
des bergères & des bergers font la traite des brebis
deux fois par jour, le matin vers les cinq heures,
& le foir vers les deux heures. A mefure qu’on tire
le lait , on le porte dans les granges du Larzac
ou dans les maifons des particuliers où fe font les
fromages : on coule le lait à travers une chauffe
d’étamine , & on le reçoit dans une chaudière de
cuivre rouge étamée.
Lorfque la traite eft finie & que tout le lait*paffé
■ par la chauffe eft dans la chaudière , oiï y met
la préfure, qui fe prépare de la manière fuivante :
on prend l’eftomac d’un jeune chevreau qui tete
encore, & l’on a foin, avant de le tuer, qu’iln e
prenne point d’autre nourriture après qu’il a teté
la mère ; cet eflomac eft plein de grumeaux de lait
caillé par les fucs naturels ; ainfi c’eft un ferment
très-propre à faire cailler le lait dans lequel
on le met. On a foin de faler le caillé qui fe trouve
dans l’eftomac, & on fufpend les caillettes dans
un endroit élevé ; lorfqu’elles "font fuffifamment
sèches , on en met tremper une partie pendant
vingt-quatre heures dans de l’eau ou du petit-lait.
Ces liqueurs fe chargent de principes qui forment
proprement ce que l’on nomme préfure.
La préfure peut fe conferver un mois fans fe corrompre
; onia renouvelle cependant tous les quinze
jours. Dans cent livres de lait, on met une petite
cuillerée de préfure ; qu’on mêle & qu’on diftribue
dans toute la maffe du lait : cette efpèce de ferment
ou levain, produit en moins de deux heures^ la
féparation de la partie caféeufe du ferurn ou petit-
lait ; les parties du caillé fe rapprochent & fe lient
entre elles par gros pelotons qui ne forment qu’une
feule maffe dans les cellules de laquelle le petit-lait
eft difperfé. Lorfque le lait eft bien caillé , une
femme fe lave les bras & les plonge à travers ce
caillé, qu’elle tourne fans interruption en différens
fens jufqu’à ce qu’il foit bien divifé , & que le
petit-lait en foit dégagé entièrement ; puis elle en
rapproche les molécules , & les comprimant elle les
détermine à gagner le fond delà chaudière. Pendant
toutes ces petites manoeuvres , qui durent environ
trois quàrts-d’heure., le caillé fe trouve pris
de nouveau & précipité au fond de la chaudière.
On verfe alors le petit-lait par inclinaifon dans
un autre vafe où il refte en dépôt ; quant au caillé,
on le coupe par quartiers avec un couteau de bois,
& on le tranfporte de la chaudière dans une forme
placée fiir la tablette d’une preffe. V oyez les fig 14,
B , & /y , du fromage d’Auvergne.
La forme ou écliffe eft une cuvette de bois cylindrique
, dont le fond eft percé de plufieurs trous
d’une ou de deux lignes de diamètre : on fe fert
de formes plus ou moins hautes & plus ou moins
- larges , félon les dimenfions qu’on veut donner au
fromage.
Pour charger & remplir la forme de caillé, une
femme le brife , le pétrit dans fes mains , & le
place enfuite dans la forme en le ferrant autant
qu’il eft poffible, jufqu’à ce qu’elle foit remplie audelà
des bords ; puis on la preffe fortement après
l’avoir recouverte de planches qu’on charge de
pierres , qui pèfent environ cinquante livres. Le
fromage refte en cet état dans la forme jufqu’à ce
qu’il ne forte plus de petit-lait ; ce qui exige bien
dix à douze heures de temps : on a foin aufli pendant
ce temps de retourner le fromage dans la
forme , d’heure en heure, pour qu’il s’égoutte plus
aifément par toutes fes faces.
• Lorfqii on tire le fromage de la forme , on l’enveloppe
d’un linge bien fe c , par le moyen duquel
il achève de s’effuyer de toute l'humidité qui fe
trouve à fa' furface. Enfuite ôn le porte dans la
cafiere ; c’eft une chambre particulière où 'l’on fait
fécher les fromages fur des planches bien expofées
à l’air , & rangées par étages le long des murs.
Afin que les fromages ne fe gercent pas enféchant,
on les entoure d’une ceinture de groffe toile , que
l’orf ferre le plus fortement que l’on peut : ils ne
font bien fecs qu’après une quinzaine de jours, &
même il faut avoir foin de les retourner deux fois
par jour , & à chaque fois qu’on les retourne, de les
frotter .& d’effuyer les planches fouyent, & même
de les retourner. Sans ces précautions, les fromages
s’aigriroient, s’attacheroièrit aux planches de manière
qu’il feroit difficile de les détacher fans les
rompre.
Lorfque dans l’arrière-faifon les brebis ne donnent
pas dans la journée une quantité, de lait fuffi-
fante pour faire des fromages d’une certaine grandeur
, on garde le lait de la veille pour le joindre
à celui du lendemain; mais pour que lait ne s’ai-
griffe pas, après l’avoir coulé dans la chaudière,
on l’approche du feu, & on le fait chauffer jufqu’à
ce qu’il 'foit prêt à bouillir : le lendemain on enlève
avec une écumoire la crème qui s’eft formée à la
furface de ce la it, & qui eft d’un goût exquis ;_on
la vend fous le nom de crème de Roquefort ; enfuite
on mêle ce lait avec celui qui eft nouvellement tiré j
& on en fait un fromage fuivant la méthode que
nous avons décrite ; le fromage qui provient de ce
mélange de deux laits, n’sft jamais auffi délicat ni
auffi bon que celui qui eft fait d’un lait frais il fe
brife même quelquefois ; ce qui détermine à ne
faire ufage de cette méthode que le moins qu’on
peut.
Dès que les fromages font fecs à un certain
point, & qu’on en a une quantité fuffifante pour
en faire une charge , on les tranfporte dans les
caves de Roquefort ; c’eft-là qu’on achève de les
préparer comme il convient pour être mis dans le
commerce.
Avant que d’entrer dans le détail de toutes ces
préparations,, il nous refte à parler du petit - lait
qu’on a mis en dépôt dans un vafe avant que de
! faire le fromage.
On verfè ce petit-lait dans la chaudière, & on la
place fur le feu; à mefure que la liqueur s’échauffe ,
il s’élève le long des parois de la chaudière & fur-
toute la furface du petit-lait, une écume blanche;
qu’on enlève avec une écumoire , & qu’on jette ; on I
verfe enfuite dans le petit-lait purifié , deux livres
de lait de la dernière traite , qu’on a foin de conferver
: on continue à chauffer ce mélange de manière
cependant qu’il ne bouille pas ; quelques mo-
mens après que le lait a été ajouté au petit-lait,
on apperçoit qu’il fe diftribue dans toute la maffe
de la liqueur des néhulofétis blanchâtres , qui
d’abord légères, enfuite plus épaiffes , s’élèvent à
fa furface & la couvrent entièrement; dès qu’elles
font toutes raffemblées ainfi, & qu’elles ont formé
line couche d’environ deux pouces d’épaiffeur, on
retire la chaudière du feu , & une femme, avec
il ne grande écumoire, enlève cette matière , & la
met dans des écuelles ; ce n’eft autre chofe que la
partie caféeufe qui reftoit encore diffoute dans le
petit-lait qui s’en détache avec celle du lait entier
qu’on y a ajouté ; cette matière contient aufli une
petite quantité de crème , ce qui lui donne un goût
excellent ; c’eft ce qu’on nomme recuites : elles fervent
à nourrir , pendant tout le temps que les brebis
donnent du lait , les habitans du Larzac & des
environs ; ceci reffemble beaucoup à là brocotte des
Vofges , dont on fait auffi des fromages fecondaires.
§. TII. Des caves- de' Roquefort, & de la préparation
que les fromages y reçoivent.
Le village de Roquefort eft fitué dans le Rouergue-,
à l’eft & à deux lieues de la ville de Vabre ; au
midi de ce village eft le cul - de - fac d’un vallon ,
dont les bords elcarpés font formés par une maffe
continue de rochers qui s’élèvent à la hauteur d’environ
dix à douze toifes ; c’eft au dedans de ces
rochers que font creufées les caves où fe préparent
les fromages de Roquefort. Parmi ces caves, qui
font au nombre de vingt-fix, les unes font entièrement
contenues dans le rocher , & les autres ne
font qu’en partie approfondies dans le maflif, l’autre
étant formée par un prolongement de maçonnerie
couverte d’un toit. Toutes , au refte, font fermées
par des murs au milieu defquels on a ménagé les
portes ; par la difpofition des croupes du vallon ,
dont l’afpeâ regarde tous les points de -l’horizon ,
l’ouverture des caves fe trouve, ou au levant, ou
au couchant, ou au nord.
L’intérieur de ces fouterrains eft prefque dans
-tous diftribué de la même manière : leur hauteur
eft partagée par des planchers en deux ou trois
étages ; le premier plancher eft de niveau avec le
feuil de la porte , & deffous ils fe trouve une excavation
qui peut avoir huit ou neuf pieds de profondeur
; le fécond plancher eft établi à environ
huit pieds au deffus : on y monte par une échelle.
Autour de chacun de ces étages, il y a un ou
deux rangs de planches difpofées en tablettes, qui
ont environ quatre pieds de largeur , & qui font
éloignées de trois pieds l’une de l’autre : elles
font foutenues par des traverfes de bois , qui d’un
bout portent dans le rocher , & de l’autre fur des
piquets fixés dans le fol de la cave.
On trouve en différens endroits du rocher dans
lequel les caves font creufées , & fur-tout près du
fol, des fentes & des ouvertures irrégulières dont il
fort un vent froid & affez fort pour éteindre une
chandelle qu’on approcheroit de l’orifice , mais qui
perd fa force & faviteffe à une certaine diftance :
on attribue à ces courans d’air froid , la température
qui règne dans ces caves, & qui varie depuis
cinq jufqu’à fept degrés au deffus de la glace : 011
doit ajouter à ces circonftances , la nature & la
difpofition du terrain qui ne reçoit que très-peu de
temps, même en é té , l’influence des rayons du
foleil.
On trouve des caves femblables à celles que
nous venons de décrire , dans plufieurs villages
fitués à deux ou trois lieues de Roquefort ; elles
font creufées dans les mêmes rochers, & fervent
pareillement à la préparation des fromages : on en
trouve à Cornus , à Fondamente, à S. Baulife, à
Alric -, & à Cotte-Rouge près de la Baftide.
Il convient maintenant de parler de la préparation
que les fromages reçoivent dans tous ces
fouterrains. On commence d’abord par les faler, &
On emploie pour cette opération, du fel qu’on a
fait broyer dans des moulins à bled : on répand
d’abord le fel fur une des faces du fromage ; vingt-
quatre heures après on le retourne, & on répand
fur l’autre face la même quantité de fel : au bout
de deux jours , on le frotte tout au tour avec un
torchon de groffe toile , ou un morceau de drap 4
puis on le racle fortement avec ün couteau le fur-
lendemain ; de ces raclures, on compofe une-efpèce
de fromages en forme de boule , qu’on nomme
rhubarbe , & qui fe vend dans le pays trois ou
quatre fols la livre.
Après toutes ces opérations, on met les fromages
en pile les uns fur les autres , ail nombre de huit
ou douze, & ils reftent en cet état l’efpace de
quinze jours; Au bout de ce temps, & quelquefois
plus tôt, on apperçoit à la furface des fromages empilés
, une moififfure blanche fort épaiffe, de la longueur
d’un demi-pied, & une efflorefcence formée
d’un affemblage de petits points , q u i, quant à la
couleur & à la forme , reffemblent affez à des
perles : on enlève de nouveau toutes ces produirions,
en raclant avec un couteau les fromages qu’on place
fur les tablettes dont nous avons parlé ; ces manoeuvres
fe renouvellent tous les quinze jours , &
même plus fouvent dans l’efpace de deux mois : la
croûte qui fe forme pendant cet intervalle à la fur-
face dès fromages, eft fucceflivement blanche, verdâtre
& rougeâtre. C’eft à cette dernière nuance
qu’on juge qu’ils ont féjourné fuffifamment dansdes
caves, & qu’ils font en état d’être tranfportés dans
les différentes villes où ils fe débitent. Par toutes
les préparations qu’on fait fubir à la partie caféeufe
depuis l’état où elle fe trouve dans le lait jufqu’à ce
qu’elle ait pris la confiftance de fromage, propre à
être débité , elle éprouve plufieurs déchets. Cent
livres de lait ne donnent guère que vingt livres de