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animal, qui ordinairement jappoït fans celle, ne
le pou voit pas , & n’avoit qu’un certain grognement
propre aux chiens hydrophobes. J’a Aurai qu’il
étoit attaqué de la rage, & j’en eus bientôt
convaincu les afliftans, en mettant de l’eau fous
les yeux de - ce chien ; car alors il tomba en
défaillance, & entra en convulfîon.
Il fut queftion de tuer cet animal; & , comme
j’avois au bout d’un petit noeud coulant, à
x extrémité d’une baguette, la vipère que je ve-
nois de trouver, je réfolus de faire mourir le
chien par fa morfure.. J’irritai la vipère, je la
portai fur le cou & la tête du chien; elle le
mordit en divers endroits, & auprès de la gueule :
le chien piqué mordit à Ion tour la vipère &
la mit en morceaux. En moins d’une heure Ja
tête du chien fut horriblement gonflée ; après
deux heures, l’animal but beaucoup d’eau avec
une grande avidité , mais il périt de fes morfures
au bout de quatre heures.
■ 'Cette expérience n’ouvre-1 elle pas un champ
à des tentatives fîngulières 3c nouvelles pour la
cure de l’hydrophobie développée? L a morfure
de là vipère peut être guérie par l ’huile, par
l ’alkali- volatil. Cette morfure, en imprimant aux
fluides une modification nouvelle, en donnant
un autre mode, une certaine rétrogadation aux
mouvemens qui conftituent la vie , ne peut-elle
pas guérir ? Ce moyen n’agit-il pas par la raifon
des contraires, & n’y tnoùve-t-on pas un rapprochement
de ce principe d’Hippocrate, convuifio
convulfione curatur\ M. Alphônfe le roi ferait d’avis
qu’on mît les hydrophobes en afphyxie par la
vapeur du charbon; c’eft un moyen à tenter,
mais ce n’eft qu’un projet ; tandis que , d’après
l ’expérience que j’ai rapportée, on voit que l ’horreur
de l’eau s’eft changée en une grande avidité
d’en boire après la morfure de la vipère.
Je ne doute nullement que l’on n’oppofe beaucoup
de raifonnemens à ce fait : peut-être citera-
t-on l’dbfervation que rapporte Sauvages, d’üu
homme qui fu t, mordu à Naples d’une vipère,
& qui prit la plus "grande horreur pour l ’air ; mais
l ’aerophobie n’eft pas l’hydrophobie : d’ailleurs,
des extrêmes & des contraires produifent quelquefois
des effets qui fe reflemblent. La morfure de
la vipère, produit inanition dans le fluide vital,
& coagulation dans les autres fluides, tandis que
î ’hydrophobie a des effets abfolument contraires;
car fouvent le fang fort par l’anu» du cadavre d’un
hydrophobe. Au refie , c’eft à de nouveaux faits
& à de nouvelles expériences qu’i l faut recourir,
plutôt qu’à des raifonnemens qui peuvent induire
en erreur.
Nota. Parmi les milliers de remèdes publies
comme des moyens sors de guérir la rage, il n’y
a encore que. l’ufage du mercure intérieurement
& extérieurement, jufqu’à une foible falivation,
quî mérite quelque confiance. L a réputation des
autres remèdes ne vient que d’avoir été employés
par des gens mordus par des animaux qu’on
croyoit enragés & qui ne l ’étoient pas, ou par des
animaux vraiment enragés dont la falive, pu bave,
arrêtée par les gens mordus, n’avoit point atteint
ou infefté la bleflure.
Obfervations fur les remèdes contre la rage-
Si l’on en croit les livres anciens & modem|sL
ainfî que les gazettes & journaux de tous les
temps & pays , il n’y a point de maladie qui fe
guériffe aufli fouvent & avec un fl grand nombre
de remèdes , que la rage ou les plaies faites par
des animaux enragés. On compte plus de cent
plantes & autant d'autres corps naturels qui font
donnés pour des fpécifiques de cette terrible maladie
, & il n’y a pas de fl petit canton ou il
n’habite quelqu’un qui fe dit poffeffeur d’un fècrejr
contre la rage, foit des hommes , foit des animaux.
Mais quand il fe trouve un fiijet vraiment attaqué
de la rage, ou mordu par un animal enragé, de
manière que la plaie air été infeébée du venin
de cernai, il périt prefque certainement, fur-tout
fi le malade a éprouvé un feul ou plufieurs accès ;
je dis que le fujet infefté de la rage périt prefque
certainement, parce - qu’on a lieu de préfumer
qu’un des traitemens anciens , renouvelle depuis
quelque temps, celui par les fcarifications, brûlures
& cautérifations des- plaies , a eu toutes les
apparences de quelques» vrais fuccès ; je dis les
apparences ,' parce que fur cet article la crédibilité
paraît avoir gagné jufqu’aux médecins prudens &
inflruits. Nous avons vu dernièrement M. Fothergill
certifier des guérifons d’enragés, & enfuîte publier
qu’il avoit été trompé. Malheureufement, & les
circonftances s’accordent très-fouvent pour cela»
& les hommes fe prêtent merveilleufement à
l ’erreur. On a été jufqu’à mettre au nombre des
fpécifiques contre la rage, une petite plante qui
n’a ni odeur ni faveur, dont on peut mettre le
lue dans les yeux, fur les plaies les plus fenfîbles ,
fans caufer d’autre fenfation que celle que fait
l ’eau pure.
Aux foins que les gouvernefnen’s ont pris relativement
à la rage , "il en a jufqu’ici manqué
: d’efTentiels pour lefquels ils devraient employer
leur force & de l ’argent; c’eft -d’abord de faire-
prendre & garder’ un temps convenable" les chiens
qu’on dit enragés, on détruirait bientôt l’idée populaire
de la fréquence de la rage , & la plupart
des gens -mordus par des chiens en colère, ne
croiraient pas l’àvoir été par des animaux enragés.
Quand il fe trouveroif des chiens vraiment
enragés, on les confierait à des gens qui n’enflent
pas la crédibilité en partage, ni le defîr de faire
parler d’eux en annonçant des découvertes ; il ieur
faudrait la fagacité & la hardiefle d’un abbé Fon^
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iatia ; peut-être avec le temps découVrîroïent-iIs
la nature de cette maladie, 8c comment on peut
la prévoir, la prévenir & la guérir.
L ’idée populaire de la fréquence de la rage
eft encore entretenue par les gardes de chafle,
les maréchauffées, qui, pour avoir un prétexte
de tuer les chiens, trop multipliés, ou autres moins
bonnes raifons, répandent le bruit de chiens enragés
qui ont paflè dans ces endroits ; ce qui fait
croire la rage plus commune, & regarder comme
enragés des chiens en colère, battus ou pourfuivis : ■
les gens mordus craignent la rage, prennent des
remèdes dont leur erreur fait ou entretient la fauffe
efficacité.
Onze perfonnes furent mordues dans une églife
par un petit chien entré en aboyant, & frappé
de tous côtés dans fa courfe ; cinq prirent des
remèdes contre la rage ; j’en détournai fîx qui ne
firent rien , parce que je fus que ce chien avoit
fui dans l’églife- en s’échappant des mains d’enfans
qui l ’avoient tourmenté 5 auffi perfonne ne fut
enragé.
Remède akglois pour la morfure des chiens enragés ,
employé , dit-on , avec fuccès par Us fauvages du
nord de C Amérique.
Prenez de l’écorce de frêne blanc ( fraxinus
excelfior ) , faitës-la brûler, réduifez-laen poudre,
puis mêlez-y du vinaigre fort, pour en faire un
topique plus ou moins grand, félon la morfure ;
enfin, appliquez-le fur la partie affligée; par ce
moyen les fauvages américains en tirent de
venin.
Compofition d'un remède contre la rage dont les
hommes ou Us animaux feront attaqués.
I l faut prendre une égale quantité des Amples
ci-après dénommés, félon la quantité qu’on veut
faire de remèdes. Racines d’angélique royale ; de
trèfle d’eau ; racines, tiges 3c feuilles de paflerage;
de tournefol ou marguerite fauvage, qu’il faut bien
laver ; tiges 8c feuilles de rhue ; de rofe de chien
ou glandier; extrémités ou bourgeons defycomier.
A chaque poignée de ces différens Amples, il faut
line bonne & grofle gouffe d’ail. On pile tout
enfemble, & par une forte compreffion l’on exprime
le jus, qu’on donne à boire à toute forte de
perfonnes d’un âge fa it, un demi-verre à jeun,
ireis jours confécutifs : il ne faut manger de deux
heures après, ne point manger de lait ni de fruit
crad pendant l’effet du remède. On en proportionne
la dofe félon l’âge & la complexion des
hommes. Il en faut faire fans rhue pour les femmes
greffes. Aux bêtes, félon leur efpèce; aux chevaux
demi-chopine à chaque prife ; aux bêtes à corne >
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fort peu ; moins aux cochons de même ; & aux
chiens, félon leur grandeur. Il fe fait ordinaire-,
ment au printemps , lorfque les herbes font fortes
en sève. .La néceflité le fait faire en tout tempr;
Pour le conferver d’une année à 1 autre, on y
met un tiers de vin blanc & un peu de fel : alors
les dofes doivent être plus grandes. On les conferve
en flacons & en bouteilles, qu’il faut remuer de
temps en temps.
Guérifort de la rage, <£après la méthode
de M, Tijfot.
M. Beaufen, médecin d'une petite ville du
pays d’Hanovre en Allemagneayant été appelle
auprès d’un malade qui commençoit à reflêntir les
premier?* accès de rage, à la fuite d’une morfure
négligée d’un chien enragé, dit l ’avoir entière-«
ment guéri, en fuivant la méthode de M. Tiflot.
Mes premiers foins, d it- il, furent d’incîfer la
plaie , en coupant fort avant les chairs où les dents
inférieures & îupérieures de l’animal étoient empreintes
à une aflez forte profondeur. Apres cette
opération, je lavai la plaie à plufieurs reprifes
avec l’eau de fel tiède, & fis oindre toute la
jambe avec de l’huile d’olive. Je fis pànfer enfuite
la plaie, en frottant une fois le jopr le contour
à deux pouces de circonférence, avec un gros
d’onguent, compofé d’une once de vif-argent,
d’un demi-gros, de térébenthine de Venifè, & de
deux onces d’axongé de porc, & mettant dans la
plaie deux fois le jour de l ’onguent de bafîlic.
Je fis prendre intérieurement au malade, aufli
long-temps que la force du paroxifme dura, de
trois en trais heures ^ une poudre compofée de 16
grains dè mufe , 2 4 grains de cinabre natif, &
autant de cinabre fa&ice. Je lui donnai, foir $c
matin , un bol compofé d’un gros de racine de
ferpèntaire de Virginie, de camphre dépuré ÔC
d’afla-foetida, de chacun 10 grains, mêlés avec
une fuffifante quantité de-rob de fureau. Le paroxifme
diminuoit, & devenoit moins fréquent, à
mefure quer la falivation augmentoit; j’éloignai
pour lors , peu-à-peu , les remèdes internes, &
continuai de faire ufage à l’extérieur de l’onguent
pour provoquer la falivation , ce qui me réuflit
à merveille, & c’eft fur cela que je fondois la
guérifon du malade. J’entretins ainfî la falivation
jufqu’à guérifon complette , qui s’enfuivit au bout
de trois femaines; je donnai en dernier lieu une
couplé de purgations au malade , après quoi je lui
adminiftrai le quinquina.
Il eft étonnant qu’on ait ignoré aufli long-temps
que la falivation eft le vrai remède de cette maladie
cruelle. Mon malade fâlivoit par flots au
commencement du mal, & avant que j’euflg mis le
mercure en ufage chei lui.