
que les vachers d’Auvergne ’aiflVnt fermenter &
foujfier leur tomme avant de l’employer dans la
fabrication de leurs fromages. C ’eft en modérant
ainfi les premiers degrés de la fermentation dans la
pâte des fromages, que les Hollandôis parviennent
à lesconferver plus long-temps que les marchands
d’Auvergne.
a°. La méthode que fuivent les Hollandois-pour
faler leurs fromages, me paroît préférable à celle
des pâtres d’Auvergne ; c a r , par les procédés des
Hollandois, qui confiftcnt d’abord à mettre tremper
les fromages dans l’eau fafèe pendant quelque temps,
enfuite à répandre du fel bien blanc & bien purifié
à la furface de ces fromages -, il me paroît qu’on
parvient à faire prendre à toute la maffe des fromages
une dofe de fel convenable , & également
diftribuée par-tout. Je ne trouve pas que le mélange
du fel à la tomme, à mefure qu’on la pétrit & qu’on
l’entaffe dans les formes, faffe un aufli bon effet.
Je vois que le vacher peut furcharger certaines
parties de. f e l , pendant que d’autres n’en ont pas
reçu une dofe fuffifante, & que c’eft à cette inexactitude
dans, le mélange du fel à la pâte, qu’on peut
attribuer les inconvéniens qu’on éprouve en Au- j
v ergne, où certains fromages perdent toute con-
fiftance & fe réduifent en grumeaux fans liaifon.
Je remarque d’ailleurs qu’en mettant tremper les
fromages dans l’eau falée, non-feulement on dif-
pofe également toute la maffe à prendre la dofe de
fel convenablement & uniformément, mais on communique
à toute la pâte une fermeté & une con-
kfiftance qu’elle conferve très long-temps.
• 30. Le fécond bain d’eau faumâtre dans lequel
"bn met tremper les fromages qui commencent à fe
couvrir d’une peau blanchâtre, me paroît compléter
les bons effets du premier, en rallentiffant la tranf-
fudation de la partie butireufe au dehors, & donnant
d ’ailleurs, à la croûte des fromages, une fermeté
confidérable qui facilite infiniment, par la fuite , les
tranfpom de ces fromages & leur vente dans les
pays étrangers.
4°. Il m’a paru qu’en Hollande on exprimoit le
petit - lait du caillé avec plus de foifl qu’en Auvergne
; ce qui eft une opération effentielle ; car
le mélange du petit-lait à la partie caféeufe , contribue
de mille manières à fa décompofition.
Telles font les vues d’amélioration que l’étude
& la comparaifon des deux méthodes qu’on fuit en
Hollande & en Auvergne , m’ont fait naître pour
la préparation des fromages de cette dernière province
; je dirai en conféquence à tout propriétaire
d’Auvergne :
. . . ; . Si quid novifii reSiius iftis,
Candidat imperti : f i non, his utere mecitm.
Ho r a t . EpifL
S E C T I O N II.
Fromages cuits.
A r t i c l e p r e m i e r .
Fromage de Gruyères. ' •'
Le fromage connu fous le nom dé Gruyères , de
Franche-Comté , &c. ne doit point etre diftjngue
des autres par les matériaux qui entrent dans fa
compofition ; mais par les préparations qu il reçoit,
& fur-tout par le degré de cuiffon que l’on donne
à fa pâte, & qui lui communique cette fermeté &
cette confiftànce , qui le rendent très-propre à circuler
en grandes maffes dans les provinces éloignées
de cellés où il fe fabrique ; en coriféquènce,
je crois qu’on devroit le caraétérifer par cette cuiffon
, & le nommer Fromage cuit.
Il s’en fait en Suifle, dans la Savoie, en Franche-
Comté , & dans les Vofges. J’expoferai ici les détails
qui concernertt cet objet curieux d’économie
rurale, tels que je les ai obfervés & recueillis dans
les Vofges : ils font affez femblables , quant au
fond , à ceux que Scheuchzer a publiés dans fes
Itinera Alpina, &c. Je me fuis cependant attaché
à rendre la description de tous les procédés, plus
précife & plus pratique que celle du Naturalise
Suifle, laquelle eft toujours vague & fouvent in-
complette. J’ai fuivi avec fcrupule les manipulations
les plus délicates , lorfqu’elles m’ont paru
contribuer au fuccès de l’opération , ou à 1 éclair-
ciflement de la théorie.
On fait le fromage cuit ou de Gruyères, dans des
chaumes conftruits fur les fômmets applatis des plus
hautes montagnes des Vofges , pendant tout le
temps qu’ils font acceflibles & habitables , ceft-
à-dire , depuis la fonte des neiges en mai, jufqu’à
la fin de feptembre , où les neiges commencent à
couvrir ces montagnes. Une chaumière deftinée-
au logement des markaires & de leurs vaches, &
placée au milieu d’un diftriâ: affefté pour les pâturages
, a donné le nom à ces chaumes. Le terme de
markaire eft confacré pour indiquer les pâtres qui
ont foin des vaches & qui préparent le fromage,
ainfi que ceux qui font à la tête de ces établiffemens
économiques. De markaire on a forme markairerie,
qui fignifie également & la chaumière & la fcience
de faire les fromages cuits*. U
Ces habitations ou markaireries, font compofées
d’un logement pour les markaires , d une laiterie ,
& d’une écurie pour les vaches ; le plus fouvent la
laiterie n’eft pas diftinguée du logement des markaires
; mais il y a toujours à part une petite galerie
deftinée à placer , fur des tablettes de fapin fort
larges, les fromages qu’on fale.
Le corps de ces conftruftions eft fait de madriers
de fapin places horizontalement les uns fur
les autres, & maintenus par de gros piquets. L’intervalle
des madriers eft rempli de moufle & d’argile
, ou fcellé de planches ; toute cette cage , qui
n’a pas plus de fept pieds d’élévation , eft fùrmontée ’
par une charpente fort légère en comble, couverte
de planches. ,
L’écurie eft le plus fouvent un bâtiment fepare
de l’habitation des markaires ; on a foin de la placer
au deflous d’une petite fource, telle qu’il s’en trouve
fort fréquemment fur ces.montagnes élevées. L’eau
confervée d’abord dans un réfervoir qui domine
ces habitations , eft conduite par des tuyaux de
fapin mis bout à bout, dans le logement des markaires
, & fur-tout dans l’écurie. La conftru&ion
de l’intérieur de l’écurie paroît avoir été arrangée
dans une intention bien décidée de tirer parti de
cette eau. Le fol de l’écurie eft garni des deux côtés
de deux efpèees d’eftrades faites de- planches de
fapin , & élevées d’un pied au deflùs du canal qui
les fépare- , & qui occupe le milieu de l’écurie.
Chacune de ces eftrades n’a que la largeur néceffaire
pour que les vaches puiffent s y tepofer ou s’y tenir
debout en rang. De cette manière, les planches
ne font que très-peu falies par la fiente des vaches,
& feulement à l’extrémité qui avoifine le canal..
La fiente tombe prefque direàement, pour la plus
grande partie , dans ce canal ; les markaires ont
grand foin, le matin & fur les deux heurës , lorf-
qif ils;ontlâché les vaches, de nettoyer les planches.
Enfuite ils font couler l’eau du réfervoir , qui tra-
verfe le canal & entraîne au dehors tout le fumier
qui s’y étoit amaffé. Par ce moyen , les vaches fe
paffent de litière , ce qui eft un grand objet d’économie
; car la paille eft très-chère & très-rare dans
tout le canton.
On lie les vaches parle cou-, à Faide d’un cercle-1
de bois qui s’adapte dans une autre pièce de bois
fourchue; les markaires ne veillent que très-peu
fur elles pendant qu’elles font répandues dans les
pâturages. Une des plus vigoureufes , porte une
fonnette qui raffemble autour d’elle les autres ;
d’ailleurs, comme elles font d’une forte efpèce &
un peu fauvages, elles fe défendent en s’attroupant ‘
contre les, attaques des loups.
Dans le logement des markaires, qui eft aufli
leur laiterie , on remarque-d’abord le foyer placé
à un des angles du bâtiment, fans tuyau de cheminée.
Quatre ou cinq aflifes de granits ou ae
pierres de fable , difpofées en forme circulaire ,
compofent toute la maçonnerie de ce foyer (fig. /).
D ’un côté on apperçoit un baril où l’on conferve
du petit-lait aigri, & qu’on tient toujours expofé à
l’a&ion modérée du feu ; de l’autre, eft une potence
mobile (fig. 2 ) à laquelle on fufpend une chaudière
(fig. 3 ) pleine de lait, qu’on place furie feu , &
qu’on retire à volonté ; la forme circulaire du foyer
eft deftinée à recevoir la chaudière.
Les autres meubles de la laiterie fon t, i°. un
couloir ( fig. 4 ) , & fon fupport ( fig. ƒ ) ; ce couloir
eft un vaiffeau de fapin en forme de cône tronqué,
dont l’ouv.erture inférieure eft garnie d’un tampon
fait de l’écorce intérieure de tilleul ou d’une plante
qu’on nomme jaloufie , &. qui eft une efpèce de
lycopodiuTt' ou pied de loup : ces différens corps
fervent , en -laiffant paffer le luit, à retenir au paf-
fage toutes -les ordures qui peuvent s’y trouver. 2.V
Diflerens baquets {fig- d ) ; dont les uns font plus
larges que profonds (fig. 6 , A ) , & d’autres plus
profonds, que larges (fig. 6 , B ) : quelques - uns
de ces derniers ont des douves qui excèdent, dans
lefquelles on a pratiqué des entailles pour s’en fervir
à tranfporter de l’eau ou du petit-lait 3. °. Des moules
ou formes (fig. 7 ) ; ce font des cercles de fapin ou
de hêtre, qui ont cinq à fi-x pouces de largeur ; une
extrémité rentre fous l’autre d’environ un fixième
de toute la circonférence. A cette extrémité-, qui
glifle fous l’autre, on a fixé par le milieu un morceau
de bois qu’une rainure ou gouttière traverfe
dans les deux tiers de fa longueur. Cette gouttière,
fert à y paffer la corde qui tient à l’autre extrémité,
extérieure du cercle, & par le moyen de laquelle on
refferre où on lâche cette extrémité fuivant le befoin ,
&on maintient le tout en place en liant au morceau
de bois par un fimple noeud , le bout de la corde’
qui glifle dans la gouttière : ce moule eft préférable
à celui que l’on trouve gravé dans Scheuchzer ,
& qui eft un fimple cercle dont la circonférence eft
arrêtée. 40. Deux épuêlles , l’une plate (fig. 8 ) , &
l’autre plus creufe (fig. 9). 50. Trois efpèees de
mouffoir pour divifer le caillé ; l’un a la forme d’une
épée de bois ( fig. 10 ) ; le fécond eft garni de deux
rangs de quatre demi - cercles chacun, difpofés à
angles droits (fig. 11 ) ; le troifième eft une branche
de fapin ( fig. 12 ) dont on a coupé les ramifications
à troi# ou quatre pouces de la tige , & dans la
moitié de la longueur ; l’autre partie eft toute unie.
! 6?.-Une table avec unefpace fuflifant pour y placer
le fromage lorfqu’il eft dans fa forme ; cet efpace
eft circonfcrit par une rigole qui porte le petit-lait
dans un baquet (fig 13 ).
C ’eft un contrafte affez étonnant que la figure
dégoûtante des markaires , la plupart r nabaptiftes ,
& portant une longue barbe , avec la propreté
de l’ameublement de leur laiterie, dont toutes les
pièces font de fapin ; cette propreté , qui eft très-
effentielle en markairerie , eft entretenue par l’attention
fcrupuleufe qu’ont les markaires, pendant
les intervalles des différentes manipulations qu’exige
la préparation de leurs fromages , de laver avec le
petit-lait chaud toutes les piècesdont ils,ne doivent
plus faire ufage, de les pafler enfuite à l’eau froide
en les eflùyant. Us fe gardent bien d’y laiffer le
moindre véftige de petit - lait ; il leur communi-
queroit, en s’aigriffant, un mauvais goût, qui ren-
droit leur ufage très-pernicieux.
On a coutume de traire les vaches deux fois par
jour , le matin vers les quatre heures, & le foir fur
les cinq heures. Les markaires fe fervent , pour
cette opération , de baquets profonds. Us s’aident
très-bien d’une efpèce de felle (fig. 14) qui n’a qu’un
pied , lequel eft armé à l’extrémité d’une pointe de
fer. Cette pointe entre dans le plancher dont eft
recouvert le fol de l’écurie, & donne une certaine