donner à mon cheval, qui partageait ma demeure et
que je souhaitais de pouvoir manier de façon à faire
honneur à celui de qui je le tenais.
,Nous étions à l’époque de la révision annuelle des
investitures. Pour bien apprécier l’importance de cette
mesure dont la portée est à la fois politique, administrative
et domestique, et en faire ressortir l’esprit, il est bon
de revenir brièvement à ce qui a été dit relativement
à la transformation des constitutions éthiopiennes.
Lorsque les Atsés voulurent constitqer leur puissance
comme celle des Empereurs byzantins, ils durent
d’abord substituer au droit national, qui répartissait
les pouvoirs, le droit byzantin, qui les concentrait, et
ils prirent pour complices les Likaontes et ceux qui formaient
avec eux le haut tribunal, ainsi que ces hommes
faisant en quelque sorte partie du clergé , qui avaient
grandi dans ses écoles, et qui, sous la dénomination de
clercs, servaient de chantres aux offices, remplissaient
dans l’église tous les services qui n’exigeaient pas l’ordination,
et fournissaient les professeurs de grammaire
d’histoire, de théologie, de philosophie et d’autres
sciences tombées aujourd’hui en oubli. Enfin, comme
il leur fallait aussi le glaive, ils intéressèrent à leur complot
les Polémarques, expression de l’élément militaire.
C’était, certes, un dessein hasardeux que celui de
cette poignée d’hommes, entreprenant d’enlever à une
nation le droit qui faisait sa vie, et dont chaque citoyen
était le défenseur naturel, puisqu’il y puisait la
raison de son importance. Mais la victoire devait rester
au petit nombre, qui formait la partie la plus instruite
de la nation, et qui avait le plus d’ensemble et
d’unité de vues.
Les clercs, par leur enseignement, semèrent adroitement
les équivoques, pervertirent la raison publique, le
sentiment des rapports des droits et des devoirs, et, en
troublant la croyance religieuse, ils relâchèrent le dernier
lien capable de relier les hommes, que l’intérêt
tend trop souvent à désunir.
Tantôt par la ruse, tantôt par la violence, ils désagrégèrent
la société et pénétrèrent dans toutes ses parties.
Les Empereurs, ne pouvant détruire la famille, la
désorganisèrent. Ils se substituèrent à la commune,
qu’ils laissèrent subsister de nom, mais comme mécanisme
fiscal, et ils firent de même de la province. A
l’exemple des Romains, dans la Gaule, ils concentrèrent
l’autorité dans les cités : le camp du Polémarque, quoique
mobile, prit le nom de Kattama, qui veut dire cité,
et les villes furent désignées par un nom qui veut dire
paroisse. Comme dans tout gouvernement despotique,
de l’aristocratie éthiopienne il ne resta bientôt plus
qu’un simulacre représenté par des titres, humiliants
pour ceux qui les portaient légitimement, puisqu ils ne
constataient plus que leur déchéance, dégradants pour
ceux qui les devaient à la seule volonté du Prince ou à
d’autres sources illégitimes.
Le peuple éthiopien a perdu la connaissance des
longues et sanglantes vicissitudes de la lutte qu’il a
soutenue contre le droit impérial; mais il en a conservé
le sentiment, et, d’accord avec les rares traditionnistes
en état de relater aujourd’hui les principales phases de
cette sombre histoire, il accuse les clercs d’avoir pris la
part la plus importante dans le grand bouleversement
social qui a amené sa décadence. Il s’est réfugié dans
les mots, recours ordinaire des faibles et des vaincus,
et il a converti en injure le mot de Debtera, qui signifie
clerc, et qui implique aujourd’hui l’idée d un homme
instruit, subtil, mais rusé et le plus souvent voué à l’esprit
du mal,