chaleur fuffifante. Au refte, ce n’eft que par l ’expérience
qu’on peut venir à bout de rencontrer jufte
îe degré de feu convenable pour bien deffécher le
grain.
Il femble qu’on partira d’un principe bien sûr,
en fuppofant que la chaleur de l’étuve ne nuira
point au grain, £ elle n’excède pas celle que le
foleil communique au grain dans les plus beaux
jours d’été. Elle fait monter le thermomètre au 50e
degré ou environ ; mais fi l’on eft sûr que la chaleur
de l’étuve y pouffée jufques - là , n’endommagera
pas le grain , il n’eft pas sûr quelle defsèclie luffi-
iamment du blé extraordinairement humide.
. Sans pouvoir donner des règles bien précifes
là-deffus, il eft à préfumer qu après un petit nombre
.d’effais faits avec quelque attention, on viendra à
bout d’agir à coup sûr ; d’autant plus que ce degré
fuffifant n’eft pas un point indivifiblè.
On s’affurera que la chaleur a été fuffifante, & on
pourra juger de la defiiccation du grain à l’oe il, au
toucher, à l’odeur, & en le mettant fous la dent ; s’il
le cafte comme le riz, il fera fuffifamment fec; mais
s’il mollit fous la dent fans fe rompre, on peut en
porter un jugement contraire.
On peut, fans gâter le froment, lui faire éprouver
une chaleur beaucoup plus forte. M. Duhamel s’eft
convaincu, par des expériences réitérées, que du
grain étuvé à 95 8&même à 100 degrés du thermomètre
de M. de Réaumur , n’en étoit point altéré,
& qu’on en pouvoit faire du bon pain.
Le froment, en paffant par l’étuve , perd une
partie de fon poids en raîfon du degré d’humidité
qu’il avoit. M. Duhamel trouva dans un temps que
le grain avoit perdu un huitième de fon poids ;
dans un autre temps, il ne perdit qu’un feizième.
Au refte, ceci ne fignifie pas qu’une mefure déterminée
de froment-étuvé, pèfe moins qu’une même
mefure remplie de froment qui n’aura pas effuyé
l’opération ; il fe trouve au contraire que le premier
pefera plus ,.fans doute parce que les grains fe ref-
ferrent, & qu’ il en entre un plus grand nombre
dans la mefure : on veut dire qu’une certaine quantité
de grain , pefée^n bloc avant que d’être étjivée,
pèfera plus qu’après.
On doit obferver que ce n’eft pas la feule violence
du feu qui procure la demccation ; fi on
l ’entretient plus long-temps fans en augmenter le
degré, elle fe fera plus complètement; & après qu’on
a ceffé d’entretenir le fe u , elle ira en augmentant
jufqu’à ce que le blé foit abfolument refroidi.
Si ces opérations n’empêchent pas que le blé fur
lequel on les a faites ne foit propre à Taire du
pain aufli bon, aulfi nourriffant, & peut-être plus
qu’avant de les avoir fouffertes , n’en pourroit-il
pas réfulter un autre m a l, qui feroit de perdre la
propriété de germer? Cette crainte n’eft peut-être
pas tout-à-fait deftituèe de fondement. On croit
communément que le blé vieux n’eft pas propre à
être femé. Il l’en en effet moins que le nouveau.
Cependant on a éprouvé en grand que le blé vieux
peut rêuflir, fi l’on a eul’attention de le conferver
en bon état.
M. Duhamel ne s’en eft pas tenu à des préjugés,
il a fait plufieurs effais pour s’éclaircir à cet égard.
Il a mis dans une même étuve à part, une petite
quantité de froment , vieux & nouveau , pour
éprouver à quel degré de chaleur l’un & l’autre
perdroient la propriété de germer ; il en fema qui
avoit éprouvé douze degrés & demi de chaleur ;
d’autre qui avoit éprouvé 38 degrés ; d’autre qui
en avoit éprouvé 51. Dans tous ces cas, le nouveau
1 leva ; mais le vieux ne parut point. ( Mémoire lu à
Vacadémie royale des Sciences de Paris , le 13 novembre
1743. )
M. Duhamel fit dans la fuite d’autres expériences.
En confidérant que la germination des grains eft
probablement l’effet ou la fuite d’une fermentation
intérieure, & que cette fermentation , pouffée à
un certain degré, eft aufli une caufe prochaine de
l’alrération qu’on craint, & dont on cherchoit à fe
garantir ; il lui paroiffoit naturel d’en conclure que
l’étuve feroit un moyen bien sûr de conferver les
fromens, fi elle détruifoit en eux la propriété de
germer. Certaines expériences fembloient favorifer
cette conféquence. Au bout de trois ans , le froment
a prefque perdu la propriété de germer, & il eft
alors beaucoup plus aifé à conferver que le blé
nouveau. Il effaya donc fi l’étuve employée fur du
froment nouveau , ne le dépouillerait point de
cette qualité. Il fema dans cette vue feize grains
de froment non étuvés, le 28 de mars ; le premier
juin fuivant, il n’y en eut que fept de levés ; ce
qui montroit que la moitié de ce blé & même plus ,
n’étoit pas propre à germer. On mit de ce même
froment dans des afliettes à la moitié de la hauteur
de l’étuve, & le thermomètre fut fufpendu à cette
même hauteur. Quand, la liqueur fut montée au 40e
degré, on tira le froment de l’é tuve, on en fema
feize grains le '2. avril; le 10 juin, il s’en trouva
neuf de levés : d’où il fuit que ce degré de chaleur
ne fait point de tort aux germes.
Le même froment ayant fefté quarante - huit
heures dans l’é tuv e , on en fema feize grains le 4
avril; & le ro juin, on en trouva cinq de levés;
& comme de celui qu’on n’avoit pas étuvé il n’en
étoit levé que fept fur feize, on peut conclure que
le froment de l’épreuve dont il s’agit, n’avoit pas
fouffert, une grande altération pour avoir été mis
trois fois vingt-quatre heures dans l’étuve échauffée
à 40 degrés.
Ce froment ayant été encore remis à l’étuve, on
augmenta la chaleur jufqu’à 5 5 degrés ; alors on
en tira un peu pour en femer feize grains; le 10
juin , on en trouva quàtre de levés ; on le laiffa
dans l’étuve trois fois vingt-quatre heures ; on en
fema le 7 avril feize grains ; le 10 juin, on en
trouva trois de levés.
Enfin, comme pendant toutes ces expériences il
! y avoit du froment dans les tuyaux de l’étuve, ot>
e n
en prit au hazard feize grains qu’on fema le 7
avril ; le 10 juin, il y en avoit cinq de levés.
On voit par toutes ces expériences, qu’un degré
de chaleur qui auroit fuffi pour faire durcir des
oeufs, n’a pas été fuffifant pour détruire tous les
germes du froment, quoiqu’il retarde beaucoup la
germination.
De tout ce qu’on vient de dire, il réfulte que
l ’étuve , fi elle affoiblit les germes , ne les détruit
cependant pas entièrement ; que. le temps tout feul
leur fait plus de mal que" l’étuve , & qu’avant de
jetter en terre une grande quantité de blé vieux , il
convient d*’effayer en petit ce qui pourra en réfulter;
qu’en faifant l’expérience, il eft à propos d’imiter
M. Duhamel, & de compter les germes qu’on mettra
en terre, pour favoir au jufte combien il en périt
& combien il1 en refte, au lieu qu’on fe contente
d’en jetter fans attention des poignées en terre,
qui ne laiffent pas de lever épais, parce qu’on en
feme beaucoup trop, & que peut-être il s’en perd
beaucoup.
Précautions contre les animaux.
Après les expériences rapportées, on n’héfitera
pas à croire que le froment étuvé ne foit en état
jd’être confervé fort long-temps , f i o h le renferme
dans un lieu qui ne l’expofe pas à contra&er de
nouveau quelque humidité ; ce qui pourroit arriver
affez facilement , mais dont on peut fe garantir
très - aifément aufli. Cependant quand on l’aura
placé dans un lieu fec & aéré, il ne fera pas encore
à l’abri de tout inconvénient ; les fouris & les rats
en confomment beaucoup. Certains infectes y font
encore plus de dommage , tels que les vers ou
teignes, les charanfons, & une efpèce de chenille
très-commune dans l’Angoumois, qu’on a le bonheur
de ne point connoître ailleurs , fans parler des
oifeaux ou d’autres animaux qui pourraient s’introduire
dans les greniers par la négligence des
propriétaires.
Le's fouris & les rats font fans doute tfès-dom-
mageabies , & toute la diligence imaginable ne
fauroit en préferver tout-à-fait les greniers, Ils ont
des ennemis qui leur font une guerre continuelle
& qui ne les épargnent pas , ce font les chats ; mais
en leur laiffant une entrée dans les greniers, il peut
arriver qu’on les ouvre à d’autres animaux, comme
feraient les poules; d’ailleurs les chats eux-mêmes,
en y faifant leurs ordures , ne font guère moins
dommageables. On a inventé des pièges ou. des
trapes de différentes efpèces pour les furprendre ;
on emploie des appâts empoifonnés pour les faire
périr, mais ils font moins efficaces dans un grenier
rempli de bon grain .que par - tout ailleurs. Ces
animaux ne quitteront point une bonne nourriture
pour s’attacher au poifon qu’on leur a préparé.
Tous ces différens moyens ne font pas fans utilité,
tous opèrent jufqu’à un certain point ; mais ils ne
peuvent pas en détruire la race. Après qu’on s’en eft
débarrafle pour un temps , ils repareiffent bientôt ;
Arts & Métiers. Tome I I I Partie I,
on feroit trop heureux fi on pouvoit venir à b#ut
d’en dégarnir un grenier pour toujours.
Précautions contre les in feues.
Les infectes font peut-être encore plus nuifibles
quand ils fe font une fois emparés d’un grenier, ils
• s’y multiplient prodigieufement ; & ils font par leur
grand nombre, ce qu’on ne deyroit pas, ce fembie,
craindre d’animaux fi petits.
Quand l’àir eft fort chaud , on voit quelquefois
voltiger aux fenêtres des greniers quantité de papillons
gris ;les mâles s’accouplent avec les femelles,
& celles-ci vont dépofer leurs oeufs fur le tas de
froment. Il fort de ces oeufs un petit infeéte du
genre des teignes, qui a une tête écailleufe, deux
ferres & fix pattes. Elles habitent dans le tas du
froTnent & s’en nourriffent ; elles filent certain®
foie, fur-tout lorfqu’elles font prêtes à fe changer
en chryfalides ; & cette foie joint tellement les
grains de froment les uns avec les autres, qu ils.
forment une efpèce de -croûte affez folide, qui a
trois ou quatre pouces'd’épaiffeur. Si on la rompt,
elle fournit des efpèces de mottes ou de gâteaux
dans lefquels on trouve des grains dont la farine a
été mangée ; on y voit aufli des teignes en vie ou
des chryfalides , fuivant la faifon ; d’autres fois on
n’y trouve que des fourreaux vides. Le défordre
qu’elles caufent, fe borne à la croûte dont on vient
de parler, & quoiqu’elle n’ait que trois ou quatre
pouces d’épaiffeur, cela fait un déchet conliderable.
Ce n’eft pas le feiil tort qu’elles font au froment ;
elles altèrent encore le bon grain , en lui communiquant
une mauvaife odeur que l’on appelle 1 odeur
de la mite. • ■
Les charanfons font des infe&es du genre des
fearabées; ils font plus pernicieux que les vers ou
teignes dont il vient, d’être queftion. Ils fe nour-
riflènt aufli de froment , dont ils font une grande
consommation; mais fans lui communiquer de mauvaife
odeur. Ils s’engourdiffent par le froid, qui ne
les tue cependant pas. On a éprouvé qii’ils peuvent
refter toute une nuit dans l’eau fans en mourir ;
la chaleur les a bientôt entièrement rétablis. Ils
peuvent vivre*long - temps fans manger , & il
y a lieu de préfumer que cet infeéte fe nourriroit
de la chair des animaux ; car ceux qui couchent
près des greniers où il y.a des charanfons, éprouvent
que leur morfure eft plus incommode que
celle des puces : il eft probable aufli qu’ils mangent
les teignes ; car on n’en voit point ordinairement
dans les greniers où il y a beaucoup de charanfons.
On remarque dans les baffe-cours, que les poules
qui ont mangé beaucoup de charanfons en meurent ;
on affure même que ces animaux , qui ont la vie
fort dure, leur percent le jabot.
On a cherché affez inutilement jufqu’ici des remèdes
ou des préfervatifs contre ces inconvéniens ;
on a invité les phyficiens à exercer leur fagacité
fur ce fujet, & jufqu’ici il n’a rien paru de tout-
à-fait fatisfaifent. Ce neft pas qu’on n’ait, propofé