
ville , dix-neuf fours à garance , & l’on évalue le
produit annuel de chacun de ces fours à cent milliers
pefant.
Il eft difficile d’eftimer au jufte la quantité de
garance qu’une certaine étendue de terrain peut
porter ; vu la qualité différente de la terré, oc la
diverfité d’accidens auxquels la récolte eft expofée.
En général, on tire de chaque arpent, depuis trois,
jufqu’à fix cents livres de garance.
Étuve employée à Lille.
Cette étuve diffère peu de celle que les braffeurs
emploient pour deffécher l’orge germé ou la dreche,
& qu’on nomme tourailles. Pour en donner une idée
générale , il faut imaginer un fourneau dans lequel
on allume un grand feu , & que ce fourneau
eft établi au fond d’un fouterrain ; l’air chaud & la
fumée s’élèvent dans une tour à jour, établie au
deffus du fourneau : on la nomme , dans les braf-
feries, truite. L’air chaud & la fumée fe répandent
dans un efpace formé en entonoir ou en pyramide
renverféè , dont la bafe eft couverte par un plancher
à jour , fur lequel on étend les racines de
garance.
Un défaut des étuves de Lille, eft que la fumée
qui fe mêle avec l’air chaud, & qui traverfe lès
racines de garance , les charge de fuliginofités qui
altèrent probablement la partie colorante, & qui
produifent peut-être là différence qu’on remarque
entre les garances qui viennent du Levant & celles
de Lille; celles-ci n’étant point propres comme on
l’a dit, à teindre les cotons à la manière du Levant.
D e plus, on n’eft point maître de graduer convenablement
le feu dans ces fortes de tourailles.
On pourroit corriger ce défaut en faifant la tour
du milieu c lofe, & en la terminant par un tuyau de
fer fondu ou de forte tôle, qui porterait la fumée
dehors.
On pourroit encore fe difpenfer de faire le plancher
avec des barreaux de fer & des carreaux ; un
plancher de bois latté ou garni de claies & d’un
grillage de fil de fe r , ferait fuffifant ; car une fois
que la tour fera clofe & terminée par un tuyau , on
ne craindra point le feu.
Étuves employées à Corbeilles.
On a conftrait à Corbeilles deux étuves, l’une
après l’autre, pour deffécher la garance.
La première de ces étuves avoit vingt-un pieds
de long, onze de large , dix de hauteur ; -elle étoit
garnie dans le pourtour de trois rangs de claies en
forme de tablettes de quatre pieds de largeur , qui
étoient à diftance de vingt pouces l’une de l’autre ;
le premier rang étoit à cinq pieds de terre ; c’étoit
fur ces tablettes qu’on mettoit la garance franche ,
à huit pouces environ d’épaiffeur. Il y avoit au
plancher fupérieur, une trappe qu’on ouvrait pour
laiffer exhaler l’humidité de la racine.
Le fourneau étoit faillant d’environ trois pieds
dans l’étuve ; on le fervoit par dehors ; il étoit garni
intérieurement de tuyaux de fonte qui circuloient
entre deux feux ; ces tuyaux recevoient par en bas
l’air intérieur, qu’ils rendaient en dedans très-chaud,
par une ouverture placée à deux pieds de terre.
Voici l’effet de cette étuve. Les trois étages ayant
été garnis de racines ; celles qui étoient fur l’étage le
plus é le v é , féchoient fuffifamment pour pouvoir
être portées au moulin. Elles féchoient lentement à
la vérité , parce que l’évaporation, quoique peu
confidérable qui fe faifoit fur les deux étages inférieurs,
fourniffoit par deffous les claies du trôifième
rang , une humidité qui retardoit l’opération. La
chaleur qui n’avoit pas affez de force pour réduire
en vapeurs toute l ’humidité contenue dans la racine
de la garance des deux premiers étages , en avoit
affez pour la faire fuer au point que le deffous des
claies étoit rempli de gouttes d’eau groffes comme
le bout du doigt, & qui tomboient de la fécondé
tablette fur la première, où elles mouilloient la
racine ; celles de la première tablette tomboient à
terre. On ne voyoit que très.-peu de gouttes d’eau
à la tablette d’en haut ; mais feulement & immédiatement
après qu’on avoit regarni l’étuve de nouvelles
racines , parce qu’en haut de l’étuve, la chaleur
fe répandoit bien plus également, & y étoit
toujours très-forte, pendant qu’en bas & vers la
terre il faifoit froid.
On avoit mis à chaque étage un thermomètre
de M. de Reaumur. Après quatre jours d’un feu
continuel, le plus bas montoit à peine à 18 degrés,
le fécond un peu plus ; le plus élevé n’a jamais paffé
27 degrés, chaleur qu’on croit prefque fuffifante ,
lorfqu’il n’y avoit pas une évaporation inférieure
qui retarde l’effet de la chaleur qui fe porte en
haut : ce qui le prouve , c’eft qu’après avoir porté
au moulin la racine fuffifamment féchée, on tranf-
portoit fur le trôifième étage celle du fécond ,
déjà efff orée ; fur celui-ci, celle du premier, encore
molle ; enfin , l’on mettoit fur le premier étage de
la racine fraîche ; alors le thermomètre d’en bas
defcendoit au deffous de 14 degrés, & le plus haut
auprès de zéro.
Cela fit prendre le parti de fécher tout, ce qu’on
mettoit dans l’étuve, avant que de mettre de nouvelles
racines ; mais il fallut toujours faire le tranf-
port des étages d’en bas au plus élevé, où la dernière
rangée féchoit plus vite que les autres.
Cette manoeuvre étoit longue & pénible ; elle
fit prendre le parti de détruire cette première
étuve, & d’en, conftruire une nouvelle qui a fervi
depuis.
CÎette fécondé étuve avoit même longueur &
même largeur que la précédente ; mais les claies fur
lefquelles on étendoit la garance , n’étoient élevées
qu’à fix pieds de terre, & les ouvertures du
fourneau qui dominent l’air chaud , étoient à raz
de terre ; d’ailleurs on avoit continué à fe prévenir
du faux avantage de tripler la fuperficie , pour
faire tenir une plus grande quantité de racines ,
eu faifant ? comme dans l’autre, trois étages de:
tablettes.
tablettes. Il eft vrai que les racines y féchoient plus
v ite , parce que les fourneaux donnoient plus de
chaleur : mais cette chaleur fe diftribuoit très-inégalement
dans les différentes hauteurs & dans les
diverfes parties de la longueur de l’é tuve, parce
que les mêmes inconvéniens fubfiftoient, ayant
établi, comme à l’autre , plufieurs étages les uns
au deffus des autres , & que l’on avoit donné à
l’étuve une forme longue , fans en avoir fait parcourir
toute l’étendue au fourneau : on avoit encore
mis le plancher du premier étage trop près du
feu.D
e tous ces faits il réfulte que pour deffécher
la racine de garance , qui contient beaucoup d’humidité
, 011 ne gagnera jamais rien à faire une
étuve à trois étages , dont l’un nuira toujours a
l’autre, parce que la chaleur gagnant néceffairement
plus haut, on fera obligé d’y tranfporter la racine
des étages inférieurs ; ce qui ne peut fe faire fans
perte de temps & fans dépenfe ; au lieu qu’on
pourra fécher la même quantité en moins de temps
fur un feul plancher élevé de 18 ou de 20 pieds au
deffus du fourneau.
Etuve de M. Duhamel.
Il faut, pour conftruire une étuve telle que celle
de Lille , de fortes murailles qui foutiennent la
pouffée des voûtes ; des arcs-boutans intérieurs ; de
la brique pour conftruire ces voûtes : il faut auffi
beaucoup de gros fer pour le plancher.
D ’un autre côté , une étuve de la figure d’un
carré long , telle que celle de Corbeilles , ne chauffera
jamais bien également dans toute fa longueur,
à moins qu’on n’y établiffe des tuyaux dans lefquels
©n faffe circuler la fumée avant qu’elle fe rende
dans la cheminée, ou bien qu’on n’y place un fourneau
à chaque bout : tout cela eft de dépenfe &
fujet à de grands inconvéniens.
M. Duhamel a cru devoir propofer une étuve
dans le goût d’une touraille de braffeur , qui ferait
plus que fuffifante, & qui pourroit être conftruite
par-tout à peu de frais. Une pareille étuve fera
affez grande en la faifant quarrée de 18 pieds fur
toutes lés faces; de 18 à 20 pieds de hauteur du
rez-de-chauffèe jufqu’au plancher. On formera
deffus ce plancher une pyramide renverfée, un
peu tronquée par en bas , pour l’emplacement qu’il
faut laiffer au fourneau , qui doit échauffer l’air
dans l’intérieur de la pyramide. Cette efpèce de
hotte renverfée fera faite comme celle des braffeurs
de Paris , avec des chevrons lattés , & revêtus de-
plâtre ou mortier, ou de torchis , ou de blanc en
bourre , fuivant la commodité ?du pays.
Il ne faut pas un fourneau immenfe pour chauffer
ce lieu, qui fe trouvera réduit prefqu’à un tiers de
fa capacité.-
La nouvelle étuve de Corbeilles en contient bien
davantage depuis le fécond plancher jufqu’en bas ,
& 011 n’a pas laiffé d’y porter la chaleur jufqu’à
Arts 6* Métiers, Tome III. Partie /.
plus de 4S degrés. On fera le plancher de la tou-
raille avec des folives de 6 & 4 pouces, po ees
fur le champ de pied en pied ; & ce plancher era
couvert de lattes , ou d’échalas de treillageurs , ou
fimplement de clayonnage , comme on a tait a
Corbeilles , où ils ont duré plus de fix ans.
On élevera deux pignons ; & fur les deux autres
fours des murs ou pans pour porter le bout des
chevrons ; & on y établira deux fenêtres.
On fera un plancher pour la fumée , à 8 ou 9
pieds en deffus du clayonnage , & on y pratiquera
une ou plufieurs trappes , qui font plus utiles pour
l’exhalaifon des vapeurs que les fenêtres; enfin on
lambriffera les chevrons apparens. i
Sur le plancher de clayonnage qui porte la
garance , il fera bon d’étendre une groffe toile fort
claire ; ou une haire de crin , comme les braffeurs
le pratiquent, & dont tout le pourtour fera recouvert
par des efpèces de foubaffemens de toile,
arrêtés tout autour, & cloués d’efpace en efpace ,
ce qui fera fur-tout fort utile'quand on fera lecher
en particulier les mêmes racines, & pour empecher
qu’il n’en tombe à travers les claies.
A un pied au deffus des racines on pourra mettre
des traverfes de bois , fur lefquelles on etendra
des nattes de pailles* piquées fur de la toile : cette
couverture fervira à retenir les vapeurs. r
Il y a lieu de croire qu’une pareille étuve coûtera
peu , & fera tout l’effet defiré. Au refte , elle eft
fimple , & on peut en varier la conftruâion , fuivant
la commodité ou la nature des matériaux qui
fe trouvent le plus communément dans chaque
province.
Fourneau de Vétuve.
Les fourneaux de l’étuve de Lille & ceux de
l’étuve de Zélande , ne font pas bons , dit M.
Duhamel, pour le defféchement de la garance,
non plus que ceux des tourailles des braffeurs. Ils
ont tous le même défaut, en ce qu’ils rempliffent
l’étuve d’une fumée , qui ne peut fe diffiper qu’après
avoir traverfé la racine , & lu i avoir imprimé
un enduit de biftre fort nuifible à la teinture ; c’eft
cet inconvénient qui a donné lieu à rechercher la
façon d’en conftruire un , q u i, en donnant beaucoup
de chaleur , n’eût point cette incommodité.
Il paraît probable qu’on pourra réuffir, en plaçant,
au lieu de la truite, une tour fermée , d’où
partiroient des tuyaux, qui circuleraient fous la
garance, avant de porter la fumée au dehors par le
tuyau.
On augmenterait encore beaucoup la chaleur ,
en faifant circuler d’autres tuyaux entre deux feux^
pour répandre dans l’étuve un air chaud , qui ferait
tiré dehors , & qui fe répandrait continuellement
dans l’étuve.
Enfin , fi l’on veut employer la touraille des
braffeurs , on peut le faire avec fuccès ; mais il faut
trouver un moyen d’empêcher que la fumée ne tra-,
j verfe les racines.
S