des solitudes s!étaient émus de ma mésaventure et seraient
toujours prêts à s’employer en ma faveur.
-f- Ils sont au courant de ce que tu fais, mon fils, me
dit-il, et ils te veulent du bien; ils s’imaginent que
ta présence en Gojam contribuera à rappeler le Ded-
jâdj Gruoscho aux idées de renoncement qui ont conduit
sa mère à Jérusalem.
Il finit par me confier mystérieusement qu’il était
lui même natif du Gojam, et que j’étais lié avec quelques
uns des siens. Je lui demandai à quelle famille il
appartenait
— Laisse-là! répondit-il; je sqis mort pour elle, quoique
je veille sur elle et que je prie; je m’efforce de me
détacher de tout, et Dieu confirme ce détachement en
reprenant mon corps pièce à pièce, comme tu vois.
Et il me montrait ses membres mutilés par son
affreuse maladie.
— Mais toi, tu es jeune; ton midi est devant toi,
et quand tu rentreras dans mon Gojam; aime-le bien,
car c’est la fleur de notre Ethiopie.
Comme les trafiquants attendaient la fin de notre
entretien, il les congédia, et je pus jouir de sa con-
‘ versation pendant une partie de la soirée.
Je lui dis de disposer de moi en quoi que ce fût. Il
m’apprit que le Naïb d’Arkiko érigeait en droit l’habitude
de prélever sur chaque pèlerin de passage pour
Jérusalem une petite somme en argent, et que de plus,
si l’un d’eux avait une monture ou une bête de
somme, il la lui prenait aussi, sous prétexte qu’il
n’en aurait que faire dans un voyage sur mer. Et
comme je passais pour être en crédit auprès du
Naïb, il me pria d’intercéder pour lui et ses compagnons.
A cet effet, j’envoyai un messager au Naïb,
et quelques jours après on me rapporta que ce
chef avait eu l’obligeance d’exempter les pèlerins de
toute avanie.
La nuit était déjà avancée, lorsque j’accompagnai
ce digne religieux jusqu’à l’endroit où campaient les
trafiquants. Il me donna sa bénédiction qvec une émotion
visible, et il partit le lendemain pour Mous-
sawa avec la caravane.
Ce moine vivait depuis plusieurs années dans une.
solitude de la province de Waldoubba, où il s’était acquis
une grande réputation de sainteté, lorsqu’il crut,
dans une extase, recevoir du ciel l’ordre d’aller attendre
sa dernière heure à Jérusalem ; et il s’était
rendu à Aksoum pour y prendre au passage quelque
caravane descendant à la mer. Le Dedjadj Oubié, instruit
de sa présence en Tegraïe, l’avait amené à lui
faire visite et lui avait offert une somme d’argent pour
le défrayer de son voyage en Terre-Sainte.
— Que Dieu vous en tienne compte, seigneur, lui
avait répondu le religieux, mais avant d’accepter cet
argent, il me faudrait le passer au van de la justice,
pour ne point devenir le complice des rapines et des
violences qui l’ont amassé en vos mains; et Dieu seul
peut ainsi vanner les trésors des grands de la terre.
De pareils refus faits en termes analogues, ne sont
pas rares en Ethiopie, et les princes ne s’en offensent
nullement, tant ils sentent que leur puissance est peu
légitime. A la fin de l’entretien, le Dedjazmatch, selon la
coutume, lui ayant demandé sa bénédiction, le digne
religieux lui avait représenté que pour la rendre efficace,
il devait accomplir quelque acte de clémence ou
de pardon ; et c’est ainsi que le moine avait obtenu du
Dedjadj Oubié qu’il élargît deux seigneurs de l’Agamé,
retenus dans les fers depuis sa victoire sur le Dedjadj
Kassa, et qu’il cessât de me tenir rigueur.