
tous les libraires n’ayant pas la même capacité ni
la même fortune , les plus favans travaillèrent fur
les auteurs anciens qu’ils commentèrent, compo-
fèrent des ouvrages qu’ils imprimèrent & vendirent
au public. Tels furent les Etienne , les Morel
, les Corrozet, & autres. Mais la fortune ne
les favorifa pas autant que ceux q u i, n’étant point
auteurs, purent donner tous leurs foins à fe faire
des correfpondances dans les différens pays, pour
pouvoir écouler , foit en argent ; foit en échange,
les éditions des ouvrages qu’ils avoient entrepris.
Cette induftrie de commerce leur donna les moyens
d’entreprendre des ouvrages plus confidérables,;
& comme il y avoit peu de livres, qu’on les im-
primoit en petit'nômbre & que l’on ne craignoit
pas les contrefaçons, les rifques étoient beaucoup
moins confidérables qu’ils ne le font a&uellement.
Tout libraire eft membre & fuppôt de l’univer-
iité , & en cette qualité il doit avant d’être reçu
avoir été examiné par le reéleur fur fa capacité
à expliquer le latin , & à lire le gr§c. Mais comme
cet examen n’eft pas de la plus grande rigueur,
& que fouvent la proteôion fait fermer les yeux
fur ces connoiffances réquifes, l’on ne devroit admettre
dans la capitale aucun récipiendaire qui ne
fût maître-ès-arts. Cette qualité, qui n’exige que
l’étude d’une langue abfolument nèceffaire à un
libraire , l’auroit diftingué de toute autre branche
de commerce. Les vrais favans, les amateurs, &
le public en général, fe feroient fait un plaifir de
venir au fecours d’un corps que les faux favans
auroient cherché à détruire.
Du droit de copie.
L’article fuivant doit être lu avec les modifications
qu’y apportent les nouveaux réglemens de
la librairie, que nous citons en entier à la fin de c.e
traité. >
Le droit de copie réclamé par un libraire eft
un droit de propriété qu’il a fur un ouvrage littéraire,
manulcrit ou imprimé, foit qu’il le tienne
de l’auteur même, foit qu’il ait engagé un ou plu?
lieurs hommes de lettres à l’exécuter; foit enfin
que l’ouvrage ayant pris naiflance & qu’ayant été
originairement imprimé dans les pays étrangers,
le libraire ait penfé le premier à ljimprimer dans
fon pays.
Il eft appelé droit de copie, parce que l’auteur
garde ou eft cenfé garder l’original de fon ouvrage
y & n’en- livrer au libraire que la copie fur
laquelle il doit imprimer.
L’auteur cède fes droits fur fon ouvrage ; le
libraire ne reçoit que la copie de cet ouvrage ;
delà eft venu l’ufage de dire droit de copieT ce qui
fignifie proprement droit de propriété fur U ouvrage.
Ce terme a été établi pour le premier cas il- a
été adopté pour le fécond, parce qu’il lui convient
également : quant au troifième 9 c’eft. par
extenfïon qu’on a appellé droit de copie, la propriété
que le libraire acquiert fur un ouvrage déjà
imprimé dans le pays étranger, & qu’il penfe le
premier à imprimer dans fon pays ; mais cette
extenfïon a été jufqu’à préfent autprifée par l’ui'age.
Ge droit a de tous les temps été regardé comme
inconteftable par les libraires de toutes les nations :
il a cependant été quelquefois contefté.
Pour expliquer avec clarté & faire entendre ce
que c’eft que ce droit , & en quoi il confifte, on
parlera féparément des différentes manières dont
un libraire devient ou peut devenir propriétaire
d’un ouvrage littéraire. On parlera aufli des privilèges
que les fouverains accordent pour l’im-
prefilon des livres , parce que c’eft fur la durée
limitée de ces privilèges, que fe font quelquefois
fondés ceux q u i, dans différentes circonftances v
ont difputé aux libraires ce droit de copie ou de
propriété.
Le droit de propriété du; libraire fur un ouvrage
littéraire qu’il tient de l’auteur, eft le droit même
de l’auteur fur fon propre ouvrage, qui ne paroît
pas pouvoir être contefté. Si en effet il y a fur
la terre un état libre, c ’eft afîùrément celui des
gens de lettres : s’il y a dans la nature un effet
dont la propriété ne puiffe pas être difputée à celui
qui le poffède , ce doivent être les productions de
i’éfprit. J
Pendant environ cent ans après- l’Invention de
l'imprimeriev tous les auteurs ou leurs ceflion-
naifes ont eu en France la liberté d’imprimer , fans
être affujettis à en obtenir aucune permiflion : il
en a réfulté des abus ; & nos rois, pour y remédier.
ont fagement établi des lois fur le fait de
l’imprimerie, dont l’objet a été de conferver dans-
le royaume la pureté de la religion, les- moeurs
& la tranquillité publique. Elles exigent que tout
ouvrage que l’on veut faire imprimer, foit revêtu
d’une approbation , & d’une permifiion pu privilège
du roi.
L’approbation eft un a<fte de pure police, &
le privilège un acfe de juftice •& de proteâion y.
par lequel le fouverain ^permet authentiquement
au propriétaire L’impreflïon & le débit de l’ouvrage
qui- lui .appartient, & le .défend à tous autres: dans
fes,états. Cette, exclüfion eft fans doute une grâce
du prince , mais qui, pour être accordée & reçue,
ne change, rien à la nature de la propriété elle
eft. fondée au- contraire fur la juftice qu’il y a à
mettre le propriétaire en état de perirer feu-1 les
fruits de fon travail ou de fa dépenfe.-
Les fouverains, avant l’origine des privilèges *
ne pr-étendorent point avoir de droits fur les ouvrages
littéraires encore dans le Silence du cabinet;
ils n’ont rien dit depuis qui tendît- à dépouiller
les auteurs de leur droit de propriété & de paternité
, foit que leurs ouvrages fuffent encore rtia-
nufcrits & entre leurs mains, foit qu’ils fuffent
rendus publics par la voie de l’impreflion ; les gens
de lettres font donc reftés, comme ils l’étoientr
avant l’origine des privilèges, inconteftablement
propriétaires de leurs produirions manufçrices ou
Imprimées, tant cju ils ne les ont ni cedees ni vendues
: l'auteur a donc dans cet état le droit d’en
difpofer comme d’un effet qui lui eft propre, &
il en ufe en le tranfportant à un libraire , ou par
une ceflion gratuite , ou par une Vente. Soit qu’il
le donne gratuitement ou qu’il le vende, s U tranf-
met pour toujours fes droits de propriété, s’il s’en
dépouille à perpétuité en faveur du libraire, celui-ci
devient auffi inconteftablement propriétaire &
avec la même étendue, que l’étoit l’auteur lui-
même. y # , •
La propriété de l’ouvrage littéraire, c eft-a-dire,
le droit de le réimprimer quand il manque, eft
alors un effet commerçable, comme une terre,
line rente & une maifon ; elle paffe des pères aux
enfans, & de libraires à libraires, par héritage,
vente, ceflion ou échange; & les droits du dernier
propriétaire font aufli inconteftables que ceux
du premier.
Il y a cependant eu des gens de lettres qui
les ont conteftés, & qui ont prétendu rentrer
dans la propriété de’ leurs ouvrages après les avoir
vendus pour toujours. Ils fe fondoient fingulière-
ment fur ce que lès fouverains mettent un terme
à la durée des privilèges qu’ils accordent, & di-
foient que c’eft -pour -fe réferver le droit, après
que ces privilèges font expirés, d’en gratifier qui
bon leur femble; mais ils fe trompoient les
fouverains ne peuvent gratifier perfonne d une
propriété qu’ils n’ont pas, & le terme fixé à la
durée des privilèges, a d autres motifs ; les princes
, en la fixant, veulent fe referver le droit ae
ne pas renouveler la permiffion d’imprimer un
ouvrage , fi par des raifons d état i l leur convient
de ne pas autorifer dans un temps des principes
ou des propofitions qu’ils avoient bien voulu autorifer
dans un autre.
La permiflion ou le refus de laiffer imprimer ou
réimprimer un livre , eft une affaire de pure police
dans l’état, & il eft infiniment fage qu’elle dépende
de la feule volonté du prince : mais fa juftice ne
lui permettroit pas , à l’expiration d’un privilège qui
feroit fufceptible de renouvellement., de le refufer
au propriétaire pour l’accorder à un autre.
Les princes veulent encore, en fixant un ternie
à la durée de l’exclufion qui fait partie du privilège
& qui eft une grâce, forcer le propriétaire
à remplir les conditions auxquelles elle eft accordée
; & ces conditions font la corre&ion de 1 im-
preflion, & les autres perfe&ions convenables de
l ’art. Il s’enfuit delà que ce n’eft pas le privilège
qui fait le droit du libraire , comme quelques per-
fonnes. ont paru le croire, mais que c’eft le tranf-
port des,droits de l’auteur.
Au, refte, quelque folidement que foit établi par
ces principes le droit du libraire fur un oüvrag-e
littéraire qu’il tient de l’auteur, il eft cependant
vrai que , quoique celui-ci n’ait plus de propriété,
il conferve néanmoins, tant qu’il v it , une forte de
droit d’infpeèïion & de paternité fur fon ouvrage ;
qu’il doit pour fa gloire avoir la liberté, lorfqu’on
le réimprime, d’y faire les corre&ions ou augmentations
qu’il juge nèceffaires à fa perfeâion.
Cela eft jufte & railonnable, & le libraire ne doit
pas s’y refufer. Il pourroit arriver que les augmentations
de l’auteur fuffent fi confidérables,
qu’elles deviendroient en quelque forte un nouv
el ouvrage : c’eft alors à l’honnêteté des procédés
à régler les nouvelles conventions à faire entre
l’auteur & le libraire, fi celui-là en exige; mais
s’il arrivoit qu’ils ne s’accordaffent pas , s?il n’y
avoit pas de conventions contraires, il refteroit propriétaire
dé fes augmentations, & le libraire de ce
qui lui auroit été précédemment cédé.
Il y auroit peut-être un moyen de prévenir les
conteftations qui pourroient s’élever encore dans
la fuite, entre les auteurs & les libraires pour rai-
fon des ouvrages littéraires que les uns vendent
& que les autres achètent : ce feroit que l’auteur,
quand c’eft fon intention, mît dans l’a&e de cef-
fion qu’il fait au libraire, qu’il vend & cède pour
toujours fon ouvrage & fon droit de propriété,
auquel il renonce lans aucune reftriérion ; fi au
contraire fon intention eft de ne vendre ou céder
que pour un temps, il faudroit fpécifier le temps,
comme la durée d’un privilège ou le cours d’une
ou de plufieurs éditions, &c. Il conviendroit aufli.
de ftatuer fur le cas où l’auteur pourroit donner
par la fuite des augmentations, & alors il ne refi
teroit point d’obfcurité qui pût donner lieu à des
conteftations ; car on ne préfume pas que celles
qui fe font quelquefois élevées, aient^ jamais eu
d’autre caufe.
Les libraires acquiérent encore le droit dé propriété
fur un ouvrage , lorfqu’ils en ont propofé
l’exécution à un où plufieurs hommes dé lettres,
qui fe font chargés gratuitement ou fous des conditions
convenues , de le compofer. Le libraire
ne tient alors ce droit que de lui-même & de fes
avances. On n’à pas connOiffance que la propriété
du libraire ait jamais été conteftée dans ce casrià;'
mais s’il arrivoit un jour que des gens de lettres
qui auroient contribué à un pareil ouvrage, pré-
tendiffent après l’entière exécution avoir quelque
droit à la propriété , leurs prétentions feroient aufli
peu juftes & aufli peu légitimes, que le feroient
celles d’un architeâe fur un bâtiment qu’il a construit.
Il y a plufieurs ouvrages littéraires dans ce cas.
Il y a enfin une troifième manière dont un libraire
peut aequèrit ce droit de propriété fur un ouvrage
littéraire ; c’e'ft en penfant le premier à l’imprimer
dans fon pays , quand il a pris naiflance dans le
pays étranger, & qu’il y a déjà été imprimé : le
libraire tient, comme dans le cas précédent, ce
droit de fo'n intelligence & de fon induftrie. En
fe procurant les avantages d’une entreprise utile,
s’il réuflit dans fon choix , il fert l’état & fes compatriotes
, en ce que d’une part il contribue à faire
Valoir les fabriques dè fon pays, & à empêcher
l’argent que l’on méttroit à ce livre de paffer chez