
de le forer, non-feulement plus favamment qu’on
ne le faifoit en Allemagne lors du paffage de Philippe
de Maizières , mais mieux encore que les
autres nations ne l’ont fait depuis.
La manière iriduftriéufe de les encaquer & de les
faler pour le goût, la durée & la perfection, fut
trouvée en 1397, par Guillaume Buckelsz, natif
de Bier - w liet, dans la Flandre Hollandoife. Sa
mémoire s’eft à jamais rendue recommandable par
cette utile invention. On en parloit encore tant
fous le règne de Charles V , que cet Empereur
voyageant dans les Pays-Bas, fe rendit à Bier-wliet
avec la Reine de Hongrie fa foeur, pour honorer de
leur préfence le tombeau de l’illuftre encaqueur de
harengs.
Manière d'apprêter & faler le hareng.
Auffitôt que le hareng eft hors de la mer, le
caqueur lui coups la gorge , en tire les breuilles ou
entrailles, laiffe la laite & les oeufs, le lave en
eau douce, & lui donne la fauce ; on le met dans
une cuve pleine d’une forte faunmre d’eau douce
& de fel marin , où il demeure abuze à quinze
heures.
Au fortir de la fauce, on les varande ; c’eft-à-.
dire, qu’on les fait égoutter ; quand ils font fuffi-
famment varandés, ou les lite, on les arrange par
lits dans les caques ou barils couverts au fond &
deffus d’une couche de fel.
On ferme les barils exactement, afin, qu’ils con-
fervent la faumure & ne prennent point l’évent ;
fans quoi le hareng ne fe conferveroit pas.
Le propriétaire ni les matelots n’ont plus la liberté
de faler leur poiffon dès que leur vaiffeau, qui en eft
chargé, eft arrivé à Dieppe ou dans quelque autre
port de France. On le crie à l’enchère, ST il eft
adjugé au plus offrant.
Dès que le vaiffeau chargé de harengs falés eft
en rade K on met à terre les barils ; on les porte
chez le marchand ‘faleur qui les défonce, en ôte
les harengs qu’il jette dans des cuves, outils font
lavés & nettoyés dans leur propre faumure ; après
quoi des femmes les litent dans de nouveaux barils,
elles les caquent, & les preffent de façon, que de
trois barils on n’en fait que deux.
Les Hollandois, lorfqu’ils font arrivés au port,
encaquent leurs harengs dans d’autres barils, comme
à Dieppe ; mais ils fe fervent d’une preffe pour les
fouler davantage , §£ les falent avec du fel de Portugal
, qui, quoique plus âcre & plus corrofif que
celui de France, donne une plus belle apparence au
poiffon.
Voilà ce quon appelle le hareng blanc.
Parmi les harengs blancs, on distingue les harengs
de marque ; ainfi nommés , parce qu’en Hollande
il y a des officiers prépofés pour mettre une marque
de feu fur les barils qui renferment ces harengs,
qui font de la pêche d’une nuit, falés de bon fe l,
gras, charnus, blancs, & du plus beau choix.
V Le hareng rouge ou hareng for, ou foret, eft ainfi
nommé, parce qu’on le fait forer ou fécher à la
fumée.
On l’apprête comme les harengs blancs ; à cela
près, qu’on le laiffe moitié plus de temps dans la
faumure. ■
Dès qu’on en a ôté les harengs qu’on veut fécher,
on les attache par la tête à des branches de bois
qu’on appelle aines ; on les pend enfuite dans des
efpèces de fours ou de cheminées faites exprès,
qu’on appelle roujfables. ,
On fait deffous un petit feu de menu bois, qu’on
ménage de manière qu’il donne peu de flamme &
beaucoup de fumée. Ces harengs reftent dans le
roujfable jufqu a ce qu’ils foient fuffifamment for ou
fecs, & enfumés. Ce qui fe fait ordinairement en
vingt - quatre heures. On peut forer dix a douze
milliers de harengs à-la-fois.
Pour les harengs qu’on veut forer, on préfère
ceux qui font gros, gras, frais , tendres, d un bon
fel , d’une couleur dorée , & qui ne font point
déchirés.
Lorfqu’on veut fumer ces harengs chez fo i, on
les enfile dans des brochettes ; puis on les attache
au plancher de manière qu’on puiffe y atteindre en
étendant les bras ; on fait enfuite fur le pave de la
chambre, un feu de bois clair , que l’on entretient
pendant quelques heures. On ferme toutes les .ouvertures
de la chambre , & au bout d’un mois ils
font en état d’être vendus. -
La pêche de ce poiffon fe fait ordinairement en
deux faifons : l’une au printemps, le long des côtes
d'Ecoffe ; & l’autre en automne, le long des côtes
d’Angleterre au nord de la Tamife.
Il fe pêche aufli dés harengsfians le Zuy der-Zée,
entre le Texel & Amfterdam ; mais il y en a peu.
Néanmoins pendant la guerre que les Hollandois
foutinrent contre l’Angleterre., fous Charles I I , la
pêche du nord ayant ceffé, il vint tant de harengs
dans le Zuyder - Z é e , que quelques pêcheurs en
prirent dans l’efpace d’un mois ,* jufqu’à huit cents
lafts, qui font environ quatre-vingt fois cent milliers.
Ce poiffon fi fécond, meurt auffitôt qu’il eft hors
de l’eau ; de forte qu’il eft rare d’en voir de vivans.
On emploie pour cette pêche de petits bâtimens
que l’on appelle en France barques ou touques, ou
bateaux ; & qu’en Hollande, on nomme haring buis
. ou vlieboot, & en François fiibots.
Les buis dont les Hollandois fe fervent à ce fujet,
font communément du port de quarante - huit a
foixante tonneaux ; leur équipage confifte, pour
chaque buis, en quatre petits canons, pefant, en-
femble quatre mille livres , avec quatre pierriers ,
huit boîtes, fix fufils, huit piques longues, & huit
courtes.
Il n’eft pas permis de faire fortir des ports de
Hollande aucune buis pour la pèche du hareng,
qu’elle ne foit efcortèe d’un convoi, ou du moins
qu’il n’y en ait un nombre fuffifant pour compofer
enfemble dix-huit ou vingt pièces de petits canons
& douze pierriers. Alors elles doivent aller de
' conferve ;
conferve ; c’eft-à-dire, de flotte & de compagnie
fans pourtant qu’elles puiffent prendre fous leur
efcorte aucun bâtiment non armé.
Les conventions verbales qui fe font pour la conferve
, ont autant de force que fi elles avoient été
faites par écrit ; il faut encore obferver que chaque
bâtiment de la conferve, doit avoir des munitions
fuffifantes de poudre, de balles & de mitrailles
pour tirer au moins feize coups.
Chaque vaiffeau eft muni de cent,filets, qui ont
mille à douze cents pas de longueur. On les jette
dans la mer en ramant doucement, & en allant
contre le flux autant qu’on le peut, parce que le
hareng eft fouvent emporté en arrière par la force
dés courans : comme ce poiffon fuit la lueur de la
lumière, & que d’ailleurs pendant l’obfcurité il jette
une forte de clarté qui indique l’endroit où il eft , :
on ne le pêche ordinairement que la nuit, & on ne
retire qu’une feule fois le filet vers le matin, parce
que ce poiffon mourant au fortir de l’eau , il faut
néceffairement le faler ou le fumer tout de fuite.
On appelle hareng d’une nuit, celui qu’on fale le
même jour qu’on le pêché ; & hareng de deux .
nuits, celui dont on remet la falaifon au lendemain.
Comme ce poiffon eft très-fujet à fe^ corrompre ,
on eftime beaucoup moins la dernière falaifon que
la première.
Les maîtres des bâtimens ni les matelots ne font
point falariés à tant par mois ou par voyage ; mais
chacun d’eux a part à la pêche, dont le produit eft
divifé en quatre-vingt lots'ou quatre-vingt parties ,
fur lefquelles le propriétaire du bâtiment a fix lots
pour la fourniture ou équipement du vaiffeau, &
fept pour les quatorze filets qu’il eft obligé de
fournir. Le refte fe divife également entre le maître
de l’équipage & les matelots.
Indépendamment des treize lots ci-deffus, le propriétaire
du vaiffeau a le fou pour livre, .provenant
du total de la vente du hareng, comme répondant
à l’équipage de la sûreté des fonds ; & en outre ,
deux fols pour livre à caufe des avances qu’il a
faites pour l’achat des vivres néceffaires à la fub-
fiftance de l’équipage , dont le montant, ainfi que
les deux fous pour livre, fe prélèvent fur le produit
de la vente.
Lorfque le temps fe trouve beau, & que quelque
buife veut faire la pêche , il faut'que le pilote biffe
fon artimon; les buifes qui ne pèchent point, ne
doivent point fe mêler avec'celles qui pêchent; il
faut qu’elles fe tiennent, à la voile.
Il y a plufieurs autres réglemens de famirauté dé
Hollande pour la pêche du hareng, qu’ont imités lés
diverfes nations qui font ce commerce, avec les
changemens & augmentations qui leur convenoiènt.
Nous n’entrerons point dans ce détail , qui nous
meneroit trop loin : il vaut mieux parler du profit
que les Hollandois en particulier retirent de cette
pêche;
Dès l ’an 1610 , le chevalier Walter - Raleigh
Arts & Métiers. Tome I I I . Partie 1.
donna un -compte qui n’a pas été démenti par le
grand-penfionnaire de W it , du commerce que les
Hollandois faifoient en Ruffie, en Allemagne, en
Flandres & en France, des harengs pêchés fur les
côtes d’Angleterre, d’Ecoffe & d’Irlande. Ce compte
monte pour une année à 2,650,000 livres fterlings
(61,157,000 livres tournois. )
Ce fêtil article leur oecupok dès cé temps-là trois
mille vaiffeaux ou buifes à la pêche , & cinquante
mille pêcheurs , fans compter neuf mille autres
vaiffeaux ou bateaux , & cent cinquante mille
hommes, fur terre & fur mer, employés au commerce
de cepoiflon & aux autres commerces que fa
pêche occafionne.
Depuis cette époque, la marine Hollandoife a
fait une très-belle figure ; même aujourd’hui que fa
puiffance a reçu de fi grands échecs, cette branché
de fon commerce eft de toutes celle qui a le moins
fouffert.
Un état de leur pêche du hareng en 1748 , por-
toit mille vaiffeaux , évalués à 850 tonneaux l’un
dans l’autre ; le total de leur pêche, eftimé à 85
mille lafts, le laft à vingt livres fterlings, font un
million fept cens mille livres fterlings ; enforte que
déduifant pour la mife-hors & conftruâion de mille
buifes, les fiais de la pêche & hafards , quatre-
vingt-cinq mille livres fterlings, elle a dû profiter y
an par an , de quatre-vingt-cinq mille livres fterlings
; à quoi fi l’on ajoute pour le profit de la pêche
de la morue qui fe fait, entre deux cents cinquante
mille livres fterlings , on aura un million de livres
fterlings de gain.
Les harengs pecs font des harengs blancs nou- -
vellement falés ; cette dénomination vient des Hollandois
, qui appellent ces fortes de harengs, pekel
haring. Ils en font grand cas, & en font très-friands,
fur-tout dans la nouveauté, au point que les premiers
harengs pecs qui ont été falés au fertir de la
mer fans avoir été encaqués , fe payent chez eux
jufqu’à fieux ou trois florins la pièce , lorfqu’ils
arrivent parles premiers vaiffeaux qui reviennent
de la pêche. Dans de certaines villes des Bays-Bas,
on ne fait pas moins de cas de ces harengs dans la
primeur ; & l’on accorde un prix ou une récom-
penfe aux voituriers qui en apportent les premiers.
Cela eft, dit - on, fondé fur l’opinion où l’on eft
dans ces pays, que, toutes les fièvres difparoiffent
auffitôt que l’on peut ^nanger du hareng nouveau.
Le hareng fumé, appelé craquelin ou craquelât
par le peuple en France, eft du hareng qui a été
fumé & falé légèrement. Les Hollandois l’appellent
bokking.
Le Roi retire annuellement pour les droits , le
fixième de la valeur du coût & mife de toutes
les barques que fes fujets envoient à la pêche du
hareng.
Autrefois les harengs blancs & autres provenant
de la pêche des Hollandois , ne pouvoient entrer en
France qu’en brak,* c’eft-à-dire, fans etre achevés
K k