
famille, que l’on porte à une fômme égale à fa
recette, c’eil-à-dire, à y 8 6 livres 4 fols, fans
y comprendre le paiement d’aucun impôt 5 d’où l’on
conclut qu'à moins que ce journalier ne foit très-
heur eux, i l ne peut éviter de devenir à la fin de Vannée
le créancier du public*
En lifant ces détails, on eft tenté de croire que
les journaliers anglois ont pris pour règle de leur
dépenfe, la manière dont un de leurs anciens
fouverains, Ethelftan , vouloit que les pauvres de
fon royaume fuffent nourris & entretenus; il avoit
ordonné à fes officiers, fous peine d’amende, de
délivrer tous les mois à chaque pauvre anglois une
amphore de farine, & un quartier de cochon, ou
un bélier , du prix de quatre deniers , & de lui
fournir tous les ans un bon habit.
Il n’eft point de journalier dans prefque toutes
nos p ro v in c e sq u i ne fe trouvât parfaitement
bien traité, s’il étoit employé toute l’année à raifbri
de 1 y fols par jour. Les fêtes réduifent, pour les
catholiques , à 300 , au plus , le nombre des jours
ouvrables. Une famille compofée, comme celle
dont parle la lettre que j’ai citée, d’un homme
qui gagneroil iç fols par jour, d’une femme &
de quatre enfans qui en gagnerait y par leurs
travaux réunis, fe procurerait 20 lois pour le
falaire habituel & journalier des fîx individus
dont elle fe trouverait formée; de manière que
le produit annuel de leur travail s'élèverait à 300
livres : or, il ell confiant que cette famille pourrait,
avec cette fomme , non-lènlement pourvoir à tous
fes befoins, & au paiement des fubfides, mais
encore trouver le moyen de faire quelques petites
épargnes, enforte que fî un accident, ou même une
maladie , la privoit pendant quelque temps des
falaires du travail de fon chef, elle ne ferait pas
tout-à-coup réduite à la néceflité de recourir à la
charité de fes voifîns., ou de fon palleur ; loin de
devenir, comme la famille angloife, la créancière
de l ’état, elle ne cefferoitpas même d’en acquitter
les charges : ainfî l’économie, la fobriété , & l’e£-
prit de prévoyance, «aillent, chez le journalier
françois, de l’incertitude des fecours, & de la crainte
d’en manquer : la taxe qui allure ces fecours au
journalier anglois, le rend au contraire diflipateur
& parefleux. « Les fermiers fe plaignent, dit
» M. Townfend, que leurs ouvriers travaillent
» moins bien, -depuis qu’il n’eft plus honteux de
» vivre de la taxe des pauvres »•
Ces effets de la taxe fe manifeftent d’une manière
encore plus fenfîble , lorfque l’on compare
la dépenfe de la famille de ce journalier anglois,
avec celle de la famille d’un journalier écoflois,
compofée du même nombre d’individus. Celle-ci
fournit à tous fes befoins avec une folde qui
n’excède pas 3 69 livres 4 fols, quoique le bled j
foit communément plus cher en Ecoffe qu’en Angle- I
terre ; & la famille angloife, qui reçoit annuellement
y 8 6 livres 4 lois des produits de fon travail,
les falaires étant d’un tiers plus chers en Angleterre
qu’en Ecoffe, ne peut pas trouver le moyen de faire
quelques petites épargnes ! Cette différence de
conduite provient fans doute de ce que la taxe
établie en Angleterre offre à cette famille des
fecours qui la difpenfent d’être économe, tandis
qu’au contraire l’économie eft la principale ref-
fource de la famille écofioife , parce qu’il n’exiffe
dans fa patrie aucun établiffement qui puiffe lui tenir
lieu des fecours qu’elle lui affure.
, Cette taxe a un autre inconvénient qui répugne
également à la juftice & à l’humanité ; c’eft qu’elle
dépouille l ’homme économe & laborieux de fa
propriété, pour en gratifier le fainéant & le
prodigue. « Voyez, dit M. Townfend, ce fermier
« laborieux; il fe lève matin, & fe retire tard, il
» fe livre à un travail rude, il vit durement, &
» malgré tous les foins qu’il fe donne , à peine
» peut-il fournir à la fubfîftance de fafamiHe; 1 jb
» voudrait la nourrir mieux, mais il faut que
» le prodigue foit nourri par préférence à elle;
» il voudrait lui acheter des vêtemens plus chauds,
» mais il faut que le fils de la proffituée foit vêtu
» auparavant ».
Enfin, les loix en vertu defquelles on procède
au recouvrement de cette taxe, contiennent des
difpofitions abfolument contraires à fon objet, en
ce qu’elles tendent, comme e lle , à provoquer
l ’accroifîement du nombre des pauvres, au lieu
d’en accélérer la diminution ; elles permettent
elles ordonnent même que l ’on vende les meubles ^
d’un père de famille, & qu’on le prive de fà
liberté pour le contraindre au paiement de la
fomme à laquel’e il a été impofé ; ainfî, elles
créent des mendians par l ’effet des moyens qu’elle*
emploient pour les détruire.
| J * les loix fifcales , contre lefquelles l’humanîte
élève fouvent la voix, font quelquefois auffi odieufes,
elles ne font pas du moins auffi inconféquentes.
Pourrait-on s’étonner , d’après cela, de l ’augmentationprogreffive
du nombre des pauvres ? & peut-on
prévoir où elle s’arrêtera l
Ce ferait bien le cas de dire à la nation angloife
ce que M. le chancelier d’Agueffeau écrivoit, en
17 *0 , au parlement de Grenoble: « Vou*.êtes
» trop éclairés pour ne pas fentir la fageffe de
» cette maxime, q uil ne faut pas faire des pauvres
» pour en ajfifter d'autres. »
Cette taxe ne reffemble point aux impôts qui Ce
perçoivent au profit du fifc ; elle n’eft ni générale ,
ni déterminée ; elle eft abfolument locale, & relative
aux befoins des pauvres de chaque paroiiïe ; elle
varie, par conféquent, en raifon de ces befoins :
les^ paroiffes qui n’ont point de pauvres ne paient
point de taxe.
R É G
En comparant les rapports des infpefteurs des
pauvres, mis fous les yeux du parlement en 1777 »
avec les comptes que ces officiers lui ont rendus
en 1787 , j’ai remarqué que quelques paroiffes
qui étoient taxées en 1776, avoient ceffé de l ’être
en 178^, & que d’autres, qui l ’étoient à cette
dernière époque, ne payoient pas de taxe en 1776.
I l paraît que, fur environ dix mille paroiffes qui
exiftent, tant en Angleterre que dans .la principauté
de Galles , il peut y en avoir habituellement
200, ou la cinquantième partie , qui ne paie
pas la taxe : les unes (.c’eft le plus petit nombre),
parcë que leurs pauvres font défrayés par les revenus
de la communauté ; les autres, parce qu’elles
n’ont point de pauvres, ou qu’elles ceffent d’en
avoir : deux de ces paroiffes feulement font redevables
de l’exemption de cet impôt à. la généralité
de leurs feigneurs; favoir celle de Cocken,
dans le comté de Durham, dont les pauvres étoient
entretenus par M. Arthur Carr , écuyer, dès avant
l ’année 1776 ; & celle de Wormleighton , dans
le comté dé Warwick, qui payoit, en 177 6 ,
iy cents 86 livres 6 fols , & dont les pauvres font
entretenus aujourd’hui par le lord Spencer.
11 y a lieu de croire que cet a&e de bienfai-
lànce ne le conftitue pas dans une dépenfe auffi
confîdérable que l ’étoit la taxe impofée fur fes
vafïaux, parce qu’il eft confiant qu’avec une fur-
veillance plus a&ive fur l ’emploi des aumônes,
fur l ’ufage qu’en font les malheureux qui les reçoivent,
& fur leur conduite, on fait plus de bien,
même en dépenfànt moins.
Cette obfervation de M. Townfend eft une dé-
monftratiofif de cette vérité : t< Si nous jettons ,
» dit-il, un coup d’oeil fur les paroiffes dans lef-
» quelles les magiftrats réfîdent fur leurs propres
» terres, nous y verrons la taxe des pauvres com-
» parativement moins forte. La fobriété 8c l’in-
■ » duftrie y prévalent & fe développent, & il eft
» rare d’y appercevoir des traces d’une extrême
» misère ».
Quand on fè rappelle qu’un des motifs qui
portèrent Henri VIII à fupprimer les hôpitaux,
fut que ces maifons entretenoient le bas peuple
dans la pareffe, au moyen des fecours qu’elles lui
offraient ; & lorfqu’on lit dans l ’hiftoire de la
Réforme, par Burnet, &' dans l’Efprit dés Loix
de "Montefquieu, que cette fuppreffion a été le
principe des progrès du commerce & de l’induftrie
des anglois , on a peine à concevoir qu’ils aient pu
fë prêter avec autant de facilité à l’établifîèment
d ’un auffi grand nombre de maifons de charité.
« Il eft difficile de décider , dit M. Townfend,
» qui, de l’homme livré à la méditation, ou j du
» laboureur groffier & ignorant, a montré plus
» d’ardeur pour l’établiffement de ces maifons ;
le zèle de l’un a été enflammé par une vaine
»> théorie, celui de l ’autre a été excité par l’ex-
R É G
» périence ; le premier s’eft flatté qüe ces établîf-
» fenïens contribueraient à l ’augmentation du
» commerce & de l’induftrie nationale, l’autre les
» a confîdérés comme des remparts derrière lefquels
» il défendrait avec plus de fiiccès fa propriété, en
» même temps qu’il pourroit défier le juge de
» paix. »
Il paraît qu’à l’époque de leur établiffement, ces
maifons firent fur l’efprit des pauvres la même im-
preflion que nos dépôts de mendicité.
L a crainte d’être privés de leur liberté, &
affujettis à des travaux pénibles, détermina vrai-
fèmblablement quelques mendians à quitter leur
vile profeffion ; le nombre de ceux qui entrèrent
dans les maifons de travail fe trouvant alors
moins confîdérable que n’étoit, avant leur établiffement,
le nombre, des pauvres qui vivoient des
produits de la taxe, cette taxe éprouva une diminution
très-fenfîble, qui fixa l ’attention des paroiffes
voifînes de celles qui avoient adopté ces nouveaux
établiffemens , &les détermina à en former de parai s
chez, elles: c’eft peut-être un des motifs qui a le plus
contribué à leur multiplication.
Les pauvres françois rie fe font pas accoutumés
aux dépôts de mendicité, parce qu’ils n’ont pas encore
ceffé d’être des maifons de corredion ; les
pauvres anglois fe font, au contraire, famiiiarifés
avec les maifons de charité , parce qu’elles ne
les privent point de leur liberté, ils y font bien
nourris , ainfî que leurs enfans, & le travail que
l’on y exigé d’eux ne les expofe ni à une grande
fatigue, ni aux injures de l’air : auffi ces établifïe-
mens, qui, dans leur origine, avoient contribué
à la diminution de la taxe , ont été enfuite une
des principales câufes de fon accroiffement,
M. Townfend cite plufîeurs exemples des révolutions
que cette taxe a éprouvées , qui ne permettent
pas de douter de la vérité de jTaffertioii ;
tel eft, entr’autres, celui de la ville de Chelms-
ford, dans le comté d’Effex. Elle payoit 12 mille
livres pour la taxe des pauvres, avant d’avoir établi
une maifon de travail ; peu après cet établiffement,
la taxe fe trouva réduite à 3 mille 4 cents 3 2 livres ;
mais elle s’eft accrue depuis au point qu’elle s’éle-
v o it, en 1784, à 19 mille 328 livres.
Les hiftoriens reprochent à l ’empereur Conflan-
tin d'avoir multiplié les pauvres, en faifant conf-
truire un grand nombre d’hôpitaux. Montesquieu
nous dit que l'efprit de parejfequînfpirent ces maifons
augmente La pauvreté ; & pour le prouver, il ajoute
qu'à Rome , ou elles font tres-niultip liées , tout le
monde eft à fon aife 3 excepté ceux qui travail.er.t,
excepté ceux qui ont de Cindufine, excepté ceux qui
ont des terres , excepté ceux qui font le commerce .•
c’eft-à-dire que les fainéans y vivent heureux aux
dépens du laboureur, de l’artifan & du négociant.
Si ce grand homme exiftoit encore , l’Angleterre