
SABRES ET LAMES DE DAMAS-
( Art de l’acier des )
I j E véritable acier de Damas en Syrie nous eft peu
connu ; les précautions prifes par le grand feigneur
pour en empêcher la fortie de Tes états, fans être
fabriqué, le rend infiniment rare en France, du
moins en barreaux : il l ’eft un peu moins en fabres,
coutelas, poignards & autres armes turques à la
fabrication desfquelles il eft employé, j
Les différentes armes de cette efpèce, que j’ai
pu me procurer, m’ont montré tant de variations
dans le deflèin de leur damaffé, que je fuis tenté de
croire qu’il y a aulfi diftèrens. procédés fuivis pour
la fabrication de ce métal. Je tacherai de développer
dans cet ellai deux procédés qui peuvent faire dif-
tinguer l ’acier de Damas en acier forgé & acier fait
au creufet.
M. Perret artifte, qui a donné un mémoire eftimé
fiir l’acier, croit que le vrai damas efl fait dans le
creufet ; mais j’ai vu des fabres & autres armes que
1 on aîfuroit de vrai damas, dont l’amalgame des
matières qui les compofoient ne pouvoit être fuppofe
fait dans le creufet, tandis que dans d’autres tout
induifoit à le croire.
L ’induftrie des artifles les a excités à imiter le
véritable acier de Damas; on s’en efl particulièrement
occupé il y a quelques années à la manufacture
de Klingenthal en Alface ; on fabrique auffi beaucoup^
de damas faétice à Solingen dans le duché de Berg :
mais toutes ces lames qui imitent plus ou moins
le vrai damas, en diffèrent effentiellement, en ce.
que les lames turques font pour ainfî dire compofées
dun noyau d’acier fin, couvert des deux côtés par
l ’étoffe de damas ,x e qui leur donne non-feulement
plus de corps , fnms auffi un tranchant égal &
homogène, avantagés que n’ont point celles qui
font (orties jufqu’à préfent des fabriques de France
& d’Allemagne ; mais j’en ai fait fabriquer en 1787,
d’après ce principe, à la manufacture de Klingenthal
, & elles ont parfaitement réuffi.
Fabrication du damas forgé.
On prend pouf former cette étoffe au moins deux
efpèces d’acier; celle que j’ai fait fabriquer fous mes
yeux étoit d’acier compofée de Siegen raffiné à trois
marques à la manufacture de Klingenthal, & d’acier
de Prafaner en Styrïe. Ce dernier, qui fe vend en
petits barreaux de 8 à 9 lignes d’équarriflage, efl
peu affiné, & efl trempé en fortant de delfous le
marteau comme le dénote fa furface ; il montre un
grain très-brillant & argenté.
J’ai commencé mes effais en y mêlant du fer
comme l’indique M. Perret ; mais ce mélange donne
des lames qui ont trop peu de corps & font prefque
toujours fauffantes. Je ne parlerai donc ici que de
mon dernier réfiiltat compofé des deux efpèces
d’2cier ci-deffus. J’ai cependant effayé de remplacer
l ’acier de Siegen par celui de Deux-Ponts ; &
l ’emploi de ce dernier m’a donné un damas heau-
coup plus brillant.
On foit d’abord étirer fan acier ( au gros marteau
fî on en a la facil'-té ) en barreau de fîx lignes de
largeur, environ fur trois à quatre .d’épaiffeur, &
même moins fi l ’on veut. O11 forge enfuité de ces
petites barres, des lames que l ’on coupe à 6 pouces
de longueur, & auxquelles on donne 6 lignes de
largeur & environ une d’épaiffeur.
On prend feize lames des dimenfions ci-deffus de
chacune des deux efpèces d’acier , on les place
l ’une fur l’autre en alternant, c ’eft-à-dire une lame
d’acîèr de Prafaner, enfuite une de l’autre acier,
& ainfî de fuite , jufqu’à ce qu’on ait formé une
épaiffeur compofée de 31 de ces lames, qu’on
affujettit fortement avec du fil d’archal ; on fou de
le tout avec précaution, ce qui donne un barreau
déjà compofé de 31 pièces. On prend trois de ces
barreaux pour les fouder enfemble avec l’attention
de mettre toutes les lames , dont ils font compofés
dans le fens horifontal , de manière qu’on ait
toutes les foudures fur chacun des côtés, & par*
conféquent un feul barreau dont l’épaiffeur efl
formée de G B des lames ci-deflus.
l e plus ou moins de lames, ainfi que leur plus
ou moins d’épaiffeur, détermine en grande partie
la fineffe des fleurs du damas. La quantité ci-deffus,
ainfî que leurs dimenfions, donnent un damas fuffi-
fàment fin, en luppofant même que les tringles
ne feront pas etirées trop foibles, car alors ils le
feroient trop.
Cette dernière foudure peut fe faire au grog
marteau
matteau, & on y fait étirer en même tents le barreau
qui en provient, en verges de 4 à 5 lignes d’équarriflage
, pour faciliter le refie du travail qui doit fe
faire à la petite forge où on l ’étire en petites tringles»
de a à 3 lignes dequarriflage environ, & que l ’on
coupe à différentes longueurs, fuivant celles des
lames qu’on veut fabriquer.
C ’eft auffi d.ela gro fleur des tringles que dépend
la finefle des fleurs du damas , moins elles ont
d’équarriflage plus le damas efl fin. Quant à leur
longueur, celle qui’ a paru la plus avantageufe à
la beauté du damas, eft environ moitié de celle
de la lame; ainfi lorfqu’on voudra faire une lame
de 3-2, pouces de longueur, il faudra donner 16
pouces aux rringles ou barreaux ci-deffus.
'-Ces tringles étant équarries bien également, on
les chauffe à peu-près couleur dé cerife ; & faififfant
l ’un des bouts avec une tenaille, on ferre l'autre
bout dans un etau, & Ion tourne le barreau en
forme de vis le plus, uniformément poflible dans
toute fa longueur.
On raffemble enfuite ces petits barreaux ainfî
préparés, on en pofè 5 ou 6 & même plus, ( fuivant
la largeur de la lame ) fur une feule couche horizontale
; on contient cette couche entre deux grands
doux pour faciliter l ’arrangement de la deuxième
& troifîème couches, compsféees chacune d’un
meme nombre de barreaux que la première, &
qui fe pofent exa&ement fur celle-ci ; on lie le
tout fortement avec de bon fil d’archal pour empêcher
que cet affemblagé ne fe dérange, lors du
foudagè.
Pour opérer la foudure de cette petite trouffe, il
faut d’abord la chauffer prefque blanc , & faire
prendre enfemble toutes les parties à petits coups
de marteau avec l ’attention de conferverfes barreaux
exactement en ligne droite.
Lorfque le tout efl bien, lié , on donne une ou
deux bonnes chaudes foudantes, & l ’on bat vivement
& à grands coups, pour fouder parfaitement ;
alor-s le barreau qui en provient donne une étofiè
de damas prête à être fabriquée en lames.
Tout le travail ci-deflus doit être fait au charbon
de bois pour éviter de furchauffer l’acier, & pour
lui confcrver le plus poflible de fa force, dont il
perd une grande partie par les différents corroyages
qu’il éprouve dans cette fabrication. II faut de plus
une main habile pour forger & fouder tous ces différents
affemblages, fans quoi l’étoffe de damas efl
fujetre à .êtie pailleufe.
Attentions qu'on doit avoir dans la fabrication des
lames de damas.
Si on a fait attention que les tringles ci-defliis,
au moment ou on les tourne en v's, étant contenues
dun coté entre les mâchoirès de l’étau, & de l’autre
Arts & Métiers. Tom. VII.
dans la pince, ne peuvent par conféquent crie tortillées
à leurs extrémités', ou fencira que les bouts
des barreaux de damas, où elles fe trouvent né-
ceflairement, ne do vent point être employés djns
'les lames.
Cependant l’un des deux bouts peut feiv’r pour
la foie; car il efl abfôlument indifpen fable qu’e le
foit étirée du même barreau que la lame , far>s quoi
celle-ci ne damafferoit pas au talon , de la longueur
d'environ 18 à 10 lignes, qui eft à peu-piès ce le
de l’étendue du fer dés foies aux lames ordinaires.
On coupera donc le barreau à l’autre extrémité
de la longueur d’un pouce environ, à moins que ce
barreau ne foit allez long pour qu’on puifîè tirer
parti du bout qu’on en détache 3 & c’eft de cette
fécondé ext'émité du barreau que doit encore être
prife la foie de la fécondé lame qu’on en fabrique.
S’il ne faut pas que les lames de Damas foient
forgées trop foibles, (parce qu’en les étampant,
lé [damas s’élargit ou s’allonge, & perd beaucoup
de fon agrément ) il eft aufli dangereux de les
forger trop étoffées. Si elles le font au point que
1 eguifeur , pour amener la lame aux proportions
demandées, Coit obligé d’enlever à la meule la
plus grande partie des deux couches extérieures de
tringles , dont font formées les barreaux , alors il
efl bien rare qu’il ne fè découvre pas des pailles
ou des cèndrures , provenantes des faletés qui ,
malgré toutes les précautions du forgeur de l’étoffe
première, fe gliflent dans les interftices de
l’aflèmblage des dwerfes petites tringles; j’ri du-
moins été conduit à cette réflexion par l ’expérience.
Lorfque les lames qu’on voudra fabrique^ feront
d’une foible dimenfîon , on fera mieux de prendre
feulement deux rangées de tringles ou barreaux.
Cependant dans les lames étampées, il eft né-
ceflaire de leur laiffer un peu de forcé, par la
raifon que nous avons dite plus haut, que le
damas s’élargit & s’allonge fous l ’étampe , ce qui
fe.fait toujours aux dépens de fa beauté ; aufli eft-il
beaucoup plus difficile de réulfir à montrer un
beau damas fur ces fortes de lames.
Le forgeur ne do’t donc forger fa lame ni fop
forte ni trop foible , & la beauté du damas dépend
beaucoup du foin qu’il aura pris en la fo géant,
à faire une répartition égale de fa ma 1ère ; d
doit fur-tout ménager la pointe , ne p s trop
l ’étirer pour l’amincir, il vaut mieux biffer un
peu plus d’étoffe à enlever à l’éguifè l e , fans cTa
les fleurs du damas s’allongent, ce qui lui fait
perdre de fa régularité à cet endroit.
.C’eft pour cette raifôn que le damaffé des lame«