
feulement orfèvre félon quelques autres, maïs
gentilhomme félon plufieurs, & véritablement de
l’ancienne famille de Zumjungen , qui avoit un
hôtel de ce nom. dans Mayence, & une efpèce
de palais nommé Guttemberg, dans le voifinage
de cette ville ; cet homme enfin très-indufirieux
imagina l’imprimerie à Strasbourg, & la perfectionna
, dit-on, à Mayence.
La première idée de Gutte»berg fut d’abord
un effai très-imparfait, ne conftftant uniquement
qu’en certaines planches de bois, fur lefquelles il
fe propofoit de graver à rebours & en relief les
lettres, les mots, 8c les périodes d’un difcoars
fuivi.
Après beaucoup de tentatives inutiles, ayant
déjà dépenfè prefque tout fon bien fans avoir pu
réduire cette théorie en pratique , défefpérant enfin
de pouvoir y. réuffir, Guttemberg découvrit
fon fecret ou plutôt fon projet à quelques riches
bourgeois de Mayence, qui l’aidèrent 8c s’affociè-
rent avec lui. Les feuls qu’on connoiffe font Jean
Medinbach , ou Meydenbach , dont on n’a con-
fervé que le nom ; & Jean Fuft, homme de très-
bonne famille de cette ville , originaire d’Afchaf-
fenbourg, & orfèvre de profeflion , qui contribua
beaucoup à l’avancement de ce.tte entreprife. Un
de fes domeftiques nommé Pierre Schoiffher ou.
Schoiffer , en latin Opilio, ce qui fignifie berger ,
natif de Gerneférheim dans l’éleftorat de Mayence ,•
ayant pénétré quelque chofe de leur fecret y fut
admis , & s’appliqua aufli avec eux à le perfectionner..
Ces divers affociés, à force de travailler,. rendirent
à la fin l’art de l'imprimerie praticable vers
l’an 145Q, en imaginant des planches de bois où
les. caraéfères & les mots é.toient. difpofés de droite
à gauche, comme, ceux des langues orientales ,
& taillés en relief comme fur la monnoie & fur
les médailles, 8c colorés d’une, encre épaâffe &
gluante; ifs impofèrent deffus ces planches des
feuilles de papier ou de parchemin trempé pour
en reçgvoir l’empreinte, qu’ils gliffèrent enfuite
dans une. preffe propre à les imprimer.. C ’eft ainfi
qu’ils parvinrent à faire l’impreffion, non-feulement
de quelques fimp.les livrets, tels qu’un alpha-
beth pour les petites écoles, & un donat, efpèce
de grammaire latine à l’ufage des baffes claffes,
mais même qu’ils imprimèrent un ouvrage affez
çonfidérable qui étoit une compilation de grammaire
, de rhétorique & de: poétique, fuivie d’un
ample diéUonna.ire , Sc intitulée Catholicon Johan-
nis Januenfis..
C ’eft encore de cette forte d’imprimerie groffière,
de caraâéres taillés en relief, que font fortis le
Donatus, le Confejjîonalia , livret i/z-40. à l’ufage
des çonfeffeurs &despénitens ; le Bréviaire, Pfeau-
tier , Manuel ou H&rologjum beaxoe Vïrginis Maria-,
( de la grand’mère. de. Jofeph Sçaliger ). l'Ars me-
morandj. Tio-tahilis perfiguras Evangeiïfiarum, un autre
livre latin, de figures de la, bible. > le Qanûcum..
OU l’Hîjloria beat a Maria Virginis in figuris , corn
fervé à Harlem ; Y Hifloria S. Jobannis Evangelifias-
in figuris , Y Ars moriendi, & le fameux Spéculum
Humana falutis ,& Spicgel Menfclüicher B.ehondenijje
confervé de même à Harlem; enfin, les. livies
allemands, avec figures , cités par Saubert, &
quelques autres ouvrages dont les temps , les lieux
& les fabricateurs font douteux, 8c qu’on ne fau-
roit raifonnablement attribuer à une nation plutôt
qu’à une autre. Il faut en excepter Yalphabet
& le donat dont nous venons de parler , & fur-tout
le catholicon Johannis Januenfis, que Tritheme ai-
fure très-pofitivement avoir été imprimés à Mayence
par GuttembergFuft, 8c Schoiffer, peu avant 1450..
Cependant ces premières tentatives ne peuvent
être regardées que comme très-imparfaites. En effet,
ces livres n’étant fabriqués qu’à l’aide de planches,
de bois telles qu’on vient de les décrire , c’ètoient
bien moins de. véritables impreffions, que de fim-
pies gravures affez femblables aux images taillées,
en bois-. Aufli étoient-elles fujettes a de grands
inconvéniens ; car ces planches ne pouvant fervir
qu’à une nouvelle impreffion du même livre ,
& rempliffant inutilement des magafins entiers ,
elles devenoient bientôt à1 charge par leur grand?
nombre & ne s’imprimant que d’un côté du pa-
.pier, dont on étoit obligé de coller enfuite les
deux faces blanches l’une contre l’autre, afin de
cacher ce défaut, elles caufoient néceffairement
double peine & double dépenfe, pour ne produire;
après tout qu’un ouvrage groflier.
Dégoûtés de ces imperfe&ions, nos trois affo-
ciés portèrent plus loin leurs recherches. A force
de réfléchir fur leur nouvelle invention, ils s’a-
vifèrent de divifor les unes des autres les lèt—
très de leurs tables ou planches, & d’en façonner
féparément de femblables, en bois, en plomb,
en étain,.en cuivre. Mais elles demandoient trop
de temps , de foins & de travail, 8c ne pouvoient
que très-difficilement fe former de proportion égale-
& convenable. Auffi n’en fit-on que très-peu d’u--
fage.
Heureufement Schoiffer, homme adroit & inventif,
imagina de.tailler des poinçons, de frapper
des matrices, de fabriquer & juftifier des
moules ,. enfin de fondre des lettres mobiles &
féparées , dont il put à fon gré compofer les mots ,
les lignes, 8c les pages entières dont ilauroit be-
foin, en un mot, de dreffer tout l’attirail nécef-
faire pour former des caractères tels que ceux qui
ont été imités ou perfectionnés depuis. Il fe rendit
ainfi le véritable inventeur 8c le père de l’imprimerie.
Schoiffer découvrit à fes maîtres & affociés fa
nouvelle & ingénieufe manière de tailler , frapper „
fondre, arranger, &. imprimer des caraétères. Fuft-
fur-tout, enchanté & reconnoiffant d’ün* alphabetr
de. cette forte, que Schoiffer lui- préfenta, réfolut
dès lors de- s’attacher plus intimement cet homme
de*génie en lui donnant fa. fille, en mariage; ce?
qui eut lieu , pour l'honneur du maître 6c du fer-
viteur, vers 1462 à 1465.
On veut que ce foit encore Schoiffer qui ait
donné la compofition de l ’encre d’imprimerie , que
d’autres attribuent auffi à Fuft ; mais il eft bien
plus naturel de l’accorder à Guttemberg, qui a dû
néceffairement en faire ufage dans fes premiers
effais , parce que l’invention des lettres , lans celle
d’une liqueur convenable pour les imprimer , ne
fervoit abfol liment de rien.
Quoi qû’il en foit, après l’invention des caractères
de fonte, les trois affociés firent des paquets
de leurs premiers inftrumeris de bois qu’ils ne gardèrent
que par curiofité, & que l’on conferve
encore, dit-on , à Mayence.
Le premier livre imprimé à l’aide de cette dernière
& merveilleufe invention, qu’on peut regarder
comme le premier fruit de la véritable imprimerie
, eft , félon Fauteur de la Chronique anonyme
d,e Cologne, une Bible latine qui coûta des
fommes immenfes.. Cette première de toutes les
éditions étoit en gros caraétères , tels que ceux
dont s’impriment ordinairement les Miffels ,• &
fut commencée peu de temps après 1450»
Après cette édition vint une autre première
édition en caraétères mobiles &. fans, date , du
Catholicon Johannis Januenfis..
Ce font là les deux premières de toutes les im-
pfeffions du monde-
On ne voit dans ces deux ouvrages, ni le nom
de la ville où ils .ont été imprimés , ni le nom
des imprimeurs, ni aucune marque qui puiffe dé-
figner leur demeure, qui étoit vraifemblablement
la maifon où l ’hôtel de Zumjungen, appartenant à
Guttemberg, qui fut appelée depuis Y Imprimerie.
En effet, ce bel art ayant pris naiffance en cet
endroit, devroit l ’illuftrer de fon nom.
On voit d’après la filiation bien conftatêe de
ces faits , que quelques auteurs ont prétendu à
tort attribuer l’invention de l’imprimerie en 1440
à Jean Mentel, Gentilhomme allemand de Straf-
bourg ; ils. difent qu’il fit des lettres de buis ou
d’e poirier , puis d’étain fondu , 8c enfuite d’une
matière compofèe de plomb, d’étain, de cuivre ,
& d’antimoine mêlés enfemble ; ils ajoutent que
Mentel employa Guttemberg pour faire les matrices
& des moules,; & qu’enfuite Guttemberg fe
rendit à Mayence, où il s!affoeia Fuft. Mais, outre
que tous ces faits ne font point appuyés de preuves
, on ne produit aucun livre imprimé dans les
premiers temps à Strasbourg. Enfin, il eft certain:
que Guttemberg & fes affociés ont paflé , pendant
50 ans, pour les inventeurs de l'imprimerie,.
& s’en font glorifiés hautement, fans que perfonne
fè foit alors avifé de les démentir,. ni de leur
oppofer Mentel;
C’eft avec auffi peu d‘e fondement que les Üa-
bitans de Harlem, avancent que Laurent Cofter^
leur compatriote , inventa l’imprimerie en 1.440*
Iis prétendent, qu’avant même celte, année ,s ce i
artifte forma les premiers earaélères de bois de
hêtre , qu’enfuite il en fit d’autres de plomb 8c,
d’étain , 8c qu’enfin il trouva l’encre dont l’imprimerie
fe fert encore. En conféquence de cette
opinion , on grava fur la porte de la maifon de
cet homme ingénieux, l’infcription fuivante : Me-
moria facrum,. typographia, ars artium omnium con~
fiervatrix, nunc primum inventa , -circà annum 1440.
On conferve, dit-on, foigneufement dans la ville de
Harlem le premier livre fait par cet artifte , 8c
qui porte pour titre, Spéculum humana fialvationisg
mais ni l’infcription gravée long-temps après la
mort de C o f t e r n i fon premier livre qui eft fans
date 8c fans authenticité, ne font point des titres
capables de faire regarder le citoyen de Harlem
comme le premier imprimeur. Revenons-aux vrais-
inventeurs de rimprimerïe.
Les frais des impreftion.s de la Bible &'du Catholicon
furent ft conftdérables , qu’ils gênèrent &
divifèrent les affociés.. Guttemberg avoit refufé
de faire quelques paiemens , fous prétexte que
Fuft avoir détourné les deniers communs à leur
établiffement ; mais celui - ci fit condamner Gut-
temberg qui rompit & abandonna dès-lors la (o-
ciété; leur féparation eut lieu vers la fin de L’an-'
née 145 y..
Quelques années après , la ville de Mayence
expofée aux feux de la guerre, ne trouva point-
dans Adolphe , comte de Naffau, un vainqueur
atiffi généreux que Démé'trius., qui épargna l’ancienne
Rhodes, dans la crainte d’endommager l’a -
. telier du fameux peintre Protogène. Mayence ,,
malgré l’art déjà célèbre de Fuft & de Schoiffer,. .
fut livrée au pillage en 1462.. Ces imprimeurs 8c
leurs ouvriers fê difperfèrent alors dans différens
cantons de l’Europe, & y portèrent le fecret de.
^l’imprimerie. C ’eft à- cette époque & à cette oc-
cafto» fans doute, que plufieurs villes telles que:
Strasbourg , Harlem ,. Dordrecht , Rome , Boulogne,
Venife, Feltri, Augsbourg, Nuremberg,
Ruffembourg, Bâle,..Lubeck, prétendirent enlever
& difputer à Maïence l’honneur de l’invention de
l’imprimerie.. Mais cette dernière ville a des titres;
trop authentiques, comme on vient de le prouver,,
pour qu!on puiffe lui difputer l’avantage d’avoir
vu ce bel art prendre naiffance & s’élever dans
fon fein.
On dit que Fuft entre autres, profitant du mystère
qui enveloppoit encore la nouvelle invention „
apporta vers 1466 à Paris quantité d’exemplaires
de la Bible imprimée à Mayence en 1462. Il en
vendit plufieurs à haut prix & d’autres à meilleur-
marché ;, ce qui.le fit accufer de mauvaife foi parles
acquéreurs qui croyoient tous avoir acheté ùm
manufcrit. Ces acquéreurs fe rapprochèrent : biem
^ étonnés de voir tant de. conformité dans leurs;
exemplaires, ils obtinrent un ordre de la cour pour
: exercer des pourfuites contre Fuft', qui fut obligé-.
; de fe fauver „ ©il qui mourut , félon l’opinion lai
$ plus commune t> de. la; peftè qui’ enleva, quarante;
I