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du droit qu’il avoit fur cette invention, que M. '
Huyghens fut obligé de renoncer à l’entérinement
de fon privilège. Une des plus fortes raifons que
l ’abbé de Hautefeuilie allégua contre lu i, c’eft
que, plus d’un an auparavant, favoir, en 1674,
il avoit lu un mémoire à l’académie, dont il avoit
encore le certificat, où il étoit queftion de l’application
d’un reffort au balancier des montres , pour
en régler les vibrations. Il eft vrai que ce reflort
étoit droit ; mais c’étoit avoir fait le plus grand
pas que d’avoir penfé à régler les vibrations du
balancier par celles d’un reifort. Voici comment
cela fe faifoit. Sur le plan fupérieur du balancier ,
proche de fa circonférence, étoit fixé un petit
•cylindre percé d’un trou femblable à celui de la
tête d’une aiguille ; à travers ce trou p.affoit le
reffort, qui étoit droit , & fixé fur le co q , à
l’oppofite du cylindre, de façon que le balancier,
par fon mouvement, le plioit tantôt d’un côté,
tantôt de l’autre ; par ce moyen , fes vibrations
étoient réglées par celles du reifort.
En même temps que la montre de M. Hayghens
paroiiToit à Paris -, celle du docteur Hooke , aufli
à reifort fpiral, faifoit grand bruit à Londres ; ce
doéteur, ayant ouï parier de ce qui fe palfoit ic i,
fit tout fon pofiïble pour s’affurer la propriété de
cette découverte. Il louant que M. Huyghens en
avoit été inftruit par M. Oldenbourg,' fecrétaire
de la fociété royale de Londres ; ce dernier ayant
appris, par une lettre du chevalier Moray, en
quoi à peu près elle confiftoit. Il avançoit que
ce fecrétaire auroit été d’autant plus porté à le
faire, qu’il étoit fon ennemi déclaré ; mais, malgré
tout ce que M. Hooke put d ire, il ne put
prouver que M. Huyghens eût pris de lui cette
idée : & M. Oldenbourg fe juftifia par deux' mémoires
, n°-. 118 8c 129 des Tranf p h ilo f, de ce qu’il
lui imputoit ; & il y ajouta même une déclaration
du confeil de la. fociété royale, qui alfuroit qu’il
n’avoit jamais abufé de fa correfpondance. Ce qui
fait beaucoup en-faveur du do fleur Hooke, c’eft
que, pendant toute cette difpute', on ne lui con-
tefta pas la découverte du reifort fpiral, mais feu- 1
lement que M. Huyghens eût pris cette idée de
lui : aufii on peut dire qu’il y avoit des droits qui
femblen't iriconteftables ; car dans fa vie faite par
Richard Waller , fecrétaire de la fociété royale
de Londres , on trouve , i°. qu’immédiatement
après le rétabliffement de Charles II fur le trône
d’Angleterre, il communiqua à milord Brounker,
à l’illuftre B oy le , & au chevalier Mora y, une
montre avec un reffort applique à l'arbre du balancier
, pour en régler le mouvement ; k 20. que ces
MM. furent fi fatisfaits de cette découverte, qu’ils
lui confeillèrent de demander un privilège, dont
le projet fut aufii-tôt formé par le chevalier Moray;
projet dans lequel on trouve la defeription de cette
montre, écrite de la propre main de ce chevalier;
30. que vers ce même temps il y eut une efpècé
de contrat dreffé entre ces MM. par lequel on >
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régloit la part que M. Hooke auroit dans le gain
que l’on tireroit de cette invention , fi l’on par-
venoit à obtenir le privilège ; enfin, qu’en fep-
tembre 1665, plus de dix ans auparavant que la
montre de M. Huyghens parût, le chevalier Moray,,
comme nous l’avons dit plus haut, expliquoit dans-
une lettre à M. Oldenbourg, la découverte de
M. Hooke, lui marquant qu’iZ appliquait un reffort.
à Vdrbre du balancier des montres.
Il paroît par tout ce c i, i°. que l’abbé Haute -
feuille penfa le premier en France à régler les
vibrations du balancier par celle d’un reflort droit,
idée qu’il ne tenoit que de fon génie, cet abbé
n’ayant aucune correfpondance avec les favans
d’Angleterre ; 2 que M. Huyghens, profitant de
la découverte de cet abbé, changea la figure de
ce reflort de droite en fpirale, & qu’il l’appliqua
à l’arbre du balancier ; 30 que, malgré qu’on puiffe
foupçonner M. Huyghens d’avoir eu quelque con-
noiffance de ce que le do&eur Hooke avoit fait
en Angleterre dans ce genre , on ne peut rien
prouver à ce fujét. Enfin, que ce do&eiir a réellement
inventé le reflort fpiral : ce qu’il y a d’autant
plus lieu de croire , qu’il avoit de grandes
v u e s , qu’il étoit fort inventif, fur-tout en fait
de machines , & qu’il, a beaucoup travaillé à perfectionner
l’horlogerie, ayant inventé des échap-
pemens , qui font encore aujourd’hui des meilleurs
que l’on emploie dans les pendules.
C ’é toit, comme nous l’avons dit, avoir fait un
grand pas que d’avoir penfé à régler les vibrations
du balancier par celles d’un reflort, de quelque
figure qu’il foit; mais le reflort droit de l’abbé
Hautefeuilie avoit un défaut effentiel, en ce que,
dans les différens arcs de vibration du balancier,,
■ il agifloit par des leviers plus ou moins avantageux
, ce qui détruifoit leur ifochronifme , les:
plus grandes _ vibrations étant toujours les plus
F lentes. Un autre défaut, mais beaucoup moins
important , c’eft que ce reffort frottoit dans le
trou au travers duquel il pàffoit. Par le reflort
formé, en ligne fpirale , & appliqué à l’arbre du
balancier, on évite ces deux défauts ; il n’eft plus
queftion du frottement du reflort dans fon trou,.
& il agit toujours par un même levier : de plus,
il. devient plus long, & fa force plus aCïive ; on
eft en état de difpofer les chofes de manière à
régler la montre plus facilement ; enfin, on diminue
extrêmement le frottement des pivots , car
chaque partie des fpires follicitant le,balancier à
fe mouvoir dans différens fens , il en naît un
équilibre dans leurs forces, qui fait que fes, pi-
] vots font’comme flottans au milieu de leurs trous;
& que, lorfque, par une caufe quelconque, ils
font portés d'un côté ou d’autre dans ces trous,
le frottement eft toujours moindre qu’il ne feroit
s’il n’y avoit pas de reflort.
Ce qui donne aux montres à reflort fpiral un
fi grand avantage fur celles qui n’en ont pas ,
c’en que, fans aucune force étrangère, ce reflort,
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joint au balancier ; l ’entretient en vibration pendant
un temps affez confidérable , favoir , une
minute & demie au moins , comme il eft facile de
l’expérimenter : par ce moyen, le moteur n étant
obligé de reftituer que ce qui fe perd du mouvement
qu’il imprime au balancier, fes inégalités
& celles du rouage, au moyen duquel il agit,
ne fe font fentir fur les vibrations du régulateur,
qu’en raifon du peu de mouvement reftitué dans
chacune d’elles. O r , les vibrations libres du balancier
joint au reflort fpiral, fe faifant, comme
on le verra bientôt, dans des temps fenfiblement
égaux, foit qu’elles foient grandes , foit qu’elles
foient petites, il en doit évidemment refulter une
grande régularité dans la montre.
Pour rendre ceci plus fenfible, fuppofons que ,
dans une montre bien réglée, le moteur influe
comme 1 dans les vibrations du balancier, & le
reflort fpiral comme 4 \ (on verra par la fuite
que ma fuppofition ne s’écarte pas du vrai dans
les montres bien faites). Si on diminue la force
motrice de moitié, le balancier qui faifoit fes v ibrations
, à l’aide d’une force équivalente à
5 + j , les fera comme s’il étoit mû par un reffort
dont la force égalât 4 -fi- z~\~\ • car la force 1
du moteur a été réduite à la moitié ; le reflort
fpiral, qui influe comme 4 + | , eftrefté le même;
6 les vibrations, fi ce reflort agifloit tout feul,
s’achéveroient toutes en deux temps égaux. Ainfil aiguille
des minutes, par exemple, dont le mouvement
dépend abfolument de la’ viteffe avec laquelle le
balancier fait fes vibrations ; au lieu de parcourir
fur le cadran 60 minutes dans une heure, retardera
dans l’exemple rapporté, feulement comme
fi la force motrice, produifant feule les vibrations,
avoit été diminuée d’un huitième, ou à-peu-près.
Il n’en fera pas de même, fi le reflort fpiral
eft retranché ; alors la force motrice , toujours
à-peu-près uniforme , agiffant feule, ne pourra
diminuer de moitié, fans que les vibrations du régulateur
ne foient produites par une force une
lois plus petite. Si l’on doute de la vérité- de ce
i-aifonnement, il fera facile de s’en affurer par
les expériences fuivantes qui ont été répétées plu-
. fieurs fois.
On prendra une montre ordinaire, bien faite
& bien réglée, on la remontera tout en haut,
enfuite on débandera le reflort, par la vis fans
fin , ou l’encliquetage deftiné à cet ufage, jufqu’à
ce que la même force environ , qui étoit au plus
grand tour de la fufée, fe trouve au plus petit;
il en réfultera une diminution de force motrice
égale à f environ, & là montre retardera de trois
minutes par heures.
On rebandera enfuite le grand reflort au point
où il l’étoit auparavant, & on fera marcher la
montre fans reflort fpiral; on trouvera alors que
l’aiguille des minutes, au lieu de faire le tour du
cadran dans une heure, n’en fera que les ou
qu’elle ne parcourra que 2.7 minutes ; mais fi Ion
détend le grand reffort comme c i-d e v a n t, 1 aiguille
ne parcourra que 19 minutes dans le meme
temps d’une heure. On voit de-là que, dans ce
dernier cas , le. reffort étant débandé de la meme
quantité, le mouvement de la montre en eft^iretardé
de près d’un tiers ; au lieu qu’avec le reffort
fpiral, la même opération n’a produit un retard
que d’un vingtième..
On s’étonnera fans doute qu’une montre, allant
yingt-fix ou vingt-fept minutes par heure fins le
fecours de fon reffort fpiral, & foixante dans le
même temps avec ce reffort, c’eft-à-dire, que
les vibrations n’étant accélérées dans ce dernier
cas que d’un peu plus de moitié, le fucces foit
pourtant fi diffèrent dans les deux expériences
précédentes. On ne fera peut-être pas moins fur-
pris que j’aie dit ci-devant que le fpiral influoit
plus de quatre fois davantage dans les vibrations
du balancier. En effet, il femble d abord que la
promptitude des vibrations étant 2.6 par fuppofition
, pour la rende égale à 60 , la puiffance totale
, à l’aide de laquelle le balancier fe meut,
devroit feulement augmenter d’une quantité égale
à la différence qui règne entre 60 & 2.6 ; on voit
la folution de ces difficultés dans l’examen des
F o r c e s v i v e s ; on y trouve démontré, par la
théorie & par l’expérience , qu’une maffe quelconque
qui fe meut, ou fait des vibrations a 1 aide
d’une puiffance accélérératrice, ne peut en achever
un même nombre dans un temps une fois
plus court, fans être mue ou aidee. par une forve
quadruple ; qu’enfin , la promptitude des vibrations
d’une maffe eft toujours comme la racine
carrée des forces accélératrices, par lefquelles elle
eft entretenue en mouvement.
Quoique la courbe fpirale foit la plus fimple,
la plus naturelle & la meilleure qu’on puiffe donner
au reffort réglant des montres, plufieurs variations
, auxquelles elles font encore fujettesg lui
ayant été fauffement attribuées , quelques per-
fonnes ont fait diverfés tentatives pour changer
la forme de ce reffort. M. de la Hire confeïile ,
Mém. de Vacad. ann. 1700, de le plier en ondes.
Mais, fans parler des autre défauts do cette forme
du reffort, il eft évident qu’elle en a un très-
confidérable , puifque, comme dans celle de l’abbé
| Hautefeuilie, le balancier n’eft pas toujours pouffé
par un levier confiant : effet qui ne peut avoir
lieu qu’au moyen d’un reffort dont la forme foit
approchante de la circulaire. (
Il fe préfente‘ ici une queftion affez intéref-
fante fur l’attache du reflort fpiral. Dans la pratique
ordinaire , ou félon la méthode de M.
Huyghens, fon extrémité intérieure eft fixée fur
une virole qui tient à' frottement fur l’axe du
balancier, & l’extérieure eft adaptée à la platine
au moyen d’un petit tenon : ne feroit-il pas mieux
d’attacher l’extrémité extérieure du reffort à l’un
des rayons du balancier, & l’intérieure fur une