
plus grand détail fur les bibliothèques des premiers
chrétiens, il fufFira de dire que chaque églife
avoit fa bibliothèque pour l’ufage de ceux qui
s’appliquoient aux études. Eufèbe nous l’attefte ;
& il ajoute que prefque toutes ces bibliothèques,
avec les oratoires où elles étoient confervées ,
furent brûlées & détruites par Dioclétien.
Paflons maintenant à des bibliothèques plus con-
fidérables que celles dont venons de parler ; c’eft -
à-dire , à celles qui furent fondées après que le
chriftianifme fut affermi fans contradi&ion. Celle
de Conftantin-le-Grand, fondée , félon Zonaras ,
l’an 33 6 , mérite attention : ce prince voulant réparer
la perte que le tyran fon prédéceffeur avoit
caufée aux chrétiens , porta tous £ss. foins à faire
trouver des copies'’ des livres qu’on avoit voulu
détruire. Il les fit tranfçrire & y-en ajouta d’autres,
dont il forma à grands frais une nombreufe bibliothèque
à Conflantinople. L ’empereur Julien voulut
détruire cette bibliothèque & empêcher les
chrétiens d’avoir aucuns livres, afin de les plonger
dans l’ignorance. Il fonda cependant lui - même
deux grandes bibliothèques, l’une à ÇonftantinG-
ple , & l’autre à Antioche., fur les frontifpices
defquelles il fit graver ces paroles : Alïi quidem
equos amant , alii aves, alii feras ; mïlù ver b à
pucrulo mirandum acquirçndi & pojjidendi libro.sin-
fedit defiderium.
Théodofe le jeune ne fut pas moins foigneùx
d’augmenter la bibliothèque de Conflantin - le-
Grand : elle ne contenoit d’abord que 6090 volumes
; mais par fes foins & fa magnificence,. il
s y en trouva en peu de temps 100,000. Léon
lliaurien en fit brûler plus de la moitié, pour détruire
les monumens qui auroient pu dépofer
contre fon héréfie fur le culte des images. C ’efi
dans cette bibliothèque que fut dépofée la copie
authentique du premier concile général de Nicée.
On prétend que les ouvrages d’Homère y étoient
auffi écrits en lettres d’o r , & qu’ils furent brûlés
lorfque les Ieonoclaftes détruifirent cette bibliothèque.
Il y avoit aufii une copie des évangiles
félon quelques auteurs, reliée en plaques d’or du.
poids de quinze livres, & enrichie de pierreries.
Les nations barbares qui inondèrent l ’Europe,
détruifirent les bibliothèques & les livres en général
leur fureur fut prefque incroyable , & a
catifé la perte irréparable, d’un nombre infini d’ex-
cellens ouvrages.
Le premier de ces temps-là qui eut du goût
pour les lettres, fut Cafliodore , favori & miniftre
de Théodoric, roi des Go tirs qui s’établirent en
Italie , & qu’on nomma communément Ofirogoths.
Cafliodore fatigué du poids du miniftère, fe retira
dans un couvent qu’il fit bâtir , où il confacra le
refie de fes jours à la prière & à. l’étude. Il y
fonda une bibliothèque pour l’ufàge dès moines ,
compagnons de fa fblitude. Ce fut à peu près dans
le même temps que le pape Hilaire, premier du
nom 3 fonda deux bibliothèques dans l’églife de
Saint Etienne ; & que le pape Zacharie I rétablit
celle de Saint Pierre, félon Platine.
Quelque temps après, Charlemagne fonda la
fienne à l’Ile-Barbe près de Lyon. Paradin dit qu’il
l’enrichit d’un grand nombre de livrés magnifiquement
reliés ; & Sabellicus , aufii bien que Pal-
merius , afîùrent qu’il y mit entr’autres un manuf-
crit des oeuvres de S. Denis, dont l’empereur de
Conflantinople lui avoit fait préfent. Il fonda encore
en Allemagne plufieurs collèges avec des
bibliothèques, pour l’inftruétion de la jeuneffe :
entr’autres une à Saint-Gai en Suiffe, qui étoit
fort eftimée. Le roi Pépin en fonda une à Fulde
par le confeil de S. Boniface, l’Apôtre de l’Allemagne
: ce fut: dans ce célèbre monaftère que Ka-
ban-Maur & Hildebert vécurent & étudièrent dans
lé même temps. Il y avoit une autre bibliothèque’
à la Wriffen près de Worms : mais celle que Charlemagne
fonda dans fon palais à Aix-la-Chapelle,
furpalfa toutes les autres : cependant il ordonna
avant de mourir qu’on la vendît, pour en diftri-
buer'.le prix aux pauvres. Louis-le-Débonnaire fon
fils , lui fuccédaà l’empire & à fon amour pour
les arts & les fciemces, qu’il protégea- de tout fon
pouvoir.
L’Angleterre, & encore plus l’Irlande, poffé-
doîent alors de favantes & riches bibliothèques ,
que les incurfions fréquentes des habitans du nord
détruifirent dans la fuite : il n’y en a point qu’on
doive plus regretter que la grande bibliothèque
fondée à Yorck par Egbert, archevêque de cette
ville ; elle fut brûlée avec la cathédrale , le couvent
de fainte Marie, & plufieurs autres maifbns
religieufes, fous le roi Etienne. Alcuin parle de
cette bibliothèque dans fon épître à l’églife d’Angleterre.
Vers ces temps , un nommé Gauthier ne contribua
pas peu par fes foins & par fon travail à’
fonder la bibliothèque du monaftère de faint Alban,
qui étoit très-confidérable : elle fut pillée aufii’
; hien qu’une autre par les pirates Danois.
La bibliothèque formée dans le XIF fiècle par
Richard de.Burg, évêque de Durham, chancélier
: & tréforier de l’Angleterre fut aufii fort célèbre.
Ce favant prélat n’omit rien pour l'a rendre aufii-
complette que le permettoit le malheur des temps ;
& décrivit lui-même un traité intitulé PKilobiblion,
fur le choix des livres & fur la manière déformer
une bibliothèque. Il y repréfente les livres comme
les meilleurs précepteurs, en- s’exprimant ainfi :
Hi funt magifiri, qui nos inflruunt fine virgis 6*
ferulis, fine choiera ,. fine- pecunid : f i accedïs, non
dormiunt ; f i inquiris, non fie abfcondun-t ; non ob-
murmurant, f i oberres ,* cachinnos nefciunt, f i ignores,
L’Angleterre pofiede encore aujourd’hui des bibliothèques
très-riches en tout genre de littérature
& en manufcrits fort anciens. Celle dont on parle
le plus, eft la célèbre bibliothèque Bodléienne
d’Oxford, élevée:, fi l’on peut fe fervir de ce terme,
fur les fondemens de celle, ww due Humphry. Elle
Commença à être publique en 1602, & a été
depuis prodigieufement augmentée par un grand
nombre de bienfaiteurs, On aflùre quelle l ’emporte
fur celles de tous les fouverains & de toutes
les univerfités de l’Europe , fi l’on en excepte celle
du roi, à Paris, celle de l’empereur à Vienne , &
celle du Vatican.
Il femble qu’au XIe fiècle les fciences s’étoient
réfugiées auprès de Çonftantin Porphyrogénète,
emperéur de Conflantinople. Ce grand prinéé étoit
le proteéleur des mufes, & fes fujets à fon exemple
cultivèrent les lettres. Il parut alors -en Grèce
plufieurs favans ; & l’empereur , toujours porté à
chérir les fciences , employa des gens capables à
lui raflembler de bons livres, dont il forma une
bibliothèthe publique , àl’arrangement de laquelle
il travailla lui-même. Les chofes furent en cet état
jufqu’au temps où les Turcs fe rendirent maîtres
de Conflantinople i auflitôt les fciences forcées d’abandonner
la Grèce, fe réfugièrent en Italie , en
France, & en Allemagne, où on les reçut à bras
ouverts ; & bientôt la lumière commença à fe ré
pandre fur le refte de l’Europe , qui avoit été en-
fevelie pendant longtemps dans l’ignorance la plus
groflière.
La bibliothèque des empereurs Grecs de Conf-
tantinople n’avoit pourtant pas péri à la prife de
cette ville par Mahomet IL Au contraire , ce fui-
tan avoit ordonné très-expreffémenf qu’elle fût
confervée, & elle lé fut en effet dans quelques
appartemens du férail jufqu’au règne d’Amurat IV,
que ce prince, quoique Mahométan peu fcrupu-
leu x , dans un violent accès de dévotion , facri-
fia tous les livres de la bibliothèque à la haine
implacable dont il étoit animé contre les chrétiens.
C ’eft là tout ce qu’en put apprendre M. l’abbé
Sevin, lorfque, par ordre du roi de France, il fit
en 172.9 le voyage de Conflantinople , dans l’ef-
pérance de pénétrer jufques dans la bibliothèque
du grand-feigneur, & d’en obtenir des manufcrits
pour enrichir celle du roi.
Quant à la bibliothèque du férail, elle fut commencée
par le fultan Selim, celui qui conquit
l’E gypte, & qui aimoit les lettres : mais elle n’eft
compofée que de trois ou quatre mille volumes 3
turcs., arabes ou perfans , fans nul manufcrit grec.
Le prince de Valachie Maurocordato avoit beaucoup
recueilli de ces derniers, & il s’en trouve
de répandus dans les monaftères de la Grèce : mais
il paroît par la relation du voyage des académiciens
François au Levant, qu’on ne fait plus guère
de cas aujourd’hui de ces morceaux précieux ,
dans un pays où les fciences & les beaux arts ont
fleuri pendant fi long-temps.
Il eft certain que toutes les nations cultivent
les fciences, les unes plus, les autres moins ; mais
il n’y en a aucune où le favoir foit plus eftimé
que chez les Chinois. Chez ce peuple on ne peut
parvenir au moindre emploi qu’on ne foit favant,
du moins par rapport au commun de la nation.
Ainft, ceux qui veulent figurer dans le monde,
font indifpenfablement obligés de s’appliquer à
l’étude. Il ne fuftit pas chez eux d’avoir la rèpu-
tution de favant, il faut l’être réellement pour pouvoir
parvenir aux dignités & aux honneurs ; chaque
candidat étant obligé de fubir trois examens
très-févères, qui-répondent à nos trois degrés de
bachelier , de licentié & de doâeur.
De cette néceflité d’étudier il s’enfuit, qu’il doit
y avoir dans la Chine un nombre infini de livres
& d’écrits ; & par conféquent que les gens riches,
chez eux , doivent avoir formé de grandes bibliothèques.
E11 effet, les hiftoriens rapportent qu’environ
deux, cents ans avant Jefus-Chrift, Chingius, ou
Xius, empereur de la Chine, ordonna que tous
les livres du royaume ( dont le nombre étoit pref-
qu’infini) fuffent brûlés , à l’exception de ceux qui
traitoient de la médecine, de l’agriculture & de
la divination, s’imaginant par là faire oublier les
noms de ceux qui l’avoient précédé, & que la
poftérité ne pourroit plus parler que de lui. Ses
ordres ne furent pas exécutés avec tant de foin,
qu’une femme ne pût fauver les ouvrages de Men-
Lius, de Confucius furnommé le Socfate de la
Chine, & de plufieurs autres, dont elle colla les
feuilles contre le mur de fa maifbn, où elles ref-
tèrent jufqu’à la mort du tyran,
C ’eft par cette raifon que ces ouvrages pafient
pour être les plus anciens de la Chine, & fur-tout
•ceux de Confucius, pour qui ce peuple a une
extrême vénération. Ce philofophe laiffa neuf livres
qui font j pour ainfi dire , la fource de la plupart
des ouvrages qui Ont paru depuis fon temps à la
Chine, & qui font fi nombreux, qu’un feigneur
dé ce pays (au rapport du P. Trigault) s’étant fait
chrétien, employa quatre jours à brûler fes livres ,
afin de ne rien garder qui fentît les fuperftitions
des Chinois. Spizellius dans fon livre de Re littera-
ria Sinenfium, dit qu’il y a une bibliothèque fur
le mont Lingumen de plus de 30 mille volumes ,
tous composés par des auteurs Chinois, & qu’il
n’y en a guère moins dans le temple de Venchung ,
proche l’école royale.
Il y a plufieurs belles bibliothèques au Japon ;
car les voyageurs aflùrent qu’il y a dans la ville
de Narad un temple magnifique qui eft dédié à
Xaca , le fage 3 le prophète & le légiflateur du
pays ; & qu’auprès de ce temple les bonzes ou prêtres
ont leurs appartemens, dont un eft foutenu
par 24 colonnes, & contient une bibliothèque remplie
de livres du haut en bas.
Tout , ce que nous avons dit eft peu de choie
en comparaifon de la bibliothèque qu’on dit être
dans le monaftère de la Sainte-Croix, fur le mont
Amara en Ethiopie. L hiftoire nous dit qu’Antoine
Brieus & Laurent de Crémone furent envoyés
dans ce pays par Grégoire XIII, pour voir cette
fameufe bibliothèque, qui eft divifée en trois par-
! ties, & contient en tout dix millions cent milte