
IMPRIMERIE EN COULEURS
( Art d e )
I j ’ A R T d’imprimer en couleurs ou l’art d’imiter,
par l’impreffion, les couleurs d’un deffin ou
d’un tableau, eft une invention moderne. Il y a
différens procédés que nous allons raffembler, d’après
les meilleurs ouvrages publiés fur cet objet,
principalement d’après l’ancienne Encyclopédie,
& d’après le Traité de Leblon ; ce qui nous obligera
auffi d’entrer dans quelques détails des différentes
gravures, d’après lefquelles fe fait l’impreffion
dont il eft k i queftion. Mais nous croyons
que les procéd^pour imprimer en couleurs ,
doivent trouver place dans ce Diâionnaire des
Arts , comme faifant fuite des autres manières
d’imprimer, que nous venons de détailler.
ImpreJJîon en camayeu.
L’art d’imprimer en camayeu a vraifemblable-
ment pris naiffanee chez quelques-uns de ces peuples
orientaux, où l’ufage de peindre leurs toiles
par planches, à rentrées & couleurs différentes,
fiibfifte de temps immémorial ; mais cet art fut
plus particulièrement connu en Europe, après la
découverte de l’imprimerie en lettres.
En effet , les premières rentrées de lettres en
vermillon , qu’on voit dans des impreffions de
1470 & 1472, exécutées par Guttemberg, Schoëffer
& autres, durent fuggérer à quelque peintre allemand,
les moyens d’imiter les deffins faits avec
la pierre noire fur le papier bleu & rehauffés de
blanc, en fe fervant de deux planches en bois à
rentrées ; l’une pour le trait noir & l’autre pour
la teinte bleue, avec les rehauts pu les hachures
blanches réfervées deffus.
Cette découverte a précédé l’an 1500. On voit
de ces impreffions en camayeu, datées de 1504,
qui ne font pas fans mérite. Il y en a auffi d’un
goût gothique de Martin Schon, d’Albert Durer,
de Hans ou Jean Burghmaïr, & de leurs contemporains.
Lucas de Leiden, Lucas Cranis. ou de Cronach,
Sebald , & prefque tous ceux qui travailloient alors
pour les imprimeurs en lettres, ont gravé à deux
planches ou rentrées.
Les Italiens s’appliquèrent auffi à ce genre, après
les. Allemands.
» Hugo da Carpi , au rapport de Félibien ,
v publia, dans fesprincipes d’architeétere, une ma-
« nière de graver en bois, par le moyen de laquelle
» les impreffions ou eftampes paroiffent comme
a lavées de clair-obfcur ; il faifoit pour cet effet trois
n fortes de planches d’un même deffin, lefquelles
a fe tiroient l’une après l’autre fous la preffe fur
» une même eftampe ; elles étoient gravées de
» façon que l’une fervoit pour les jours & grandes
» lumières , l’autre pour les demi-teintes , & la
» troifième pour les contours & les ombres
a fortes. «
M. Papillon, célèbre graveur en bois & très-
inftruit des procédés de fon art , a donné, dans
l’ançienne Encyclopédie, un Mémoire dans lequel
il développe cette invention de Hugo da Carpi,
de la manière fuivante : Hugo da Carpi grava des
rentrées ou planches par parties mattes, & employa
jufqu’à quatre planches de bois pour une
eftampe fans y faire aucune taille , les imprimant
d’une feule couleur par dégradation de teintes ,
chaque planche donnant à l’eôampe une teinte différente.
Il affeéteit de fe fervir de papier gris, afin que
les. rehauts ou les parles les plus éclairées , fùffent
d’une dernière teinte très - foible, qui fe fondît
mieux avec celles des planches gravées.
Il parvint, par cette induftrie, à donner à.l’im-
prêffibn de ces planches, un air de peinture fort
voifin du camayeu.
Ce fecret plut tellement au célèbre Raphaël,
qu’il fbuhaita; que plufieurs de fes compofttions
fuffent perpétuées de cette manière. Il grava lui-
même des càmayeux en bois, auxquels il mit fon
initial ou une R blanche à l’eftampe , ou de la
teinte la plus claire.
Sylveftre ou Marc de Ravenne , mais' particulièrement
François Mazzuolo , dit le Parmefan ,
ont beaucoup gravé de cette manière d’après Raphaël
; ils furent imités par Jérôme Mazzuolo ,
Antonio Frontano , le Beccafùmi , Baldafforne,
Perucci, Penozzi, Lucas Cangiage, Roger Goltz
ou Goltzius, Henri & Hubert de même nom. Le
trait des médailles données en camayeu par Hubert
Goltzius , peintre antiquaire , a été gravé à
l’eau forte. Plufieurs graveurs en ont fait autant
depuis, pour avoir des copies plus exaétes de deffins
de peintres, croqués à la plume & lavés de
couleur.
Dès le temps des Goltzius, des graveurs en
camayeu - ^arioient leurs rentrées par différentes
couleurs du trait, & chargoient cette gravure de
tailles & de contre-tailles ; ce qui fortoit du genre
& nuifoit à l’effet du camayeu de Hugo da Carpi. •
On a des impreffions ou eftampes en camayeu,
d’après Vanius, Luvin, Dorigny, Bloemart, For-
tunius, André Andriam , Pierre Gallus, Ligoffe
de Veronne , Barroche , Antonio da Trento ,
Giufeppe Scolari, Nicolas Roffilianus , Domi^
nique Saliene, &c.
Cet art fleurit en 1600 fous Paul Molreelfe
d’Utrecîlt, George l’Alleman, Bufnik, Stella, fes
filles & fa nièce, les deux Maupins, le Guide , 4Coriolan & Jean Coriolan ; en 1650 & depuis
fous Chriftophe Jegher, qui a gravé d’après Rubens
, Montenat, Vincent le Sueur , qui n’y a
pas beaucoup rétiffi, & Nicolas qui en a execute
avec plus de fuccès pour MM. Crozat & le comte
de Caylus.
François Perrier , peintre de Franche - Comté,
imagina % il y a plus de cent ans , de graver à
l’eau forte toutes fes rentrées de camayeu; ce
qui, félon Boffe, avoit déjà été tenté par le Parmefan
; mais il avoit abandonné cette manière qui
lui. avoit paru trop mefquine. Elle fe faifoit à deux
planches deJftiivre, dont l’une imprimoit le noir
& l’autre le^planc fur le papier gris. Ces eftampes
ou impreffiora étoient fans agrément & fans effet.
Perrier renonça à fes planches de caivre pour revenir
à celles de bois.
Après ce court hiftorique , il faut parler des
procédés de l’art. Voici comment Boffe explique
la manoeuvre de, Hugo da Carpi.
n II faut, dit-il, avoir deux planches de pareille
grandeur , exactement ajuftées l’une fur l’autre.
On peut, fur l’une d’elles, graver entièrement ce
que l’on defire, puis la faire imprimer de noir
fur un papier gris .& fort, & ayant verni l’autre
planche & ayant mi$ le côté verni dans l’endroit
de l’empreinte que la planche gravée a faite en
imprimant fur cette feuille , la paffer de même
entre les rouleaux : ladite eftampa aura fait fa
contre-épreuve fur la planche vernie. Après quoi ;
il faut graver fur cette planche les rehauts & les
faire profondément crêufer à l’eau forte. On peut
exécuter la mérite chofe avec le burin, & même
plus facilement.
La plus grande difficulté dans tout ceci, eft de
trouver du papier & une huile qui ne faffe pas
jaunir ni rouffir le blanc. Le meilleur eft de fe
fervir de l’huile de noix très-blanche & tirée fans
feu, puis la mettre dans deux vaiffeaux de plomb,
& la laiffer au foleil, jufqu’à ce quelle foit..épaiffie
à proportion de l’huile fpible dont on va parler.
Pour l’huile forte, on laiffera l’un de ces vaiffeaux
bien plus de temps au foleil.
Il faut avoir du blanc de plomb bien net, &
l’ayant lavé & broyé extrêmement fin , le faire
iecher & en broyer avec de l’huile foible bien à
fec , & après l’allier avec de Vautre huile plus
forte & plus épaiffe, comiïie on fait pour le noir.
Puis ayant imprimé de noir ou autre couleur fur
du gros papier gris , la première planche qui eft
gravée entièrement, vous en laifferez fécher Vimpreffion
pendant dix à douze jours : alors ayant
rendu ces eftampes humides, il faut encrer de ce
blanc la planche où font gravés les rehauts , de
la même façon que l’on imprime ordinairement ;
l’effuyer & la pauer enfuite fur la feuille de papier
gris déjà imprimée, enforte qu’elle foit juftement
placée dans le creux que la première planche y
a fait , prenant garde de ne la point mettre à
l’envers, ou le haut en bas. Cela fait, il ne s agit
plus que de faire paffer entre les rouleaux. «
Ces procédés ,. indiqués par Abraham Boffe ,
demandent encore quelques explications. C eft
pourquoi on va tâcher d’expofer l’art d’imprimer
en camayeu d’une manière plus précife & plus
claire.
Les planches deftinées à la gravure ou impref-:
fion en camayeu, doivent être faites dé poirier préférablement
au buis , parce que , fur le premier
de ces bois, les maffes prennent mieux la couleur
que fur le fécond. Il ne faut pas d autres outils
ni d’autres principes , que ceux relatifs à la gra-.
vure en bois.
On grave autant de planches ou rentrées que
l’on veut faire de teintes. Les plus grands clairs
ou les jours, comme hachures ou rehauts de blanc ,
doivent être formés en creux dans la planche ,
poür laiffer au papier même à en donner la côu-
lefiri w ' a «-
Quelquefois on gravera fur cuivre, à l’eau forte,
le trait de l’eftampe, fur-tout fi l’on ne peut imiter
le croquis original tracé à la plume & lavé, fans
que ce trait foit fort délié.
Le mérite de cette gravure & la perfe&ion de
l’impreffion, confiftera principalement dans la juf-
teffe des rentrées de chaque planche ou teinte.
On y réuffira par le moyen des pointes ajuftees
& de la frifquette, comme à l’impreffion en lettres
; mais mieux encore pat la preffe en taille-
douce , & d’une machine telle que celle dont on
va donner la defcription.
Lorfque les planches ou rentrées d’une eftampe
auront toutes été deffinées fort juftes les unes fur
les autres en bois, bien écarries , & gravées au
nombre de 'trois au moins , une pour Us maffes
les moins brunes, .où l’on' aura gravé en creux
les rehauts, une pour les maffes plus brunes, ,&
une pour lé trait ou les contours & coups de force
des figures , chacune n’ayant rien de ce qu’on
aura gravé fur une autre ; on aura une machine
de bois de chêne ou de noyer, de l’épaiffeur dès
planches gravées, & à peu de chofe près de la
largeur de la preffe en taille-douce.
Cette machine fera compofée de trois pièces,
jointes enfemble par des tenons a mortoife; lune
formée en talud , pour pouvoir être gliffée facilement
entre-les rouleaux de la preffe fur la table,
& ayant de chaque côté une petite bande de fer
fixée avec des vis fur fon èpaiffeur & fur l’épaïf*
feur des deux autres.
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