queue et surtout la patte du lion sont celles auxquelles
on attribuait encore, il y a quelques années,
le plus de valeur.
Les huttes de nos gens, pressées côte à côte sur
un seul rang, formaient une enceinte circulaire d’environ
100 mètres de diamètre, n’ayant qu’une ouverture,
large d’une quinzaine de pas, ën face de l’entrée
de la tente du Prince, dressée au centre. Devant l’entrée
des huttes, toutes tournées vers la tente, étaient
les feux; les chevaux de selle, les sommiers, les
mules et les ânes attachés à des piquets, formaient
comme un deuxième cercle intérieur. A dix pas
derrière la tente du Prince, se trouvait celle de la
Waïzoro, et plus loin derrière, trois tentes en bure
pour la sellerie, la cuisine et les amphores d’hydromel;
les divers services du Prince étaient encore
loin, me dit-on, d’être au complet. Devant la sellerie,
autour.d’un énorme feu, ses quatre chevaux'
et ses trois mules mangeaient leur herbe, sous la
surveillance de palefreniers êt d’un piquet de fusiliers;
une autre troupe de fusiliers et des pages se
chauffaient, ou dormaient autour d’un grand feu,
devant sa tente ; celle de la Waïzoro était enveloppée
d’une obscurité discrète, qui laissait peine
distinguer les eunuques de garde. Les hennissements
des chevaux et des mules, le tapage qu’ils faisaient
en s’entrebattant, et les'cris et la rumeur qui s’élevaient
du camp, cessèrent vers le milieu de la nuit,
mais le bourdonnement des conversations dura jusqu’au
point du jour.' Les femmes, et il y en avait
beaucoup, entretinrent cette vie nocturne par leurs
travaux et leur caquetage; à la lueur des feux, elles
s’occupaient de l’émondage des grains, de leur mouture
ou de celle des condiments qui servent de
base à leur cuisine, ou bien elles préparaient ces
provisions faciles à conserver et offrant une ressource
durable sous un petit volume. Bon nombre
de soldats oubliaient le sommeil pour suivre avidement
des yeux ces préparatifs appétissants, d’au-
^ très pour se donner le plaisir d’escarmoucher et
de s’escrimer de la langue avec les travailleuses.
Celles-ci, comme on le devine, n’étaient point en
reste, et plusieurs fois pendant la nuit, quelque vif
dialogue, quelques bouts-rimés lancés à propos soulevaient
des huées ou des éclats de rire qui faisaient
grommeler les dormeurs. Si la présence des
femmes dans un campement entraîne de nombreux
inconvénients, elle a du moins l’avantage de préserver
souvent des attaques de nuit, car les femmes
remplissent presque toujours le rôle des oies du
Capitole. Ce sont elles qui portent les ustensiles
servant à faire le pain et la cuisine, et qui assurent
le plus économiquement la nourriture; elles
supportent admirablement les fatigues et les privations,
ne cessent de travailler avec un entrain merveilleux,
èntretiennent la gaîté et soutiennent le
moral des troupes. Les conversations se ralèntirent
un peu avant le jour. La nuit m’avait paru courte,
tant la nouvelle vie qui s’ouvrait pour moi m’accueillait
avec ce charme souriant des choses qui
commencent. Bêtes et gens semblaient heureux de
reprendre cette intimité que fait naître une aventure
commune. A l’aurore, les hennissements des
chevaux donnèrent le signal des apprêts du départ;
la tente du Prince s’ouvrit, et, aux premiers rayons
du soleil, nous laissions derrière nous, sur l’herbe
foulée, les huttes vides et béantes de notre premier
campement.