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Pour reconnoître cette fraude, on fsît fondre
dans un petit chaudron fur le feu , deux ou trois
pains de (avon qu’on a coupés par petits morceaux j
& on veife deffus de la leffive forte.
Quand le lavon eft refroidi, on le tire du chaudron
, & on trouve au fond les fubftances étrangères
qu’ on a introduites dans la pâte pour en augmenter
le poids.
De plus, fi le favon a été fait loyalement, après
l ’épreuve dont nous venons de parler, on trouve
une augmentation de poids produite par les fels
de la leffive, au lieu que fi on y avoit introduit
de l’eau , on trouveroit vingt ou vingt-cinq pour
cent de déchet.
Enfin d’autres fophiftiquent encore le favon en
y introduirai t du fel marin. Nous aurons occafîon
d’en parler dans la fuite.
Je vais expliquer ce que c’eft que les miles, &
comment on y met la pâte de favon.
XIV. Des mifes, & comment on y met la pâte
de favon.
Quand, la pâte s’eft un peu: refroidie dans les
chaudières, & qu’elle s’eft féparée de la leffive,
on la tire avec des cuillères de fer percées; on la
met dans de,s féaux, & on la porte dans de grandes ’
& fortes caiffes faîtes de planches ajuftées dans des
membrures affu jet ries par des clefs de bôL.
Ces caiffes font placées fur de fortes plates-
formes, de manière que la leffive qui s’en écoule
puiffe être recueillie dans un réferyoir.
Les favonniers nomment ces caiffes des mifes ; ils
y placent fouvent une cuite entière de favon, qui
pe*ut être de deux milliers.
D’autres préfèrent de mettre leur lavon dans un
nombre de petites cailfes.
Au bout de deux ou. trois jours, quand la lef» •
five eft écoulée & que le favon eft endurci, on
défait les clefs qui retiennent les planches des
mifes, & , fi c eft du favon blanc, on le coupe
par tables de trois ou quatre pouces d’épailfeur avec
un fil de laiton, comme on fait le beurre aux marchés:
on en fait des tables telles qu’on les voit dans
les caiffes chez les épiciers.
Avant d’encaiffer ces tables, on les pofè fur un
plancher par la tranche, pour les lailler s’affermir
pendant quelques jours.
L’hiver eft la faifon ,1a plus favorable pour travailler
le favon. Cette opération fe fait différemment
dans les différentes fabriques , ainfi que nous
allons l ’expliquer.
La planche du devant des mifes étant à couliffe,-
peut fortir. Ces caiffes ont ÿ à x.o pieds de Ions
a yf
gueur , fur f à 6 de large, & 13 à 14 pouces de
hauteur, fi elles font deftinées pour le favon mar*
bré ; fi l ’on doit y mettre du favon blanc, elles ont
feulement 6 pouces de profondeur.
Il faut que le fond foit incliné, pour que la
leffive que le favon rend, s’écoule par des trous qui
répondent à une gouttière aboutiffant dans un ré-
fervoir ; car çette leffive, qui 11e laiflè pas d’être
forte, rentre dans la bugadière.
Dans les fabriques de Marfeîlle, on dreffè vis-
à-vis les bugàdières, fi la grandeur de la fabrique
le permet fînon au premier étage, des efpèces de
caiffes qu’on nomme mifes. On les fait de 5 pieds
de largeur, & les plus longues qu’il eft poffible:
elles fervent pour y étendre 1^ pâte ou le favon
cuit : quand il a pris fon droit à la chaudière ,
c’eft-à-dire, quand il eft en état d’y être étendu ,
& que la cuite étant achevée , il s’y eft un peu
refroidi. On eft quelquefois deux jours fans pour
voir l ’étendre dans les mifes, fur-tout l’été,
Lemaître-fabriquant, avant d’étendre le favon aux
mifes , y fait un plancher de quelques lignes d’épaif-
leur avec de la poudre de chaux blanche, qu’on a
paffée dans un tamis à demi-fin; on unit cette couche
avec une bat.e, qui eft un bout de planche
au milieu de laquelle il y a un long manche, pour
pouvoir la manier commodément. On applanit donc
avec cette batte la poudre de chaux au fond des
mifes, & on étend deflusla pâte de favon, comme
nous allons l’expliquer.
Les ferviteurs de la fabrique apportent cette pâte
dans des chaudrons de cuivre, ou des baquets de
bois ; & à mefure que le fabriquant a fait couler
tout doucement fur les mifes deux ou trois
chanderonnées de pâte, il les applanit& unit avec
une plane de bois.
La pâte ou le favon refte un jour & denri ou
deux jours aux mifes avant d’être fec & en état
d’être le vé, lorfqu’il fait fioid; & en été il faut
trois à quatre jours, parce que la chaleur de l ’air
ramolit la pâte, & la rient, cpmme l’on dit lâche;
c’eft auffi pour cette raifon qu’on eft plus de
temps en été à finir la cuite , & qu’il faut faire
plus cuire la pâte qu’en hiver.
On doit obferver ici que le fabriquant, en étendant
fa pâte aux mifes, peut faire fon favon auffi
épais & auffi mince qu’il veut ; & pour régler
fon épaiffeur, il tient à la main une jauge de
cuivre, qu’il enfonce dans fa pâte jufqu’à toucher
les'planches du fond de la mife ; & fuivant que
fa couche de favon eft trop mince ou trop épaifle ,
il y faut ajouter de la pâte, ou il repouffe avec
la plane celle qui y eft de trop ; en forte qu’il
eft dans une cominuelle agitation pour mefurer
l’épaiffeur & applanir la pâté au moyen de cette;
jauge, qu’ils nomment bûche d’airain.
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Il fait ainfi des pains de favon de 18, 30 &
l^o livres chacun, qui ne different pas l’un de
l’autre d’une demi - livre.
Le favon étant fec & en état d’être levé des
tarifes, ce que le maître-fabriquant connoît en ap- 1
pliquant tout doucement le doigt deffus , & ^ fe
faifant aider d’un domeftique pour couper les pains
égaux, il les marque avec une efpèce de rateau '■
qui a des- dents de fer » 'ces dents font éloignées
les unes des autres d’une diftance pareille à l’é-
gaiflèur que doivent avoir ries pains.
Dans la plupart des fabriques de Marfeille ,
on pofè au milieu de la mife une longue règle
de bois & avec un petit couteau tranchant on
marque un trait fur le favon dans route fa longueur &
àu milieu de HLa mife : ce trait indique la largeur
que les pains de favon doivent avoir ; en-
fuite avec une règle courte qu’il pofe perpendiculairement
fur le trait dont nous venons de parler
, il marque la longueur des pains ; en forte
que dans la largeur de la mife il n’y a jamais que
deux largeurs de pains de favon, & dans la longueur
il y aura quelquefois cinquante & cent pains,
félon qu’elle eft plus ou moins longue.
Alors le maîtie-fabriquant prend un couteau de
fabrique qui eft fort mince & tranchant , & qui
a un long manche de bois ; il s’affied iiir le'fàvon
tracé , il enfonce fon couteau dans le trait qu’il
y a fait, & appuyant le manche du couteau fur
Ion front, fi le favon eft épai-.:, & faiffiflant le
manche des deux mains près c!e la lame, il fuit
& coupe le favon d’un bout de la trace à lo utre
: il en .fait de même en travers ; après quoi
il rire un petit bout de chevron qui eft â l ’extrémité
de la mife , appelle fauque, & avec une
truelle de maçon, ou une pelle de fe r , il renfoncé
encre le plancher & la fleur de chaux qu’il
a étendue fur la mife.
Il releve les pains de favon dans leur entier,
<& à mefure, un domeftique de fabrique les met en
pile l ’un fur liautre jufqü'à 10 ou iz pieds de
hauteur, ce qui peut contenir trente à quarante
pains de* favon, fuivant qu’ils font plus ou moins
épais.
Il eft fenfible que plus la couche de favon eft
épaifle , plus elle refte de tems aux mifes pour
y prendre fon droit.
O r , on doit faire les pains de différentes grandeurs
, fuivant les lieux où on les envoie.
Pour la Provence, In n’envoie pour l ’ord’naire
que des pains de l’épaiffeur de 5 pouces ou environ
, qui pefent plus de cinquante livres chaque.
Il y a eu un temps où l ’on n’envoyoit à Lyon
\ que des pain^ de 3 pouces ou environ , qui pe-
foienc depuis trente-trois jufqu’à trente-fîx livres
j . p g j | ; j j :
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chacun ; maïntènant on en envoie qui pefent cinquante
à cinquante-cinq livres.
Ceux qu’on deftine’ pour le Languedoc, n’ont
que z pouces & même moins, & ne pefent que
dix-huit, vingt & vingt-cinq jufqu’à trente-cinq
livres.
On n’envoie à Bordeaux que de petits pains de
favon coupés , qu’on appelle façon de Gayette :
i s font 'd’enviroïi-8 pouces de long , 3 pouces
demi de large, & z jpouces & demi d’épaiflèur.
Les favons blancs viennent ordinairement à
Paris par tables ou par morceaux prefque quarré.-
iongs, qu’on appelle petits pains..
Les tables ont 3 pouces d’épaiffeur, fur un pied
& demi de long, & 15 pouces de large : elles
pefent vingt à vingt-cinq livres. Les mai chauds
détailleurs les coupent en pluficurs morceaux longs
& étroits pour en faciliter le d bit.
Les petits pains pefent depuis une livre & demie
jufqu’à deux livres.
Les tables & les petits pains font une même
efpèee de favon fous d fre rentes formes.-
Les favons en tables s’envoient dans des caiffes
de fapin du poids de 3 à 400 livres.
Les favons en petits pa;ns viennent par caiffes,
auffi de bois de fapin, appellées tierçons, & par
demi caiffes du même bois.
Les tierçons pefent environ 300 livres : la demi-
caiffè pefe 180 livres.
Les favons marbrés font en petits pains quarrés-
long d’une livre & demie à trois livres , & fe
mettent dans des caiffes comme les favons
i blancs.
On parvient à couper aifément ces pains au
moyen de ce qu’on appelle un modèle de fa-
brique.
Pour, s’en former une idée, il faut imaginer
'-une table folidement éiablie fur quatre pieds. Elle
eft d’environ iz pieds de longueur : elle a à fon
extrémité un caiflon égal à la dimenfion d’un pain
de favon , dans lequel ou enferme trois à quatre
pains. Ce caiflon eft attaché fermement à cet-.e table
par des équerres de fer. Ses deux grands côtés
font refendus de traits de Icie, en forte que de
: quatre en quatre pouces on puiffe y pafîèr un
■ gros fil d’atchal, avec lequel on coupe les pains
de favon dans toute l ’étendue du caiflon; & quand
ils font coupés en long de P épaiffeur de 4 pouces,
; jufqu’au bout de la table, on ouvre le caiffon
■ on en rire le favon coupé en long; & fi l’on veut
avoir des pains façon de gayette , on les coupe
de travers avec un couteau mince ; de forte que
d’une ' baude on en fait plufieurs . parallélipi-
peies.