
G L A C E R I E ,
O U
L’ART DE FABRIQUER LES GLACES.
C E T art de fabriquer les glaces, inconnu des
anciens , eft une des inventions les plus brillantes
des modernes.
On fait des glaces foufflées à la manière de V enife,
& des glaces de grand volume, qu’on nomme autrement
glaces coulées.
Nous allons faire connoître la fabrique des unes
& des autres.
Nous commençons par ces dernières, fur lef-
quelles nous avons l’avantage de donner un mémoire
nouveau & très - détaillé de M. A llut, qui
mérite toute confiance par fes profondes connoif-
fances en plus d’un genre, fur-tout dans la fabrique
des glaces coulées, qu’il a été à portée de fuivre &
d’étudier.
Glaces coulées.
La glacerie , ou l’art de fabriquer des glaces , eft
iine branche de la verrerie , & l’une des plus heu-
reufes applications que l’efprit humain put jamais
faire de cette fcience. Par elle , avec le fecours de
l ’étamage , nous nous peignons à nos propres
y eu x , nous obtenons la représentation la plus fidèle
des objets , & la décoration la plus noble de nos
habitations. J
Les Vénitiens furent long-temps feuls en poffef-
lion de ce genre de fabrication ; mais ils fe font toujours
bornés à fouffler des glaces. Le grand Colbert,
dont les vues fublimes tendirent toujours à enrichir
fa patrie, en lui rendant propre l’induftrie de fes
voifins , parvint à établir en France une heureufe
concurrence avec les Vénitiens , & bientôt nous
furpaflames nos maîtres. La méthode du .coulage,
inventée par les artiftes François, celle que nous
confiderons ic i , fournit un moyen admirable par
fa fimplicité, de produire des glaces dont l’étendue
n’a , pour ainfi d ire, de bornes nue celles prefcrites
par la nature. En effet, on n’eft arrêté que par le
refroidiffement, qui, feul > peut s’oppofer à la plus
grande extenfion du verre.
La glace devenue miroir, étant deftinée à nous
tranfmettre , parla réfleftion , l’image des objets
avec la plus exaôe fidélité., elle doit réfléchir également
dans toutes fes parties ; fon épaiffeur doit
donc être égale dans tous les points ; fes furfaces
parfaitement planes & polies ; enfin fa couleur telle,
que celle des objets repréfentés n’en foit pas altérée :
«feff par ces confédérations, q u e nous définirons la
glace, un plateau de verre, par-tout d'une èg ale épaiffeur,
dont les furfaces font parfaitement droites, 6» qui
tranfmet l'image des objets , fans rien changer à le un
couleur, ni à leur figure»
En confidérant la glacerie comme une branche de
la verrerie , les principes généraux de cette dernière
trouvent ici une nouvelle application. Le glacier,
comme les autres verriers, a befoin d’une fubftance
refra&aire, pour en conftruire fes creufets & fon
four, & il emploie l’argille à cet ufage ; comme
eux, par le fecours de fondans alkalis fixes , il met
en fufion des fables , des grais pulvérifés , ou toute
autre terre vitrifiable ; comme eux, il colore fon
verre au moyen de la manganèfe ; comme eu x , il
doit marcher au flambeau de la chymie & de la minéralogie
: nous renvoyons donc, pour la connoif-
fance des terres , fables , fondans, & autres matiè?
res premières, aux articles qui en traitent particulièrement
, & nous nous contenterons de décrire cô
qui eft relatif à l’art de couler des glaces.
i°. Nous difcuterons quelle eft la couleur de verre
la plus propre à la fabrication des glaces.
a°. Nous expoferons les motifs ,qui engagent le
fabricant de glaces à employer pour fondant, l’alkali
minéral, ou alkali de fonde , plutôt que l’alkali
v égétal.
3®. Nous donnerons les méthodes ufitées, pour
extraire de la foudè l’alkali qui y eft contenu.
4°. Nous traiterons de lacompofition du verre à
glaces, & de l’opération delà fritte.
5°. Nous décrirons les fours de glacerie , &
les divers creufets employés dans ce genre de
ver rerie.
6°. Nous traiterons du tifage.
7°. Nous ferons connoître les opérations fuccef-
fives, qui donnent au verre la forme des glaces ,
& nous décrirons les outils employés à ces opérations.
8°. Nous traiterons de la recuiffon des glaces
brutes , & nous décrirons les fours à recuire.
9°. Nous fuivrons avec exaâitude les apprêts des
glaces dans toutes leurs parties.
io°. Enfin , nous terminerons ce traité par une
d efc ription de l’étamage.
De la couleur du verre propre à faire des glaces.
D’après la définition que nous avons donnée de
la glace, il paroît que 1§ verre qui la forme, ne
devroit avoir aucune couleur : en effet, un verre
coloré teindra néceffairement l’image des objets,
dont il nous tranfmettra la repréfentation. Il fau-
droit donc que fa tranfparence égalât la limpidité
de l’eau ; mais c ’eft principalement ce verre tranfoa-
rent & fans couleur aflignable , qu’on défigne fous
le nom de verre blanc. Suivant nos principes , on
ne balanceroit pas à prononcer, que le verre le plus
blanc, eft le plus propre à faire des glaces. Cette
opinion féduifante, au premier coup d’oeil, n’eft
cependant pas exempte de difficultés : M. de Mon-
tamy l’a combattue, avec force, dans un mémoire'
que l’on trouve à la fuite de fon ouvrage pofthume
nir les couleurs pour la peinture en émail. Il penfe
au contraire que la couleur blanche eft la plus mau-
vaife pour les glaces ; que la noire eft celle que
l’on doit préférer ; & il reconnoît les couleurs
comme meilleures , à mefure qu’elles s’éloignent
le plus du blanc , & fe rapprochent le plus du
noir.
Les phyficiens fe font fi peu occupés de cette
matière, & nous avons fi peu d’écrits à ce fujet,
que nous ne voyons pas de moyen plus sûr de fixer
nos idées , que de comparer l’opinion dé M. de
Montamy,avec l’opinion la plus généralement reçue
des confommateurs , q u i, jufqu’à préfent, paroif-
fent faire le plus de cas des glaces les plus blanches.
Nous allons expofer les obfervations de M. de
Montamy , avec la plus grande exaftitude ; pré-
fenter fes obje&ions avec la plus grande force , &
nousefpérons enfuite combattre fon fyftême vicfo-
rieufement.
>» On peut donc conclure , ( dit-il, page 254)
» que, de toutes les couleurs , le noir étant celle
v qui renvoie le moins de rayons qui lui foient
v> propres, cette couleur ne porte point de confu-
« fion parmi les rayons de l’objet qui font réfléchis
J) dans l’oe il, & par conféquent que l’objet doit être
» vu dans cette glace ( la noire ) avec la plus grande
v vérité, & la plus grande précifion. *t
Telles font les expreffions de M. de Montamy :
étendons un peu fon idée.
Le blanc eft de toutes les couleurs, celle qui
réfléchit les rayons de lumière dans leur plus grande
perfeâion, & avec le plus d’exaâitude. Une glace
parfaitement blanche, renverra donc vers nos yeux
les rayons de lumière qui l’ont été frapper direâe-
ment, en bien plus grand nombre qu’aucune autre
glace, de quelque couleur qu’elle puiffe être, &
ces rayons directs n’auront fouffert qu’une réfection.
Les rayons qui viennent peindre dans nos
yeux les objets repréfentés par la glace, n’y parviennent
qu’après deux réfleâions. Réfléchis- de
oeflus les objets fur le miroir , ils font de nouveau
réfléchis par le tain, ôt viennent produire dans nos
yeux l’image des objets fur lefquels ils étoient directement
tombés. Ces rayons doivent donc avoir
moins d’a&ivité que les rayons direâs du miroir
blanc, & conféquemment leur aélion fur l’organe
de la vue fera bien moins forte que c e lle des rayons
dire&s, & fera néceffairement troublée par celle-ci.
Donc la glace blanche ne repréfenterà pas les objets
avec une exa&itude & une précifion complettes.
La glace noire produira un effet different. Le noir
eft l’abfence de toutes les couleurs : les corps noirs
réfléchiffent très-peu de rayons de lumière, & feulement
ceux qui font néceflaires pour les faire apper-
cevoir : dès-lors, les rayons direfts de la glace noire
ne troubleront, ni par leur nombre , ni par leur
éclat, l’a&ion des rayons qui forment dans le miroir i l ’image des objets : donc la glace noire devroit rendre
l’image des objets plus nette & plus précife qu’aucune
autre.
Nous venons d’expofer les principes qui fervent
de fondement au fyftême de M. de Montamy. Il
eft difficile de concevoir comment le noir , réflé-
chiffant très-peu des rayons qui lui font propres ,
il peut réfléchir efficacement les rayons qui le frappent,
après avoir déjà* fouffert une première réflec-
tion. N’ablbrbe-t-il pas également les uns & les
autres ? D ’ailleurs, les féconds ayant moins de force
que les premiers, ne feront-ils pas réfléchis avec
moins de force que ceux-ci ?
M. de Montamy propofe, par l’addition du bleii,
du rouge & du jaune f en dofes convenables , de
former dans le verre le noir qui, étant une defiruc-
tion de couleurs, n y en laijfe appercevoir aucune ,
( Pag; 247 )• Cette manière de s’exprimer porteroit
à croire que, ce qu’il appelle noir, n’eft autre chôfo
que la couleur inaflignable que je demande , &
dans ce cas , mes objeâions ne feroient qu’une
difpute de mots : mais appellêr verre noir, le verre
fans couleur aflignable, que j’appelle, avec tous les
artiftes, verre blanc, ce feroit employer une expref*
fion inufitée, qui pourroit induire en erreur des
lefteurs trop peu éclairés, ou trop confians. Sous
ce point de vue , nous ferions encore fondés à tâcher
de prévenir les fauffes induâions qu’on tire!
roit aifément de la théorie de M. de Montamy. Il
paroît cependant que l’opinion de cet auteur va
plus loin, & qu’il fouhaite en effet qu’on donne
aux glaces une couleur foncée & approchante du
noir, puifqu’il indique, pour y parvenir, l’addition
du bleu, du rouge & du jaune, en très-fortes dofes
du moins quant au bleu & au jaune, ( 3 onces de
bleu, 3 onces de rouge, & 2 onces de jaune par
quintal de compofition ) & que d’ailleurs il énonce
dans l’ordre fuivant, les couleurs plus ou moins
favorables aux glaces, le noir, le v e rd , le bleu, le
rouge, le jaune & le blanc.
Pour vérifier, par l’expérience , l’affertion deM.
de Montamy , à un verre blanc très-mince, de la
couleur propre duquel on étoit par conféquent en
droit de faire abftra&ion , j’ai appliqué un carton
peint en fix zônes, noire, verte, bleue, rouge,
jaune & blanche, & voici ce que j’ai obfervé. La
repréfentation des objets produite par lejfond noir,
étoit très-diftinâe , fans confufion ; le trait du
tableau, fi l’on me permet cette expreffion , étoit
parfaitement arrêté. L’image rendue par le fond