
G R A I N I E R S, ( Art & Communauté des )
ET CONSERVATION DES GRAINS.
O N nomme grainier, ou grenetier, le marchand
qui vend en détail & à petites mefures toutes fortes
de grains, graines, légumes, même du foin & dé
la paille.
On appelle blatiers, ceux qui font le commerce
des grains en gros.
A Paris, les grainiers, ou grainières, font une
communauté. Ils font qualifiés dans leurs fiatuts,
dont les derniers font du 17 feptembre 1604, de
maîtres & maîtrejfes, marchands & marchandes grainiers
6* grainier es de la ville 6* fauxbourgs de Paris.
Les graines, légumes & autres denrées qu’ils
ont la facilité de vendre, font toutes fortes de pois ,
fèves & lentilles, tant crues que cuites, de l’orge
en grain & de l’orge mondé, de l’avoine, du gruau
d’avoine , du millet en grain & du millet mondé,
du riz , du b lé, du feigle, du farrazin, de la navette,
du chenevis , de la vefce , du fain - foin, de la
luzerne , &c. comme auffi toutes fortes de graines
d e jardin.
Toutes fortes de farines entrent auffi dans leur
négoce, mais le tout en détail & à petites mefures.
A la tête de la communauté des grainiers & grainières
font deux jurés & autant de jurées , le corps
étant indifféremment compofé de marchands & de
marchandes.
Les jurés & jurées doivent également veiller à
la confervation de leur art & métier, tenir la main
à l’exécution de leurs fiatuts , faire les vifites chez
les maîtres & maîrreffes, & recevoir les apprentis
S t apprenties à l’apprentiffage, & les afpirans &
afpirantes à la maîtrife. L ’éleâion s’en fait tous les
ans; favoir, d’un nouveau juré & d’une nouvelle
ju ré e , enforte que chaque juré & jurée puiffe refter
deux ans en charge.
L’apprentiffage eft de fix ans, & le compagnonage
de deux.
Les marchands & marchandes ont la liberté, par
leurs fiatuts, de faire venir de toutes fortes d’endroits
du royaume, au-delà de vingt lieues à la
ronde de Paris, même des pays étrangers, tant par
terre que par eau , toutes efpèces de marchandifes
concernant leur état & métier.
Par les ordonnances de la ville de Paris, articles
7 , 8 & 9 du chapitre 6 , il eft défendu aux
maîtres & maîtreffes d’aller au devant des marchands
& laboureurs pour acheter leurs grains , ni,
d’en acheter ailleurs que fur les ports. Il leur eft
encore défendu d’acheter ou de faire acheter des
grains & farines fur les ports , qu’aux jours de
marché 3 & après midi«
Ils ne peuvent non plus enlever à-la-fo is plus
de fix feptiers d’avoine & deux feptiers des autres
grains, ni avoir dans leurs maifons plus de deux
muids d’avoine, & huit feptiers de chaque forte
des autres grains & légumes pour leur vente &
débit.
Enfin, ils font tenus de ne fe fervirque de petites
mefures de bois, comme boiffeau, dëmi-boiffeau,
litrons, &c. bien & duement étalonnées & mar- i quées à la lettre courante de l’année, leur étant
abfolument défendu de fe fervir de picotins & autres
mefures d’ofier.
Lorfqu’ils veulerit vendre à plus grande mefure
que celle du boiffeau , ils font dans l’obligation
d’appeller les jurés mefureurs de grains pour faire
leur mefurage.
Cette communauté efl^eompofêe à Paris d’en-,
viron deux cents foixante maîtres ou maîtreffes.
Par le nouvel édit du mois d’août 1776 , les
grainiers font une même communauté avec les
fruitiers-orangers, & le commerce des graines leur
eft commun & en concurrence avec les épiciers.
De la confervation des grains.
C’eft un des plus grands avantages de l’établiffe-
j ment des fociétés policées, que de prévoir, dans les
années d’abondance, les malheurs des années, de
ftérilité, & de prévenir la difette en rèfervant: les
grains qui ne peuvent être confommés , & les. renfermant
pour le befoin dans des endroits propres à
les conferver long-temps.
Le grand nombre d’expériences , anciennes &
nouvelles, dit M. Robinet dans fon DiElionnaïrt des
fciences économiques & politiques >ne permettent pas
de douter que l’on ne puiffe avoir en réferve pendant
plufieurs années le -froment & les autres grains
qui fervent principalement à la nourriture de
l’homme.
Pline le Naturalifte avance que des fèves con-
fervées dans une grotte , durèrent dès le temps
de Pyrrhus jufqu’à la guerre que Pompée fit aux
Pirates.
Le même écrivain affure, d’après Varron que
le ftoment enfermé avec certaines précautions ,
peut durer 50 ans , & le mil plus de cent. On en a
des exemples plus récens.
Pluche, dans le SpeSlacle de la Nature , dit que
l’an 1707, on ouvrit dans la citadelle de Metz un
magafin de blé qui y avoit été fait en 1573 , &
qu’on en fit du pain qui fe trouva très - bon. Il
, ajoute que M. l’abbé de Louvois, faifant un voyage
fur les frontières dé la Champagne , v itja n a \a
citadelle de Sedan ; un amas de blé qui rÿ étoit
depuis 110 ans. Enfin, Lambecius prétend qu’on
garde dans la bibliothèque impériale de Vienne,
ûne boîte remplie de blé, qui, en 1664, avoit déjà
plus de 300 ans d’antiquité, & que des écrits revêtus
des-formalités néceffaires pour en conftater
l’authenticité, & attachés à la boîte, font foi de la
vérité du fait.
Quoiqu’il fût peu néceffaire de conferver fi longtemps
de grands amas de grains, 8c que l’on n’ait
jamais vu de difette d’une auffi longue durée, il eft
cependant vrai qu’il eft à defirer de connoître un
moyen sûr.&. praticable, fans être trop difpen-
dieux, pour conferver dix à douze ans de bon grain
qu’on auroit mis en provifion dans le temps qu’il eft
très - abondant & à bas prix, pour fubvenir aux
mauvaifes récoltes, qui, fans être communes ou
fans durer fi long-temps, ne font rien moins qu’extraordinaires.
Pline indique plufieurs moyens tendans k ce but.
Il ne les donne pas pour des découvertes qu’il ait
faites, ou comme le fruit de fes expériences, ilparoît
que c’eft plutôt un recueil de maximes d’économie
rurale , adoptées parles cultivateurs de fon temps.
Quelques - uns veulent, fuivant ce naturalifte,
qu’on loge le grain dans des greniers de brique de
trois pieds d’épaiffeur, voûtés parle haut, inaccef-
fibles au vent ou à l’air , fans aucunes fenêtres ;
d’auties veulent que fi-l’on y donne du jour, les
fenêtres foient placées à l’orient d’hiver ou au nord.
Ils défendent qu’il y entre de la chaleur, qu’ils jugent
très-ennemie du froment. Il cite d’autres auteurs
qui recommandent au contraire des greniers de bois
foutenus fur des colonnes expofées à l’air de tous
côtés, & même jffcr le fond. Varron étoit de ce
fondaient.
Il y en a , fuivant le même auteur, qui répandent
fur le froment , pour le conferver, une certaine
quantité de fédiment d’huile , ou de la terre de
C h a lc id e o u de la craie. Il y a auffi à Olinthe & à
Corinthe, dans l’île d’Eubée , une terre qui doit
produire le même effet. On confervoit encore le
froment dans des foffes , comme on le pratiquait
dans la Cappadoce & dans la Thrace ; & l’on fait
qu’aujourd’hui même en Sicile, dans quelques endroits
de l’Italie , & dans quelques-unes des provinces
méridionales de France, on fuit la même
méthode.
Le naturalifte Romain regarde comme un point
effentiel d’empêcher que le grain enfermé n’ait
aucune communication avec l’air extérieur-
Il n’eft pas le foui de ce fentiment. Pluchedans
fon SpcÜâcle de la N-ature, prétend que dès les fix
premiers mois qu’on a mis le froment dans le grenier
, il faut qu’on le remue de 15 en 15 jours avec
la pelle , pendant fix ou fept mois confécutifs ,.
qu’on le faffe paffer d’une place à l’autre en l’éparpillant
, & qu’enfuite, pour empêcher l’aétion de
l’air qui eft toujours nuifible, & l’entrée des charenfons,
on jette fur le tas un peu de chaux vive 9
en l’étendant par-tout, qu’on y diftribue un peu
d’eau, q u i, faifant fondre la chaux, puiffe la convertir
en une efpèce de bouillie qui s’infinue dans
le tas du grain à la profondeur de deux doigts , &
forme avec le grain de la furface, une croûte qui
empêche le blé de s’éventer, de s’échauffer, & de’
germer.
On doit obfervef, par rapport au blé qui s’étoir
confervé n o ans dans la citadelle de Sedan, que
l’humidité du lieu avoit fait germer le tour du tas
à plus d’un pied de profondeur, que les feuilles &
les commencemens. des tiges qui avoient déjà une
certaine hauteur, manquant d’a ir, s’étoient pourris*
& rabattus fur leurs racines, & que de ce fumier
agglutiné & defféché avec les grains de deffous,.
il s’étoit formé une croûte très -épaiffe qui avoit
confervé le refte du tas.
Obfervations nouvelles.
Du froment bien récolté, fe conferverà mieux,
que celui qu’on amène dans les granges mal conditionné.
.
Si on veut le garder fain-, il faut avoir un grenier
d’une jufte étendue, capable de contenir un peu
plus de blé qu’on n’en a , afin de pouvoir de temps z?
autre lui faire changer déplacé, & balayer la pouf-
fière.à.chaque fois. Il convient qu’il ait une certaine
hauteur, afin qu’en le jetant, il retombe avec un
peu de violence qui en fépare la pouffière ; il faut-
de bonnes fenêtres pour renouveller l’a ir , en les'
ouvrant quand le temps eft beau, & qui puiffenr.
être fermées exactement quand l’air eft humide oib
chargé de brouillards..
En introduifant le grain dans le grenier, on d o ir
avoir foin de ne point trop l’y refferrer ; il faut au
contraire lui donner autant d’étendue qu’il eft pof-
fible, & ne l’entaffer que peu à peu ; le fond du*
tas étant bien fec , le haut courra moins de danger.’
On voit rarement le grain fe gâter pendant les*
grands froids ; il eft plutôt fujet à fe gâter aux approches
du printemps , quand les greniers commencent
à.fe réchauffer. C ’eft donc alors qu’on doit
être fur fes gardes pour remuer & cribler tout le
tas. L’oeil du maître y eft néceffaire , & il faut
réitérer cesopérations plus ou moins fréquemment/
fuivant le befoin. On peut en juger par la couleur
& par l’odeur. On peut auffi le connoître au toucher
, & quelquefois il fuffit de le voir» même d’’affez^
loin. En effet, que quelqu’un remue le tas, ou qu’il
y faffe des creux avec la pelle, ou avec une mefure,,
fi le blé eft fec , /il. s’arrangera en tombant d’une
manière uniforme , & il prendra une furface liffe
& unie ; le contraire arrivera s-’il y a beaucoup*
d’humidité i.
Le temps auquel le blé demande le plus d’âtten-
tion, eft entre la moiffon & les femailles.
La faifon eft quelquefois fi dérangée au temps-
de la moiffon, qu’on eft réduit à ferrer le grain en
très-mauyaisétat5 & que,.pour le conferver ,.0 ^