
Le meilleur quinquina , du moins le'pflus renommé
, fe recueille fur la montagne de Cajanuma ,
£t.iée à deux lieues & demie environ au fud de
L o x a , & c’eft de là qu’a été tiré le premier qui
fut apporté en Europe. Il n’y a pas foixante ans
que les commerçans fe muniffoient d’un certificat
par-devant notaires, comme quoi le quinquina
qu’ils achetoient étoit de Cajanuma. M. de la Con-
damine s’y étant tranfporté en 1737, pafia la nuit
fur le femmet dans l’habitation d’un homme du
pays , pour être plus à portée des arbres du quinquina
, la récolte de leur écorce faifant l’occupation
ordinaire , & l’unique commerce du particulier.
En chemin, fur le lieu & au retour, il eut
le loifîr de voir & d’examiner plulïeurs de ces
arbres, & d’ébaucher fur le lieu même un defïin
d’une branche avec les feuilles, les fleurs & les
graines qui s’y rencontrent en même-tems dans
toutes les fai Ions de l ’année.
On diftîngue communément trois efpeces de
quinquina , quoique quelques uns en comptent juf-
qu’à quatre ; le blanc, le jaune & le rouge. On
prétend à L o x a , que ces trois efpècë^s. ne font
différentes que par leur vertu ; le blanc n’en ayant
prefqu’aucune , & le rouge l’emportant fur le jaune ;
fk. que du relie les arbres des trois efpeces ne
differoient pas efTentiellement.
Il eft vrai que le jaune & le rouge n’ont a u cune
différence remarquable dans la fleur , dans la
feuille , dans le fruit, ni même dans l ’écorce
-extérieure : on ne diftîngue pas à l’oeil l’un de
l ’autre par-dehors, & ce n’eft qu’en y mettant le
couteau qu’on reconnoit le jaune à fon écorce
moins haute en couleur & plus tendre. Du refte ,
le jaune & le rouge croifîent à côté l’un de l ’autre,
gc on recueille indifféremment leur écorce , quoique
le préjugé foft pour le rouge. En fe féchant ,
la différence devient encore plus légère. L ’une &
l ’autre écorce eft également brune au-defîus. Cette
marque pafîe pour la plus fure de la bonté du
quinquina.; c’eft ce que les marchands efpagnols
-expriment par enve% prieta. On demande de plus
qu’elle foit rude par- defîùs , avec des briferes , &
caflàntes.
Quant au quinquina blanc, fa feuille eft plus
Tonde, moins lifte que celle des deux autres , &
même un peu rude. Su fleur eft aufli plus, blanche
, fà graine plus greffe , & fon écorce extérieure
eft blanchâtre.
Le quinquina blanc croît ordinairement fur le plus
haut de la montagne, & on nele trouvejamais confondu
avec le jaune & le rouge qui croifîent à mi-côte,
dans les creux & les gorges, & plus particulié-
xement dans les endroits couverts. Il refte à lavoir
iï la variété qu’ont y remarque ne provient point
jde la différence du terroir, & du plus grand froid
auquel i f eft expofé.
L ’arbre de quinquina ne fe trouve jamais dans
les,plaines, il pouffe droit & fe diftîngue de loin
d’un côté à l ’autre, fon fommet s’élevant au-
deflus des arbres voifins dont il eft entouré , car
on ne trouve point d’arbres de quinquina raffem-
blés par touffes , mais épars & ifolës entre des
arbres d’autres efpeces ; ils deviennent fort gros
quand on leur laiffe prendre leur croiffance. Il y
en a de plus gros que le corps d’un homme; les
moyens ont huit à neuf pouces de diamètre ; mais
il eft rare d’en trouver aujourd’hui de cette grof*
feur fur la montagne qui a fourni le premier quinquina.
Les gros arbres dont on'a tiré les premières
écorces, font tous morts aujourd’hui, ayant été
entièrement dépouillés. On a reconnu par expérience
que quelques-uns des jeunes meurent aufli
après avoir été dépouillés.
On fe. fert pour cette opération d’un couteau
ordinaire, dont on tient la lame à deux mains ;
l’ouvrier entame l’ écorce à la plus grande hauteur
où il peut atteindre & pefant deffus il le
conduit le plus bas qu’il peut.
Il ne paroît pas que les arbres qu’on a trouvés
aux environs du lieu où étoient les premiers,
duflènt avoir moins de vertu que les anciens , la
fituation & le terroir étant les mêmes; la différence,
fi elle n’eft pas accidentelle, peut venir
feulement du différent âge des arbres.
La grande confommation qui en a été faîte efl
caufe qu’on ne trouve prefque plus aujourd’hui que
de jeunes, qui ne font guères plus gros que le bras,
ni pins haut que de douze à quinze pieds : ceux
qu’on coupe jeunes repouffent du pied.
On préféroit anciennement à Loxa les plus
groffes écorces qu’on mettoit à part avec fe in ,
comme les plus précieufes : aujourd’hui on demande
les plus fines. On pourroit penfer que les
marchands y trouvent leur compte, en ce que les
plus fines fe compriment mieux & occupent moins
de volume dans les facs & coffres de cuir où on
les entaffe à demi broyées. Mais la préférence
qu’on donne aux écorces les plus fines eft avec
connoiffance de caufe & en conféquence des ana-
lyfes chimiques & des expériences qui ont été
faites en Angleterre fur l’une & fut l’autre écorce.
Il eft fort vraifemblable que la difficulté de
fécher parfaitement les greffes écorces , & l ’im-
prefïion de l’humidité qu’elles contraéfeht aifement
& confervent, ont long-tems contribué â lès décréditer.
Le préjugé ordinaire eft que pour ne rien perdre
de la vertu , l ’arbre doit être dépouillé dans
le décours de la lune & du côté du levant ; & on
n’omît, pas en 173ç de prendre a&e par-devant
notaires de ces circonftances, aufli bien que de
ce qui avoit été' recueilli fur la montagne de
Cajanuma, quand le dernier vice-roi du Pérou,
le marquis de Caftel-F.uerte, fit venir une ptovi-
$on de quinquina de Loxa pour porter tn Efpagne
a fon retour.
L ’ufage de quinquina étort connu des américains
.avant qu’il le fut des efpagnols ; & fuivant la
lettre mânuferite d’AntoineBolii, marchand génois,
qui avoit commercé fur le lieu cité par Sebaftien
liadus, les naturels du pays ont long-tems cache
c e fpécifique aux efpagnols, ce qui eft tres-croya-
b le , vu l’antipathie qu’ils ont encore aujourd hui
pour leurs conquérans.
Quant -à leur manière d’en faire ufage , on dit
qu’ils faifeienf infufer dans l’eau pendant un jour
l ’écorce broyée, & donnoient la liqueur à boire au
malade fans le marc.
•Les vertus de l’écorce de quinquina , quoique
parvenues à la connoiffance des efpagnols de Loxa ,
& reconnues dans tout ce canton , furent long-tems
ignorées du refte du monde , & ^’efficacité de ce
remède n’acquit quelque célébrité qu’en 1638 , a
l ’occaiion d’une fièvre tiercé;, opiniâtre dont la
comteffe de Chinchon., vice-reine du Pérou, ne
pouvoir guérir depuis plufieurs mois ; & quoique ce
irait d’hiftoire foit allez connu, on le rappellera
cependant ici avec quelques circonftances nouvelles...
•. ; _ } ;
Le corrégîdor de L o x a , créature du comte de
Chinchon , informé de l’opiniâtreté^ de la fièvre
de la vice-reine,' envoya au vice-roi , fon patron3 .
de l ’écorce de quinquina ; en l’afîiirant par écrit
qu’il répondoit de la guérifon de la comteffe, fi
on iui*donnoit ce fébrifuge; le corregidor fut
aufli-tôt appelle à Lima, pour régler la dofe & la :
préparation ; & après quelques expériences faites -
avec fuccès fur d’autres malades , la vice^reîne
prit le remède & guérit. Aufli-tot elle fit venir de
Loxa une quantité de la même écorce , qu’elle
diftribuoit à tous ceux qui en avoient befoin ; &
ce remède commença à devenir fameux , fous le
410m de poudre de La comteffe. Elle remit ce qui lui
reftoit de quinquina aux pères jéfuites qui continuèrent
à le débiter gratis, & il prit alors le nom
de poudre des jéfuites , qu’il a long-tems porte .en
Amérique & en Europe.
Peu de temps après , les jéfuites en envoyèrent
-par l ’occafion du procureur-général de la province
- du Pérou, qui paffoit -à Rome, une quantite^au
cardinal de.Lugo , de leur fociete, au palais duquel
ils le diftribuèrent d’abord , & en fuite a l ’apothicaire
du collège romain, avec le meme flicces
,'qu’à .Lima, & fous le même nom, ou fous celui
de poudre du cardinal^ gratis aux pauvres , & au
poids de l’argent aux autres, pour payer les frais
de tranfport , ce qui continuoit encore à la fin de
l ’autre fiècle.
On ajoute que ce même procureur de la même
fociëté, pâfîant par la France peur fe rendre à.
Rome-, guérit de la fièvre , avec le quinquina^ le roi
Louis »XIV , alors dauphin.
En 1640 , le comte & la .comteffe de Chinchon
étant retournés en Efpagne, leur médecin , 1e docteur
Jean de Vega , qui les y avoit _ fuîvis, &
qui avoit apporté une provifion de quinquina^, le
vendoit à Séville à cent écus la livre ; il continua
d’avoir le même débit & la même réputation juf-
qu’à ce que les arbres de quinquina tout dépouilles
étant demeurés rares , quelques habitans de L o xa,
pouffes par l’avidité du gain, & n’ayant point de
quoi fournir les quantités qu’on demandoit d’Europe
, mêlèrent différentes écorces dans les envois
qu’ils firent aux foires de Panama ; ce qui ayant
été reconnu, le quinquina de Loxa tomba dans un
tel diferédit qu’on ne vouloit pas donner une demi
plaftre de la livre , dont on donnoit auparavant
quatre & fix piaftres à Panama, & douze -a
Séville.
En 1690 , plufieurs milliers de cette écorce refe
tèrent à Priva, & fur la plage de- Payta, port le
plus volfin de Loxa ,'fans que perfonne voulût les
embarquer ; c’eft ce qui a commencé la ruine de
L o xa , ce lieu étant aujourd’hui aufli pauvre qu’il
i a été autrefois opulent dans le tems que fon commerce
floriffoît.
Entre les diverfes écorces qu’on a fouvent mêlées
avec celles de quinquina & qu’on y mêle encore
quelquefois pour en augmenter le poids & le volume,
une des principales eft celle d’alizier qui a
le goût ftyptique & la couleur plus rouge en-dedans,
& plus blanche en dehors; mais celle qui
eft le plus propre à tromper, eft une écorce appellée
cacharïl'a , d’un arbre commun dans le pays qui
n’a d autre reffemblance avec le quinquina, que
par fon écorce; on le diftiligue cependant & les
connolireurs ne s’y laiffent pas tromper.
11 y a tout lieu de croire que cette écorce de la
..cachariila eft celle que nous connoiftoiis fous le
nom de chacriL.
Depuis plufieurs années , pour prévenir cette
fraude , on a la précaution qu’on négligeoit autrefo
is , de vifiter chaque ballot en particulier, & à
Payta-, où s’embarque pour Panama la plus grande
partie du quinquina qui paffe en Europe. , aucun
ballot, s?iî ne vient d’une main bien fûre, ne fe
met à bord fans être vifité.
Il faut avouer, néanmoins, que malgré cette
précaution, les acheteurs , qui pour la plupart ne
s’y connoiffent pas , & qui jamais ou prefque jamais
ne vont à Loxa faire leurs empiètes, font dans la
néceflité. de s’en rapporter à la hou ne - foi. des
vendeurs de Payta ou de Guaya, qui fouvent ne
le tiennent pas de la première irmin, & ne -s’ y
connoiffent pas mieux. De fages régiemeris -pour
affurer la bonîie-fbi d’un commerce utile i la