
Quoiqu’il foit vraifemblable que le gouverne*
inent n’ait pas eu l’intention de rendre ces ma-
giftrats maîtres abfolus de la diftribution des fonds
levés en faveur des pauvres, ils le font devenus
par le fait, puifque, d’après les difpofîtions de ces
réglemens, ils peuvent également renvoyer à la
charge d’une paroifle, d’un canton ou d’un comté,
& l’homme qui s’adrefîe directement à eux, & celui
qui réclame leur autorité après avoir éprouvé un
refus de la part des infpe&éurs des pauvres.
Suivant un ade .de la dix-neuvième année du
règne d’Henri VIII ( 1 5 18 ) , les pauvres étoient
cenfes domiciliés dans le lieu de leur naiflaiice, ou
dans celui ou “ ils demeuroient depuis trois ans.
Cette dernière difpofîtion fut modifiée par un afte
de la première année du règne d’Edouard VI (1547),
lequel décida que les pauvres féroient réputés domiciliés
dans le lieu où ils fe feroient montrés le plus
ïbuvent depuis trois ans.
Un autre ad e, publié en l’année 1603 , la première
du règne de Jacques premier, ordonna qu’ils
feroient renvoyés, foit à la paroiffe fur laquelle
ils étoient domiciliés, foit dans l ’endroit où ils
auroient demeuré depuis un an, s’ilsn’avoient point
de domicile connu , foit enfin dans le lieu de leur
naiffance.
Ce terme d’un' an fut réduit à quarante jours,
par deux ades des.annéés 1660 & 1661; mais ces
ades attribuèrent aux infpedeurs des pauvres le droit
de demander que tout homme, qui n’auroit pas réfîdé
pendant quarante jours dans une paroifle, en fut
renvoyé, & les juges de paix furent autorifés à ordonner
ce renvoi.
L ’enfant bâtard appartient, en général, à la pareille
fur laquelle il eft: né J les exceptions- font,
à-peu-près les mêmes qu’en France.
. Le domicile de l’enfant légitime eft celui de fes
& mere, s ils en ont un ; linon il eft réputé domicilié
dans la paroiflë où il eft né.
On acquiert le domicile par le mariage, on l’acquiert
egalement par l’apprentiftage ; une année
de fervice produit le même effet, fauf quelques
exceptions.
- Il faut, pour être réputé domicilié dans une
paroifle , y occuper une maifon , ou y faire valoir
une terre dont le loyer ou le produit rende au moins
240 livres, ou faire, par écrit, la déclaration
de ion _ arrivée dans la paroifle, & du lieu de fon
habitation ; il faut encore que cette déclaration
foit fûivie d’un féjour de quarante jours. L ’officier
à qui elle eft remife , eft tenu de la lire publiquement
à l’iflue du fervice divin , fous peine
d’être condamné en 240 livres d’amende au
profit du plaignant. Cette déclaration n’eft pas
neceflairev fî l ’on exerce un office public dans la
jparpiffe.
Enfin, un bien poflédé en propre, quoique d’un
produit au-deflous de 240 livres, fuffit pour acquérie
le domicile. - '
Il réfulte de toutes ces difpofîtions,
i° . Que les loix angloifes veulent qu’un homme
foit fecouru dès qu’il eft pauvre ;
20. Que les pauvres font confidérés en Angleterre
comme les créanciers des paroifles, des hun-
dred, ou cantons, & des comtés, & qu’on ne peut
fe difpenfèr de payer les taxes impofées en leur
faveur ;
3°. Que la qualification de pauvre s’obtient fur ie
ferment d’un feul homme ;
4°. Enfin, que le domicile, fans lequel cette
qualification ne feroit d’aucune utilité , s’acquiert
par quarante:jours d’habitation.
Ainfî, les moyens employés par les anglois ,
pour détruire la mendicité , ont fait de tous les
pauvres de ce royaume une clafle, d’individus
privilégiés, qui ont acquis le droit de mettre
à contribution toutes les autres clafles .de la
lociété.
C’eft aii nom des pauvrès que, pour parvenir
au recouvrement de la taxe , on dépouillé un père
de famille de fa propriété, en faifant vendre fes
meubles: & fes effets; c’eft encore en leur nom
qu’on le prive de fa liberté ; c’eft en exécution d’une
loi fondée fur des motifs de bienfaifànce, que l ’on
fè permet-toutes ces véxations contre des citoyens ;
& c’eft la nation la plus jaloufe de fà liberté qui
s’eft volontairement mife ainfî fous le joug de fes
(-pauvre-.
Si lès^ faits & 1 expérience n’atteftoient pas toutes
ces vérités, on auroit peine à les croire : ce ne
font pas cependant les feuls abus que l ’on ait à
reprocher aux mefures prifes par nos voifîns pour
fe debarrafler des mendians; on verra ci-après que,
loin de diminuer le nombre des pauvres, elles ea
ont provoqué l'augmentation , & les anglois font
peut-être arrivés au moment où le danger de la
reforme l ’emporte, fur la nécçflité, Cui femper dede-
r is , uhi negas3 rapere impçras. ( Publ. Syri.
Senten. ).
Le doâeur Dayenant évalue le produit de la
taxe .qui étoit perçue en faveur des pauvres , tant
en Angleterre que dans la principauté de Galles, à
la fin du règne de Charles II (en 1684) à i j
millions 968 mille 688 livres, dont 81© mille 72
livres étoient payées par cette principauté, & le
jfîirplus par l ’Angleterre feule, cette efpèce d’impôt
11’exiftant point en Ecofle.
Il réfulte des rapports faits par les infpe&eurs des
pauvres au parlement d’Angleterre dans les années
1777 & 1787, en exécution de deux ades paffes,
1 un dans la feiaième, & l’autre dans la vingtn
flxîènie année du règne a&uèl ( 1776'8c 1786) ,
que cette taxe a rendu 41 millions 287 mille 584
Kvres, en 1776 , dont 977 mille $44 livres ont été
perçues dans la principauté . de Galles , & que le
terme moyen des recouvremens faits dans ^ les
années’ 1783 , 1784 & 1785,‘ s’élève à 52 millions
25 mille 976 livres , dans lefquelles la contribution
de la. principauté de Galies n’eft comprife que pour
16 cents 11 mille 864 liyres.
La totalité de ces'produits n’eft pas employée à
l ’entretien & à la nourriture des pauvres, ainfî que
je l’expliquerai ailleurs. Les dépenfes qui les concernent
particulièrement fe font élevées , en 1776,
à 3 6 millions 714 mille 720 livres , & le terme
moyen de celles, qui ont éii lieu dans les années
4783 ,178 4 & 1785 , eft de 48 millions 101 mille
712. livres!
Ces dépenfes fe font conféquemment accrues de
11 millions 386mille 99Z livres, dans un intervalle
de dix années, & elles ont plus que triplé dans i’ef-
pace, d’un fîècle.
Ce prodigieux accroiffement du nombre des
pauvres , eft néceflairement l’effet de quelque caufe
extraordinaire.
Quel eft l’état qui pourroit en offrir un autre
exemple i Et cependant exifte-t-il en Europe un
pays où l ’agriçulture, les arts, l ’induftrie, le
commerce , la navigation aient fait de plus grands
progrès, & préféntent plus de reflôurces aux citoyens
qui, nés fans propriétés, font forcés de travailler
pour fubvenir à leurs befoins ?
Comment concilier cet accroiflement de misère
avec celui de la profpérité publique à laquelle
le peuple doit participer, s’il eft vrai, comme le
dit un auteur anglois;, ( Smith, ) que « «dans
» l’état progreffif de, la lociété , ou quand elle
» avance dans l’acquisition des richefles ultérieures,
» la condition du pauvre qui travaille, c’eft-à-dire,
» du grand corps du peuple, eft la plus heureufe &
» la plus douce. »
Ce n’eft ni à l’ëxcès de la population, ni au bas
prix de la main - d’oeuvre qu’il faut attribuer cet
accroiflement.
Plufîeurs auteurs anglois aflùrent que leur patrie
pourroit nourrir un. nombre d’habitans plus con-
fîdérable que celui qu’elle renferme ; prefque tous
conviennent que les falaires des ouvriers y font
généralement plus chers que dans les autres états
de l ’Europe.
Celui de ces auteurs que je viens de citer ob-
ferve d’ailleurs, « que ces falaires excèdent ce
» qu’il- faut précifémeht pour mettre l'ouvrier en
» état d’élever une famille ». Cet accroiflement
n eft pas non plus, l’effet de l’élévation du prix des
denrées de première néceffité ; car, après être
convenu « que le falaire du travail ne varie point
» en Angleterre avec le prix des' vivres » , ce
même auteur ajoute; « que le grain, & beaucoup
» d’autres chofes dont le peuple tire une nourri-
» ture faine & agréable , y_ font aujourd’hui à
» meilleur marché que dans le fîècle dernier ».
Les falaires étant d’ailleurs augmentés dans la
proportion de quatre à fept, fî le prix des -denrées
avoit éprouvé la même révolution,,il en réfulteroit
feulement que les valeurs réciproques de ces objets
auroient fait des progrès égaux; mais on n’en pourroit
rien conclure en faveur de l ’augmentation du nombre
des pauvres.
L ’Angleterre & la principauté de Galles contiennent
enfemble, fuivant MM. King & Davenant,
trente-neuf millions d’arpens.
On évalue généralement aujourd’hui la fuperficie
de la France à vingt-fîx mille neuf cens cinquante-
une lieues quarrées ; chacune de ces lieues contient,
fuivant M. le Maréchal de Vauban, quatre mille fîx
cens quatre-vingt-huit arpens quatre-vingt-deux
perches & demie ( l’arpentfuppofé de cent perches,
& la perche de vingt pieds quarrés ) ; ainfî ces
vingt-fîx mille neuf cens cinquante-une lieues,
équivalent à cent vingt - fîx millions trois cens
foixante-huit mille cinq cens vingt-deux arpens :
la fuperficie du royaume eft donc à celle de
l ’Angleterre , y compris la principauté de Galles,
comme trente - neuf millions à cent vingt - fîx
millions trois cens foixante-huit mille cinq cens
vingt-deux. v
Si on impofoit en France une taxe pour les
pauvres dans là proportion du-terme moyen de
celle qui a* été perçue en leur faveur, tant en
Angleterre que dans la principauté de Galles ,
pendant les années 1783, 1784 & 1785, le
produit de cette taxe s’éleveroit à 168 millions
575 mille 530 livres ; il exeéderoit conféquemment
de plus de 13 millions la fomme que le roî
perçoit ou percevoit annuellement, par les mains
des receveurs-généraux des finances, pour la taille,
la capitation, les vingtièmes, & lesacceflbires de ces
impôts, qui, fuivant le compte rendu à fa majefté au
mois de mars 1788, ne s’élève qu’à 154 millions
5125 mille 600 livres.
La totalité des produits de cette taxe n’eft pas
employée, comme je l’ai déjà obfervé à la nourriture
& à l ’entretien des pauvres : on en dépéri fe
une partie en frais de différente nature.
Ces frais, en prenant pour bafe les années 1783 ,
1784 & 1785 , s’élèvent, année commune, a 6
millions 513 mille 600 livres; de cette fomme,
3 millions 5*24 mille 264 livres font dépenfées,
tant pour faire arrêter les vagabonds 0 & les faire
conduire dans les prifons ou maifons de corre&ion ,
que pour payer les honoraires des pafteurs , & faire
réparer leurs maifons, ainfî que les églifes des
paroifles3 587 raüie 832 livres pour payer les frais