
Autour du four font les murs de la halle bien J
bâtis en pierres de taille : il règne fur ces murs
intérieurement, des ouvertures comme celles des
fours ordinaires ; & à deux pieds & demi du rez-de-
chauffée , eft le plancher de ces ouvertures qui peuvent
avoir quatre tcifes & demie de profondeur.
Ces petits fours , appelés carquaifes, lont deftinés
pour faire recuire les glaces lorsqu'elles font coulées.
Le verre qui forme les glaces , eft compofé,
comme il a été di t , de foude & d’un fable très-
blanc qui fe tire du côté de Creil. Il y a plus de
deux cents perfonnes occupées fur des tables, dans
les falles, à nettoyer & trier la fonde & le fable ,
pour en ôter les corps étrangers.
L e tout eft enfuite lavé plufieurs fois & féché au
point d’être mis en poufîière dans un moulin à pilons
, que des chevaux, les yeux bandés, font
mouvoir.
On paffe ce fable dans des tamis de foie, & on le
porte lécher dans des réduits pratiqués aux coins
du four à quatre pieds & demi du rez-de-chauffée,
pour delà ie'faire fondre dans les pots.
Le grand four, dont on vient de parler, n’eft
échauffé qu’aprés avoir cônfumé cinquante cordes
de bois. Pour lors il eft en état de fondre la foude
& le fable.
On lui conferve cette chaleur en y jettant continuellement
du bois. C ’eft l’occupation de deux
hommes en chemife, qui font relayés de fixireures
■ en fix heures.
Le four contient plufieurs pots en forme de creu-
fets de la hauteur de trois pieds, & d’environ trois
pieds de diamètre, d’une terre bien cuite & d’une
couleur tirant fur celle du tripoli.
Ces pots étant dans le four, l’on y enfourne la
foude & le fable ; ce qui fe fait par les ouvriers
du coulage, qui ont en main une pelle de fer en
forme d’écope à vider l’eau d’un bateau, & pleine
de foble ou de foude. Ils paffent tour-à-tour devant
le maître tifèur, qui met fur chaque pelletée une
pincée de compofition pour en faciliter la fonte, &
ils jettent les pelletées dans les pots jufqu’a ce qu’ils
foient pleins.
La foude & le fable féjournent dans les pots pen-
' dant trente-ftx heures ; & au bout de ce temps la
matière eft prête à couler.
C ’eft alors que tous les ouvriers s’apprêtent à
cette opération. On commence à furvider, avec
«ne grande cuiller de fer ou de fonte, la matière
d’un des pots dans une cuvette qui fe met dans le „
four pour cet effet : cette cuvettte eft de la même
terre que les pots, & peut avoir trente - fix pouces
de long fur dix-huit de large & dix-huit pouces de
haut.
Il y a le long de ces cuvettes des hoches de trois
pouces de large, pour qu’elles piaffent être arrêtées
aux côtés du chariot qui doit porter les cuvettes
chargées de la matière à couler.
Ce chariot eft tout de fer & fort bas ; fa queue
forme une pièce carrée, de façon qu’étant fermée
elle embraffe la cuvette dans fes hoches.
Le deux côtés de cette pièce alongés en X , forment
lé brancard du chariot. Le mouvement de
cette pièce -fe fait fur l’efSeu du chariot , où il y
a une groffe cheville qui le traverfe & qui s’arrête
par une clavette. L’on arrête la cuvette chargée
fur le chariot, avec une chaîne de fer du côté du
brancard.
Plufieurs ouvriers voiturent le chariot vis-à-vis
de l’une des carquaifes allumée où doit fe couler
la glace, fur une table de fonte pofée de niveau à
la hauteur du plancher de cette carquaife. Cette
table a dix pieds de long fur cinq pieds de large ,
étant pofée lolidement fur un pied de charpente.
L’on pofe parallèlement fur cette table, deux
tringles ou réglets de for plat de l’épaiffeur que l’on
veut donner à la glace , ot qui fervent aufli , par
leur écartement, pour en-fixer la largeur. Au côté
droit de la table, l’on pofe une machine en forme
de grue , qui tient par en haut au mur, & finit par
bas à un pivot pour la faire rouler fuivant le be-
foin.
Cette machine a environ trois toifes de haut, fa
traverfe une toife, & la pièce de bois montante
huit à dix pouces d’épaiffeur : elle eft mobile & fe
tranfporte à toutes les carquaifes. Sonufage eft
d’enlever la cuvette au deffus dé la table, par le
moyen de deuxbarres.de fer de neuf pieds de long,
forgées de façon à embraffer la cuvette , pour pouvoir
l’incliner •& en faire couler la matière fur la
table.
Il y a quatre chaînes de for pour foutenîr la pince ;
elles fe réunifient à une groffe corde qui paffe par
deux poulies dans la traverfe de la potence. Le tout
hauffe ou baiffe à l’aide d’un cric.
Il y a au pied de la table fur deux chevalets de
charpente, un'rouleau de fonte de 5 pieds de long &
d’un pied de diamètre. Ce rouleau étant pofé fur les
tringles de la table, l’on élève la cuvette au deffus
de la table, & pendant cette opération , elle eft conduite
par deux hommes, qui, tenant les deux côtés
dès barres qui la faififfent en forme de pince, font
faire la bafeule à la cuvette pour renverfer la matière
au devant du Vouleau qui eft-tenu par deux
autres ouvriers. Ceux - c i , avec promptitude, le
font rouler parallèlement fur la matière du côté de
la carquaife, & le font revenir par la même route
pour le remettre à fa place. Ces hommes ont la
moitié du corps & le vifage cachés d’une ferpillière
épaiffe, pour fe garantir des coups de feu.
Il y a aux trois côtés libres de la table, de petites
auges de bois pleines d’eau pour recevoir le fuperflu
de la matière qui vient d’être coulée. Les ouvriers,
pour le coulage , font au moins une vingtaine qui
s’entendent fi bien , que le fervice fe fait promptement
& fans confùfion , chacun ayant une exercice
particulier.
Lorfque la glace eft coulée , le directeur de la
manufacture examine s’il n’y trouve point de bouil-.
Ions ; s’il s’en trouve, tout de fuite on coupe la
glace eiï'Cet endroit.
La glace étant refrodie & décidée bonne ou fans
bouillons, on la pouffe de deffus la table dans la
carquaife, qui eft de niveau ; ce qui fe fait avec un
rateau de fer ’de la largeur de la table, & dont le
manche eft de deux toifes de longueur.
De l’autre côté de la carquaife ou en dehors ,
il y a des ouvriers avec des crochets de fer qui at- |
tirent la glace à eux , & la rangent dans là car- j
quaife. Elle peut contentir fix grandes glaces : quand
elle eft pleine, l’on en bouche les ouvertures avec
les portes qui font de terre cuite, & l’on maftique
tous les joints afin que les glaces foient étouffées
& mieux recuites. Elles reftent en cet état pendant
quinze jours, au bout defquels on les tire de la
carquaife avec de grandes précautions , pour les
encaiffer & les envoyer par eau à Paris, où on leur
donne le poli.
Il refte à dire que la fournée ou la quantité ordinaire
de matière préparée , fournit le coulage de
dix-huit glaces, qui s’accomplit en 18 heures; ce
qui fait une heure par chacune.
La glace, au fortir du four à recuire, n’a plus
befoin que de poliment ; & enfuite d’êrre mife au
tain, fi elle eft deftinée à être mife en miroir : tous
procédés fuffifamment décrits dans le Mémoire de
M. Allut.
Venife, comme on l’a dit plus haut, a été longtemps
feule en poffefiion de fournir des glaces à
toute l’Europe ; ce fut M. Colbert qui enleva aux
Vénitiens, un art qui étoit, en quelque forte , leur
patrimoine. Il fe trouvoit beaucoup d’ouvriers fran-
çois dans la manufa&ure de cette république ; il
les rappella à force d’argent. Ce miniftre, pour fa-
vorifer un établiflement fi utile, & qui exigeoit
,néceffairement beaucoup de frais, accorda en 1665
un privilège exclufif aux entrepreneurs : on ne con-
noifioit alors que les glaces foufflées ; c’étoit du
moins les feules que l’on faifoit à Mourra près de
Venife, enfuite àTour-la-Ville près de Cherbourg,
en Normandie.
Les grandes glaces ou les glaces coulées, ne furent
imaginées qu’en 1688, par Abraham Thévart.
La nouvelle compagnie demanda pour fa fabrique
un privilège exclufif. On établit d’abord les ateliers
à Paris ; puis on les transféra à Saint-Gobin, où ils
font encore préfentement.
L’ancienne compagnie pour les glaces foufflées ,
ne vit point ce privilège fans jàloufie. Il s’éleva
entre les deux compagnies plufieurs conteftations fur
l’étendue de leur privilège, à caufe de l’intervalle
& du vide qui fe trouveroit entre la grandeur de
quarante-cinq pouces, terme des plus grandes glaces
foufflées , & celle de foixante pouces à laquelle
commençoit le privilège des glaces coulées. D ’ailleurs,
ces glaces venant .à fe caffer formoient des
glaces de petites dimenfions, dont les propriétaires
youloient profiter. Çe$ diCçufiions ne purent être
bien terminées que par la réunion des deux privilèges.
L’établiffement que les privilégiés ont à Tour-la-
Ville , s’occupe uniquement des glaces foufflées.
Elles fortent brutes de cette manufaéhire : c’eft à
Paris que s’en fait l’apprêt, qui confifte, comme on
l’a dit, dans le douci, le p o li, & Xétamure.
Les glaces fe vendent en France, fuivant le prix
marqué par un tarif qui eft imprimé.
Il s’exporte beaucoup de nos glaces foufflées &
coulées, chez l’étranger. Les Vénitiens ont néanmoins
toujours confervé là majeure partie du commerce
des glaces foufflées, par le bon marché de
leur main-d’oeuvre. Il fe fait un grand débit de ces
glaces au Levant, & dans les colonies Efpagnoles
& Portugaifes. Les tremblemens de terre auxquels
ces pays font fujets , & qui obligent d’avoir des
maifons extrêmement baffes, empêcheront toujours
qu’on puiffé introduire, dans ces colonies , des
glaces d’un plus grand volume que celles des Vé-
niti'ens.
Glace peinte.
En 1745 à Port-Louis, on fit préfent à M. le
marquis de Rhotefin, d’un miroir de la Chine fur
la glacé duquel on voyoit une Chinoife à fa toilette
, un perroquet placé fur fon bâton, & un finge
en bas. Ce fut à cette occafion que M. D***, frappé
de la beauté de cette glace & de l’art avec lequel
elle étoit travaillée, chercha le moyen de l’imiter.
Il y réuflit en faifant defliner & peindre à la détrempe
& très-légérement, un deflin fur une feuille d’étain
avant qu’on l’appliquât fur la glace ; & après avoir
laiffé repofer fa peinture pendant deux ou trois jours,
afin que toute l’humidité s’évaporât, il fit fervir
pour étame la feuille d’étain fur laquelle il avoit
fait peihdre : à peine fut-elle exactement appliquée
à la glace, que la peinture fit un effet très-agréable.
Glace fecrète,
On a défigné , fous le nom de glace fecrète , de
nouvelles glaces très-propres à être mifes aux car-
roffes , aux falles de bain, aux croifées expofées
trop en vue ; elles -ont l’avantage de laiffer voir
tout ce qui fe paffe au dehors , fans que l’on puiffe
être vu. L’induftrie qu’on y emploie , confifte à y
tracer des lofanges, enforte qu’une partie de la
glace étant terne & dépolie , il n’en refte plus que
de petits carrés tranfparens , à travers defquels on
apperçoit diftinftement les objets. Il eft aifé de
fentir que l’oeil étant près de la glace, le rayon
vifuel n’a pas fouffert une grande divergence avant
de paffer par un des points tranfparens. La raifon
au contraire pour laquelle on n’eft point vu par ceux
qui paffent, c’eft qu’étant éloignés de la glace,
l’angle du rayon vifuel eft trop ouvert pour embraffer
un objet caché derrière cette glace, divifée
par des furfaces dépolies.
Nous parlerons ci-après des glaces confidérées
comme miroirs & verres d'optique & de phyfique ;