sans publier de ban, le Ded-
jazmatch comptait jeter l’alarme et hâter ainsi la réunion
de ses soldats, très-enclins à 's’attarder et à mal
faire, mais trop attachés à sa personne pour le laisser
courir seul au danger.
La Waïzoro Sahalou avait demandé à son mari
de me laisser auprès d’elle, et pour tout concilier,
j’étais convenu de rejoindre l’armée à sa troisième
ou quatrième étape; en conséquence, je restai auprès
de la Waïzoro Sahalou cinq jours de plus, et je pus
apprécier davantage cette femme distinguée. Son
expérience des affaires eût été surprenante^ chez une
personne vivant comme elle dans là retraite rigoureuse
imposée aux personnes de son rang, si Ion ne
savait que même dans cet état, les femmes ne perdent
rien de ce qui se fait dans le monde, non
plus que de leur influence. Les faits contemporains,
leurs causes et leurs effets, s’étaient classés dans sa
mémoire avec un ordre merveilleux. Son intelligence
vive, une .'diction claire, élégante et un charme particulier
dans la prononciation rendaient^ ses récits
des plus attrayants. Elle me raconta les événements
dans lesquels nous étions engagés, la biographie des
principaux personnages de la cour d’Ali, de celle de
Conefo, de celle de son mari, et ses appréciations
témoignaient d’une sagacité- et d’un jugement des
plus remarquables; aussi m’initiait-elle, comme en
se jouant, aux intérêts les plus sérieux du pays.
Elle passait pour avoir reçu, une très-bonne éducation,
lisait couramment son psautier et les évangiles
en langue guez, et se plaisait à discuter sur les
diverses interprétations du texte; elle lisait également
la Vie des Saints en guez. Sa connaissance de
cette langue morte lui donnait pour l’amarigna le
même avantage que la connaissance du latin et du
grec donne à ceux qui parlent les langues qui en
dérivent. Réduite à communiquer avec tout le monde
par messages et à traiter de toute sorte d’affaires
avec des gens de tous les rangs, elle avait au plus
haut point l’art de saisir le coeur d’une question et
de condenser sa pensée dans une forme lucide et
frappante. Ses jeunes filles de service, habituées à
transmettre ses messages, acquéraient une distinction
de langage et de manières, qui valait à la plupart
d’entre elles, quoique appartenant à des familles
pauvres, des mariages avantageux. Sa religion était
éclairée, et sa charité s’exerçait continuellement. Elle
avait parmi les femmes la réputation de filer admirablement
ét d’exceller dans l’art de la cuisine, de
composer des parfums, de faire l’hydromel et de
restaurer, par un régime intelligent, les malades ou
les gens épuisés par la misère ou les fatigues. Sans
quitter son alga, elle communiquait son activité aux
nombreux serviteurs, hommes et femmes, qui composaient
sa maison, et dont quelques-uns seulement
avaient le droit de se présenter devant elle; elle