
Loffjue les tartarcs furent maîtres de la Perfe ;
Or mus, Kis , Baffora, devinrent lés entrepôts des
denrées d’Orient. Dans les onzième, douzième ,
& treizième fiècles, elles pafsèrent en Europe par
diverfes routes : tantôt elles remontèrent le fleuve
Indus, traversèrent la mer Calpien'ne, & arrivèrent
, par terre, à la mer Noire ; tantôt elles remontèrent
le Golphe Perfîque, & prirent la route
de la mer Noire par rArménie ; elles pafsèrent
au Ai par Bagdad, pour aller à Damas, à Aiep , à
Antioche j a Acre-, &c.
Enfin les Soudans d’Egvpte ayant permis, en
1339, aux Italiens de venir à Alexandrie, ces
marchandifes qui, au rapport deSanatus & de l’Archevêque
de T y r , confîftoient en clous de gérofle,
mufcades , foies , lucres , & autres de cette cfpèce,
reprirent la route qu’Alexandre leur avoit ouverte
anciennement.
En i 250 , Marc-Paul, noble Vénitien, conduit
■ en Tartarie par des fpsculations de commerce ,
voyagea dans la partie méridionale de l ’empire de
la Chine, & parcourut, le premier , la prefqu'ifle
du Gange. Il dit, en parlant du Bengale , que ce
royaume produit des épiceries, du galanga, du gingembre
, & du fucre en abondance.
Enhardis par l’exemple de Marc-Paul, les marchands
, qui jufqu’alors avoient attendu les Indiens
à Ormus, allèrent s’approvifîonner chez eux. Ce
fut à cette époque qu’on leur enleva la canne à
fucre & les vers à foie. L’Arabie heifreufe fut le
premier berceau de ces deux productions, qui de-là
pafsèrent eu Nubie, en Egypte & en Ethiopie ,
oh on fit du lucre en abondance, comme nous
le verrons bientôt.
Vafco de Gama qui doubla le Cap de Bonne-
Efpérance en 1 4 9 7 , rapporte qu’il fe faifoit, dans
le royaume de Calicut, un commerce confidérable
de fucre & de conferves.
Pedro Alvarès Cabrai, Portugais, alla en 1500
à Gambaye ; il trouva ce pays très- abondant en
fucre, dont on faifoit un immenfe commerce.
Barthema rapporte qu’en 1506 , Bathacela étoit
une ville de l’Inde très îliuftre, qui faifoit un grand
commerce en fucre, fur-tout en fucre candi, qu’elle
étoit tributaire du royaume de Natfînga , & que ce
royaume étoit très-abondant en fucre.
Odoardo Barbofa dit qu’en 1 y15 à Bathecala,
fur la côte de Malabar , on faifoit un riche commerce
de fucre en poudre, parce qu’ôn ne favoit
pas le faire en pain ; il rapporte qu’à Bangala ,
on faifoit du fucre blanc & bon, mais que ne fa-
chant le réduire en pain , on le metroit dans des
facs de toile couverts de cuirs bien cou fus ; enfin ,
il rapporte encore qu’on y faifoit des conferves de
limon,, de gingembre, & d’autres fruits du pays
gui étoient excellens confits au fucre.
Antoine Pigafi tta dit qu’en 15* ip , les habitans
de Zàmal ( une des iflesdes Larrons ) , fe nourifi
foient.de figues, longues d'une palme, de cannes
à fucre & de poiffons. Il dit qu’à Zubut, ifle au
fud de la Chine, à Caghïcam & Pulaoan , les
habitans leur apportèrent en préfent desvafts peints,
de l’arach & plufieurs faifeeaux de cannes à fucre
très-douces ; que le roi, après les avoir comblés
de préfèns, leur donna un repas où on leur fervit
de la canelle préparée au fucre, & des viandes
confites avec une fi grande quantité de fucre, qu’ils
les eoupoient & les mangeoient avec de cuillers
faites comme les nôtres.
On peut juger, d’après le témoignage de ces
voyageurs, combien dévoient être anciens l'art du
fucrier , l’art du raflmeur, & du confifeur, qu'ils
trouvèrent connus & répandus dans toutes les grandes
Indes.
Nous n’avons point encore trouvé l’époque pré-
cife , depuis le voyage de Marc-Paul, à laquelle
la canne fut apportée en Arabie & en Egypte. On
verra feulement, d’après le témoignage des voyageurs
les plus reculés que nous avons pu confulter,
qu’à la fip du quatorzième fîècle , la culture delà
canne & la fabrication du fucre éroient générale*
ment répandues en Arabie, en Egypte, & dans
plufieurs autres parties de l’Afrique.
Barthema dit qu’en 1505, on faifoit dans les
contrées de Daiiar & Z ib ît, villes confîdérables de
l’Arabie heureufe, un très-riche commerce en fucre.
Au rapport de Giovan Ltoni , Dangaloa, ville
confidérable de la Nubie, faifoit, en 1500, un
grand commerce de fucre que fourniiïoit toute la
province; mais ce fucre étoit brut & noir, parce
que lès habitans ne favoientpas le cuire. Ce même
voyageur dit qu’il y avoit à Dérotte, ville d’Egypte
très-illuftre, bâtie fur le Nil du temps des
Romains, une communauté qui payoit, en 1500,
aux Soudans d’Egypte 100,000 faraffis, pour avoir
la liberté de faire du fucrè. La manufacture de cette
communauté étoit fi confidérable, qu’elle paroiffoit
grande comme un château. Elle renfermoit des
prefloirs & des chaudières , où on faifoit & cuifoit
le fucre, & le nombre des ouvriers employés à ce
travail étoit fi grand, qu’on payoit pour leur falaire
200 Lraffis par jour.
Il dit auffi qu’à Thèbes, ancienne ville bât’.e
fur le Nil & fi fameufb autrefois, il y avoit, en
1500 , grande abondance de fucre.
Giovan-Lioni rapporte encore qu’au nord du
royaume de Maroc , i l y avoit une belle plaine
baignée par le fleuve Sus, qu’on y faifo’t une
quantité de fucre noir, parce que les habitans ne
favoient pas le cuire ni le purger, & que des marchands
du royaume' de F e z , de Maroc, du^pays
des Nègres, vendent acheter ce fucre à Teijqut,
ville anciennement bâtie dans la plaine par les
Africains.
La canne, fuivant Dom François Alvarès, étoit
auffi cultivée en Ethiopie , en 15 3 3 ; mais les habitans
la mangeoient crue, ne fachant pas cuire
le fucre.
Ce fut à la fin du quatorzième fîècle qu’on porta
la canne en Syrie, en Chypre , en Sicile ; le fucre
qu’ôn en retira étoit, comme celui d’Arabie & d’E gypte
, gras & noir.
Dom Henri régent de Portugal, ayant fait la
découverte de Madère en 1410, y fit tranfporter
des cannes de Sicile, où on les avoit introduites
depuis peu, elles y furent cultivées avec fuccès
ainfî qu’aux Canaries ; & bientôt ces ifles mirent
dans le commerce, du fucre qui eut la préférence
fur tous les fiicres de ce temps-là, particulièrement
celui de Madère.
Les Portugais portèrent la canne à l ’ifle Saint-
Thomas , fîtôt qu’ils l’eurent découverte j & , en
I^ao, il y avoit , au rapport d’un pilote portugais
, plus de foixante manufacturés à fucre. Les
habitans riches avoient deux ou trois cents nègres
employés à fa culture, & cette ifle faifoic 150,000
arobes de fucre qu’on purgeoic avec de la cendre.
( L'arobe pefoit 31 livres. )
La canne fut auffi plantée en Provence, mais la
température de l’hiver força d’en abandonner la culture.
Elle fut cultivée en Efpagne, & il y a encore
aujourd’hui dans ce royaume, en Sicile & à Madère
, des manufacturés à fucre.
Chriftophe Colomb ayant fait -la découverte du
nouveau monde, un nommé Pierre d’Etiença porta
la canne, en 1506, à Hifpaniola, aujourd’hui
Saint-Domingue.
Un catalan , nommé Michel Balleftro , fut le
premier qui en exprima le fuc; & Gonzales de
Velofa fut le premier qui en retira du fucre. Ce
Gonzales conftruifît un moulin fur la rivière de
Nigue, & fit venir, à fes frais, des ouvriers habiles
de Tifle de Palme ( une dés; Canaries ) , pour
faire du fucre.
Sloâne rapporte , fur le témoignage de Martyr,
que la canne croifToit merveilleufement bien à Sr.
Domingue, qu’elle étoit groffè comme le poignet,
& que la même touffe donnoit vingt à trente rejetons,
tandis que celles de Valence n’en donnoient
que cinq à fix. Il dit auffi qu’en 1518, il y avoit
dans cette ifle vingt-huit fucreries. La culture de
la canne s?étendit à Saint-Domingue avec une fi
prodigieufe rapidité , & les produits en fucre furent
fi confîdérables , qu'on allure que les magnifiques
palais de Madrid & de Tolède, qui font l’ouvragé
de Charles-Quint, furent entièrement bâtis du feu 1
produit des droits d’entrée du fucre de l’ifle Ef-
pagnole.
En fixant la première époque de l ’établifTement
des fucreries, dans le nouveau monde, chez les
Espagnols & les Portugais à la fin de 1580, le
père Labat a commis une très-grande erreur; puifî-
qu’en 1518, il y avoit à Saint-Domingue vingt*-
huit fucreries. Il n’efl pas croyable non plus que les
Portugais qui découvrirent le Bréfîl, en 1500,
ayent refté quatre-vinges ans fans y porter la culture
de la canne; fur-tout, après avoir reconnu
l’extrême fertilité de ce pays, & ayant à peu de
diftance , ( à Saint-Thomas ) la canne & des ma~
nufadures à fucre confîdérables.
Il ne paroît pas que la canne fut naturelle à aucune
partie de 1 Amérique; & quoique le père Labat
dife qu'elle ait été trouvée dans quelques ifles , le
témoignage des voyageurs peu connus qu’il cite ,
ne fuffit pas pour démontrer ce qu’il avahee à ce
fujet.
M. Geoffr.oi a écrit que Pifôn regardoit la canne
comme indigène au Bréfîl. D’après les propres e-x-
preffions de Pifon , on peut conclure que la canne
eft étrangère au nouveau monde > & qu’elle y a
été portée.
‘ ‘ Quoique, dit-il, les cannes ne foLent point
propres, ni indigènes aux ifles Canaries, à Saint*
Domingue , & moins encore à Ja nouvelle Efpagne
, mais qu’elles foient étrangères à toutes ces
provinces & qu’elles y ayent été apportées , cependant
, comme on les a trouvées, en premier lieu ,
aux ifles Canaries , il eft à propos d’en parler ,
m’étant propôfé de traiter de toutes les plantes de
ces contrées qui peuvent être d’ufage en médecine,,.
Il paroît donc certain que la cartne eft étrangère,
non-feulement à l’Amérique , mais qu’elle l ’eft
auffi à l’Europe, à l’Afrique & à toute la partie
de l’Afîe qui en deçà du Gange. Nous venons de
voir la marche que la canne a fuivie, pour fe répandre
dans toutes les parties du monde, depuis
l'époque où cette plante précieufe fut portée en
Arabie. En enlevant la canne , on oublia l ’art d’en
extraire le fel eflentiel, & les moyens que le ha-
zard offrit en Arabie aux premiers cultivateurs ,
furent entièrement éloignés de ceux qu’on prati-
quoit dans les Indes.
Les dérails que donne Rhnmphius fur l’art de
faire cryftaliifer le fucre , chez les Chinois , nous
apprennent que cet art étoit fondé fur les principes
de la chimie la plus faine.
et Le fuc exprimé, dit-il, eft reçu dans de gran-
« des chaudières , fous lesquelles on entretient un
» feu très-fort ; à mefure que ce fuc s’évapore ,
« on en ajoute de nouveau , jufqu’à ce qu’il de-
» vienne roux & épais ; alors on le met dans des
» plats de terre grands & profonds qu’on porte dans
j» Un lieu chaud. Le fucre forme a la furface des
*> cryftaux qui fe réunifient: en grouppes blancs
m qu’on nomme, gâteaux de fucre, & celui qui