
les trous bien ronds. Les écariffoirs les moins
nombres en pans , agrandirent les trous plus
v ite ,. & les font-moins ronds ; les plus nombres
en pans, au contraire les fond plus ronds & les
ouvrent plus doucement. Quand les trous font de
la grandeur dont on les veut, il faut y mettre le
poinçon, qu’on nomme alors dégorgeoir (fig. ƒ),
lui donner quelques coups de marteau pour
adoucir & ouvrir un peu l’entrée du trou, ainfi
qu’on le voit dans la coupe d’une filière caffée,
{fis- «)■
X.
La filière étant préparée comme il a été dit,
il faut prendre une poignée de fuie d’uné cheminée
où l’on a brûlé du bois, la délayer avec de
l ’urine, & la rendre de la confiftance d’une.bouillie
bien claire, à laquelle on joindra une cuillerée
de farine. (Cette compofition fe nomme paquet,
parce que l’on enduit de cette matière l’acier ou
le fer que l’on veut tremper avec foin ).
Cette pâte étan.t préparée, l’on chauffe la filière,
on en enduit fa furface, & on la laiffe fécher.
La farine fert à rendre cette compofition plus collante
, & par conféquent plus propre à s’attacher
à l’acier que l’on veut tremper fans l’encaiffer ;
& la fuie jointe à l’urine, ont des qualités nécef-
faires pour convertir le fer en acier.
Ces matières garantiffent la furface de l’acier
de la trop grande aéfion du feu , & l’empêchent de
s’écailler & de devenir ferrugineux.
Chaque ouvrier adopte un fecret ou un autre
pour tremper, & le garde très-myftérieufement ;
mais comme je les connois prefque tous , j’indique
le plus fimple, pour éviter la longueur des préparations
que la trempe en paquet demande : les
autres fecrets ne valent pas mieux que la méthode
que je viens de tracer.
La trempe en paquet n’a été imaginée que pour
donner de la dureté à la furface du fe r , & la
convertir en acier, & lui donner ; par la trempe
dans de l’eau froide, affez de dureté pour que
la lime n’y puiffe mordre.
Je préfume que cette découverte nous a procuré
l’art de convertir totalement les barres de
fer en acier : art plus important que tous ceux
que les hommes ont cultivés, après s’être donné
du fer ; puifque , fans l’acier , on ne peut faire
aucun outil, dont le nombre eft infini & indif-
penfable dans tous les. arts.
X I.
Quand la drogue fera bien féchée, il faut mettre
la filière au feu , & la couvrir de charbon de bois,
qui eft préférable à celui de terre, fur tout en
France où l’on fe fert d’acier ferrugineux d’A llemagne
,.qui ne prend pas la dureté que la trempe
doit donner, fans beaucoup de précautions.
Aufli-tôt que la filière aura pris la couleur d’une
cerife qui n’eft pas bien mûre, il faut la prendre
par le bout avec des tenailles, ( fig. p , />/./)*
& la tremper dans l’eau la plus froide & la plus
dure.
X X I.
Pour fa voir fi l’operation de la trempe a bien
réufli, c’eft-à-dire, pour connoître fi l’acier aura
pris toute la dureté dont il eft fufceptlblè, il faut
l’effayer en le frottant avec une lime d’Angleterre :
fi la lime n’y mord pas, & qu’elle gliffe en rendant
un fon clair, l’acier eft bien trempé ; fi au
contraire la lime prend & y fait des traits, c’eft:
une marque que la trempe eft manquée.
Lorfque la filière eft bien trempée, il faut la
frotter avec du grès ou de la brique pour la blanchir
, en prenant garde de ne pas la falir avec la
tranfpiration de la main , après quoi on la met
fur un feu de braife : en peu de temps elle prend
la couleur de citron pâle, après le jaune, enfuite
l’orangé , puis la couleur rouge, enfin le pourpre
& le bleu ; alors il faut retirer la filière de deffus
le feu , & la tremper dans de l’eau froide, pour
que la couleur ne paffe pas outre.
Les taillandiers nomment cette opération récuire
après la trempe ; les horlogers difent revenir, &
k les Anglois tempérer l’acier après l’avoir durci.
X I I I.
L’acier étant tiré en fil, on le coupe d’une longueur
proportionnée à celle des refforts qu’on veut
avoir, en obfervant qu’il doit avoir un pouce' de
moins, parce qu’il s’allonge en le forgeant; en-
fuite on les met en bottes pour les cuire dans un
feu de bois.
Quand le fil eft cuit, on forge chaque brin avec
un marteau à tête prefque plate, mais qui ne le
foit pourtant pas trop , parce que l’on ne pour-
roit guères dreffer l’ouvrage fans marquer l’enclume
la plus _dure ; ce qui arriveroit aufli. aux
refforts, & les rendroit fujets aux craques ; & fi
la tête du marteau étôit trop ronde, on feroit des
boffes fur les bords, ce quelles ouvriers appellent
tétons ou dents.
Le fil étant une fois forgé, il faut le recuire,;
l’écailler & le reforger de nouveau ; & ainfi, en
le recuifant & le reforgeant trois ou quatre fois
fur une enclume A , fig. 10,, avec un marteau B ,
on a de petites lames d’acier propres à faire des
refforts de montres.
X I V.
Je ne fais à quel temps fixer -l’époque où l’on
a trouvé la manière de faire les lames des refforts
de montres avec du fil tiré ; mais ce que je
fais de particulier de cette manière d’opérer, c’eft:
qu’elle a donné pendant un demi-fiècle, aux refforts
Anglois, une égalité d’épaiffeur fupérieure à
tout ce qui fe faifoit en Europe.
Depuis quarante ans on a trouvé des outils qui
donnent une égalité, fi parfaite ? qu’on pourroit fe
paffer de tirer en fil, fi la routine des ouvriers |
ne les empêchoit pas de fe départir de la méthode
de préparer leur acier en fils ronds, pour
les forger enfuite.
X V .
Les lames étant forgées de l’épaiffeur convenable
, il faut en prendre u n e , la monter dans
les limes, les deux bouts pris dans les tenailles,
\ fig. u ) :
Ces limes font montées fur un établi arrêté
d’un bout dans le mur, & l’autre foutenu fur un
pied : la lame étant ferme dans les tenailles, un
homme en tient une, & un autre tient la te naille
oppofée ; le premier tire à loi jufqu’à ce
que la tenaille oppofée foit arrivée contre les limes
, fon camarade en fait autant ; & ainfi, en
tirant alternativement, la lame devient auffi mince
que l’on veut.
Quand les ouvriers tirent trop v ite , cela occasionne
des grains fur les lames , qui font fi
dures, que les limes ne peuvent y mordre, ou
refque point, ce qui détruit bientôt les limes,
dur éviter cet inconvénient, le maître ouvrier
ne ferre qu’une v is , 8t lâche l’autre ; enfuite il
appuie avec fes doigts fur la lime fupérieure ,
du côté où la vis n’eft pas ferrée, & ainfi il fait
mordre fes limes'comme il le juge à propos.
L’opération de tirer dans les limes fait deux
biens à la fois ; l’un' eft d’amincir la lame en général;
l’autre eft de laiffer les deux bouts plus forts
que le refte , pour des raifons que j’expliquerai
dans la fuite.
X V I .
Cette manière de tirer dans les limes fut perfectionnée
par mon père, en y mettant de l’huile
pour empêcher les grains, & en y ajoutant des
calibres pour les tirer égales fur le plat, aufli bien
que pour les rendre égales fur les bords.
Le_calibre, pour tirer les refforts fur les bords,
fe voit (fig. 12 ) ; il a une petite fente pour laiffer
paffer le reffort par dedans, & il eft de la hauteur
que l’on veut que la lame foit large : il faut qu’il
foit d’acier trempé, fans le faire revenir ; car,
autrement, il s’ufe bien vite. Malgré' cette précaution
, il faut encore le réparer de temps en
temps, pour qu’il n’ait pas trop de jeu.
Quand on veut le réparer, il ne faut que chaf-
fer les goupilles qui ne font que légèrement rivées
; on détrempe les deux joues pour les relimer
, les rajufter & les tremper de nouveau avec
du paquet. On remet enfuite les petits bouts du
reffort d’en bas, pour déterminer, par leur épaif-
feu r , le jeu du calibre, & on remet les petites
goupilles, qu’on rive légèrement. Avec ces calibres
, on rend une lame d’une largeur parfaite
dans toute fa longueur.
La f ig . 14 eft pour faire v o ir une lame dans fon
calibre fans être couverte de lime ; & la fig. 13 eft
pour la faire,voir couverte de la lime.
Un autre avantage que mon père a procuré à
cette manière de tirer dans les limes, c’eft d’avoir
fait faire cet. ouvrage avec un homme fetil à*la
place de deux, par le moyen d’un châflis & d’une
■ 'monture de tenailles , ( fig. 20 ).
X V I I .
a , a , font deux poupées montées fur une barre
de fer b , b, en manière d’un tour d’horloger.
Aux parties fupérieures des poupées il y a des
trous carrés, pour contenir les queues carrées des
tenailles c,c. Les extrémités de ces queues font
taraudées pour recevoir des écrous à oreilles. La
barre bybyèft portée par deux taffeaux de bois d 9d>
qui font attachés à l’établi e , e , ê.
X V I I I .
Le châffis brifé qui porte les limes, eft la fig. t j.
æ, a , font les deux bois fur lefquels font montées
les limes c, c , & qui tiennent les deux étriers b , b»
X I X.
Pour tirer les refforts fur les bords, il faut mettre
le châffis (fig. 18) fur la barre de la fig. 19 ; en-
fuite paffer une lame dans le calibre e , & on
attache fes deux bouts dans les tenailles c , c, dont
les queues carrées font dans les trous carrés des
poupées a , a. Ces tenailles font tournées fur les
quarts qui les tiennent de champ ; alors on bande le
reffort par le moyen des poupées qu’on fixe au
point qu’il faut, en ferrant la vis de la poupée a
avec la clé g. Enfuite il faut tourner les écrous
à oreilles des tenailles, pour fixer la bande de la
lame. On ne doit pas le faire trop , & les maladroits
caffent quelquefois les lames.
On met un peu d’huile fur la lame ; l ’homme
pouffe .fon châffis jufqu’à ce qu’il touche une tenaille
, & après il le retire pour faire toucher
l’autre, ainfi alternativement, en faifant aller &
venir les limes jufqu’à ce qu’elles ne mordent plus,
& que le reffort fe trouve de la hauteur du ca-,
■ libre.
Dans cette opération, on fe paffe de vis ; les
mains ont affez de force pour ferrer les limes l’une
contre l’autre ; & de plus , fans les vis , on va
plus vite & fans tant ufer les limes : mais le reffort
n’eft pas d’une largeur fi exacte qu’en fe fer-,
vant de vis.
X X. .
Les lames de reffort étant faites fur les bords y
il faut déviffer les tenailles d’avec les poupées,*
& les changer de quarts pour tirer ces lames à
plat, (fig. ip), où le reffort & les tenailles fe
voient placés horizontalement.
Les tenailles étant ainfi en état, l’ouvrier prend
le châflis (fig. 1 7 ) , où il y a de meilleures limes