
Les -racines du manioc font communément plus
greffes que des betteraves : elles viennent toii-
jours trois ou quatre attachées enfemble. Il s’en
trouve des espèces qui mûriffent en fept ou huit
mois de temps ; mais la meilleure & celle dont
on fait le plus d’ufage , demande ordinairement
1 5 ou 18 mois en terre avant de parvenir à une
parfaite maturité : pour lors, avec un peu d’effort,
on ébranle les tiges, & les racines étant peu adhérentes
à la terre, elles s’en détachent fort aifé-
ment.
Préparation (les racines, pour en faire foit de la ca f
fave ou de la farine de manioc.
Les racines, après avoir été féparées des tiges,
font tranfportées fous un hangar, où l’on a foin
de les bien ratifier & de les laver en grande eau ,
pour en enlever toutes les malpropretés , & les
mettre en état d’être gragées, c’eft-à-dire, râpées
fur des grages ou groffes râpes de cuivre rouge,
courbées en demi-cylindre, longues & larges de
18 à 20 pouces, & attachées fur des planches de
trois pieds & demi de longueur, dont le bout d’en
bis le pofe dans une auge de bois, & l’autre s’appuie
contre l’eftomac de celui qui grage.
A force de bras, on réduit les racines en une
rapure groflière & fort humide, dont il faut extraire
le fuc avant de la faire'cuire.
Pour cet effet , on remplit des facs tiflùs de-
corce de latajiier ; on arrange ces facs les uns '
fur les autres, ayant foin de mettre des bouts de
planches entre deux ; enfuite de quoi on les place
fous une preffe, compofée d’une longue & forte
pièce de bois, fituée horizontalement & difpofée
en bras de levier, dont l’une des extrémités doit
être pafféè dans un trou fait au tronc d’un gros
■ arbre A , fig. 4 , pl. I I I , de l’indigoterie (tome 3
des gravures) ; on charge l’autre extrémité avec
de groffes pierres B , même figure..
Toute la pièce portant en travers fur la planche
qui^ couvre le plus élevé des facs D , C , C , il eft
aifé d’én concevoir l’effet : c’eft la façon la plus ordinaire
de preffer lé manioc.
On emploie quelquefois, au lieu de facs qui s’j j
fent en peu de temps, de grandes & fortes caiffes
■ de bois percées de plufieurs trous de tarrière ,
ayant chacune un couvercle qui entre librement
en dedans-des bords : on charge ce couvercle de
quelques bouts de foliveaux , par défiais lefquels
on fait paffer le bras du levier, comme on l’a dit
en parlant des facs.
Après dix ou douze heures de preffe, la rapine
<lii manioc étant fuffifamment dégagée de fon fuc
fuperflu, on la paffe. au travers dun hebïchet, ef-
pèce de crible un peu gros, & on la porte dans
la café ou lieu deftiné à la faire cuire., pour en
fabriquer, foit de la caffave , ou de la farine de
manioc.
Les Caraïbes ou Sauvages des Mes * ont une
autre invention fingulière, pour exprimer le fuc
du manioc. Ils fe fervent de la couleuvre, qui eft
une efpèce de panier à peirprès de la forme d’une
chauffe ou gros boyau, long de cinq à fix pieds,
fur trois pouces & plus de diamètre. G , fig. ƒ ,
même pi. III.
Ce panier efl tiffu de façon qu’il prête 8c s’élargit
à proportion de la quantité de fubftance qu’on y
met, fans pour cela- que les aiguillettes d’écôrce
dont il eft conftruit, s’écartent les unes des autres ;
il ne peut cependant s’étendre en largeur, qu’il ne
diminue confidérablement en longueur. »
A la partie fupérieure, toujours ouverte de la
couleuvre , eft une efpèce d’anfe très-forte| fervant
à la fufpendre à quelque chofe de folide au haut
de la café. L’extrémité inférieure eft fermée, fe
termine en pointe , au bout de laquelle eft une
forte boucle de la même matière que tout le refte
de cette forte de panier.
. Ufage de la Couleuvre.
On remplit ce panier de rapure de manioc ÿ
qu’un Sauvage preffe & refoule de fa main autant
qu’il le peut. On conçoit que dans cette aétion
la couleuvre doit s’élargir & par conféquent diminuer
de longueur.
Lorfque ce panier eft totalement rempli, le fau-
vage le fufpend par l’anfe au milieu de la café
cela fait , il met un bâton dans la boucle inférieure
(H , même fig. ƒ ) , & le paffant entre les.
jambes par deflbus fes feifes , il s’abandonne deffus
pour faire porter à la couleuvre tout le poids de
fon corps ; de façon qu’elle jM contrainte de s’allonger
en diminuant de diamètre. Alors là rapure
du manioc qu’elle contient , fe trouve tellement
refferrée & comprimée , que le fuc s’en échappe
& tombe à terre ; ou bien l’on attache à un bout de
la couleuvre un vaiffeau à anfe fort pefant, qui,
faifant en même temps la fonction de poids, tire
le fac avec force, en exprime le fuc de manioc,
& le reçoit.
Lorfque le Sauvage s’apperçoit qu’il ne découle
plus rien , il décroche la couleuvre , & en retire
la rapure qu’il fait cuire fur une platine, pour en
former la caffave dont il fe nourrit.
Manière de faire la Caffave►
Il faut avoir une platine de fer coulé, ronde ÿ
bien unie, ayant à peu près deux pieds & demi,
de diamètre, épaiffe de fix à fept lignes, & élevée
fur quatre pieds entre lefquels on allume le feu.
Lorfque la platine commence à s’échauffer, on
répand fur toute fa futface environ deux doigts
d’épaiffeur de la rapure paffée au crible , ayant
foin de l’étendre bien également par-tout, & de.
l’applatir avec un couteau de bois en forme de
fpatule.
On laiffe cuire le tout fans le remuer aucune-*
ment, afin quelës parties de la rapure , au moyen
de l’humidité qu’elles contiennent encore, puiflent
s’attacher les unes aux autres pour ne former qu’un
feul corps, qui diminue confidérablement d’épaiffeur
en cuifant.' Jgj
Il faut avoir foin de retourner cette rapure fur
la platine, étant effentiel de donner aux deux fur-
faces un égal degré de cuiffon : c’eft alors que
cette efpèce, ayant la figure d’un large croquet,
s’appelle cajfave. On la met refroidir à l’air où elle
achève de prendre, une confiftan.ee sèche , ferme
& aifée à rompre par morceaux.
Les Caraïbes font leur cajfave fort épaiffe; elle
èn paroît plus Blanche étant moins riflolêe, mais
elle ne fe conferve pas fi long-temps.
Avant que l’ufage des platines de cuivre fût
introduit parmi ces Sauvages, ils fe fervoient de
grandes pierres plates & fort minces, fous lef-
quelles ils àllumoicnt du feu & faifoient cuire leur
caffave.
Manière de faire la farine de Manioc.
La farine de manioc ne diffère de la cajfave ,
quen ce que les parties de la rapure dont il a
été parlé, ne font point liées les unes, aux autres ,
mais toutes féparées par petites grumeaux qui ref-
femblent à de la chapelure de pain, ou plutôt à
du bifeuit de mer groffièrement pilé.
Pour faire à-la-fois une grande quantité de farine
, on fe fert d’une poêle de cuivre à fond plat,%
d’environ quatre pieds de diamètre , profonde de
fept à huit pouces , & fcellée contre le mur de
la café dans une maçonnerie en pierre de taille
ou en brique , formant un fourneau peu élevé ,
dont la bouche, du foyer doit être en dehors du
mur..
La poêle étant échauffée, on y jette la rapure
du manioc ; & fans perdre de temps , on la remue
en tout fens avec un rabot de bois, femblable à
ceux dont fe fervent les maçons pour corroyer
leur mortier. Par ce mouvement continuel , on
empêche les parties de la rapure de s’attacher les
unes aux autres : elles perdent leur humidité &
cuifent également.
C ’eft a l’odeur favoureufè & à la couleur un
peu rouffâtre, qu’on juge fi la cuiffon eft exaéle ;
pour lors on retire la farine avec une pelle de
bois; on l’étend fur des nappes de greffe toile, &
lorfquelle eft refroidie, on l’enferme dans des barils
où elle fe conferve long-temps.
Quoique la farine de manioc ainfi que la caffave,
puiffent être mangées sèches & fans autre préparation
que ce qui a été dit, il eft cependant d’ufage
de les humeâer- avec un peu d’eau fraîche
ou avec du bouillon clair, foit de viande ou de
poiffon. Ces fubftances fe. renflent eonfidérable-
ment & font une fi excellente nourriture dans lés
pays chauds, que ceux qui y faut accoutumés la
préfèrent au meilleur pain de froment.
L’eau exprimée du manioc ou le fuc dangereux
dont il a été parlé ci-deffus, s’emploie à p’uificurs
cliofes. Les Sauvages en mettent dans leurs fauces ;
& après l’avoir fait bouillir, ils en ufent journellement
fans en reffentir aucune incommodité ; ce
qui prouve que ce fu c , par une forte ébullition,
perd fa qualité malfaifante.
Si l’on reçoit l’eau du manioc dans des vafes
propres, & qu’on la laiffe repofer, elle s’éclaircit ;
la fécule blanche s’en fépare & fe précipite d’elle-
même au fond des vafes. On décante comme, inutile
l’eau. qui fumage, & l’on verfe fur la fécule
une fuffifante quantité d’eau pour la bien laver :
on lui donne encore le temps de fe précipiter ; on
décante de nouveau ; & après avoir réitéré cette
manoeuvre pendant cinq ou fix fois , on laiffe fié?
cher la fécule à l’ombre. Cette fubftancé s’appelle
moue hache , mot efpagnol qui veut dire enfant ou
petit, comme qui diroit le petit du 'manioc.
La 1nouchache eft d’une extrême blancheur, d’un
grain fin , faifant un petit craquement lorfqii’elle
eft froifféç entre les doigts, à-peu près comme
fait l’amidon auquel elle reftembie beaucoup : on
Remploie aufîi de la même façon pour empefer le
linge. ■. ■ , , ‘ '
Les Sauvages en écrafent fur les defiins bizarres
qu’ils gravent fur lëurs ouvragés eii bois, de façon
que les hachures paroiffent blanches fur un
fond noir ou brun, félon la couleur du bois qu’ils
ont mis en oeuvre.
On fait encore avec la 7nouchache d’excellens
gâteaux ou efipèces de craquelins , plus légers -,
plus croquans & d’un meilleur goût que les échaudés
; mais il faut beaucoup d’art pour ne les pas
manquer.
Du Camanioc.
Prefque toutes les Mes produifent une forte
de manioc, que les habita ns du pays1 nomment
'nanioc ; le fuc n’en eft point dangereux,-comme
celui du manioc ordinaire; on peut même, fans
aucun danger, en manger les racines cuitès fous la
cendre. Mais quoique cette efpèce foit beaucoup
plus belle & plus fbrtp que les autres, on en fait
peu d’ufage, étant trop long-temps à pouffer &
produifant peu de caflave ou de farine. (Article de
M. Le Romain , dans Vancienne Fncylopêdie.
Explication des cinq Planches, concernant Pinh
digo & le Manioc, tome I I I des gravures.
P L A N C H E P R E M I È R E .
Travail du terrain pour planter VIndigo, & pour le
I. récolter.
Fig. 1 , perfpe&ive d’un terrain travaillé au râteau,
pour le planter eh indigo.
a , rateau. '
N n n n ij