
les colonies efpagnoles, angloifes 9c ftançoîfes ,
qui font fi tuées entre les deux tropiques.
Il n’y a que les françois à Saint-Domingue qui
fabriquent du fucre en quantité pour l’Europe.
11 y a 713 fur reries, qui, en 17 73, produifoient
14° millions de fiicre brut & terré. Les efpagnols,
dans leurs pofièflîons , s’adonnent plutôt à élever
& nourrir des b.’ftiaux.
Dans l’Europe il n’y a que l’Andaloufie où lfon
cultive quelques cannes à fucre.
Les anciens ont donné le nom généial d'arunlo
a ces cannes j qui leur étoient certainement connues.
Théophrafte & Plne nous apprennent qu’on
faifoit ufage du fuc de ce rofeau.
C ’eft de ce fuc dont Lucien entend parler , lorsqu'il
dit :
Quique bibunt tenerci dulces ab arundint.fuccos.
Mais les anciens n’avoient point l’art de eon-
den er ce fuc, de le purifier, & ' de le réduire
dans une mafi'e blanche, concrète & fo iile , qui
eft une forte de cryftallifation , que nous appelions
fucre.
Le facchar arundineum des Arabes, ou Ie tabar-
» ' dont Avicenne fait mention, ne femble
pas différer des cannes à fucre ; mais le taba-
Klr ou 1 urundo mamhu efl un arbrifleau, dont parle
«ufli Avicenne, qui donne un fuc laiteux & doux,
c eft 1 ili de i Hortus M.aluhurieus , où l’on en peut
voir la defeription , aufli bien que dans Pifon , fous
le nom d'arundo mambu , & dans Bauhin fous celui
tfarundo arbor. Le facchar afhujfer eft une forte de
manne ou larme focrée qui découle d’un autre ar-
briflèau en Arabie & en Egypte. Alpin le décrit
dans foa ouvrage fur les plantes de l’Egypte.
La canne à fucre, comme les autres efpèces de
rofeaux, a fes fleurs raOemblées en épi ; il n’y a
point de pétales, à moins qu’on ne regarde comme
pétales les balles ou les feuilles intérieures du
calice ; & en ce7 cas on peut dire que la canne à
fucre en a deux, accompagnés de filets ou de poils ;
le calice eft formé de plufîeurs écailles, d’entre
lefqueiles fortent trois étamines chargées de fom-
mets oblongs , qui fe féparent en deux; le piftil
eft compofe de deux ftiles velus, recourbés & terminés
par des ftigmates à la bafe des ftiles eft
un. embrion obloijg qui devient une femence
pointue.
La canne a fucre a des tiges droites,, garnies
de noeuds, d ou forcent d- s feuilles longues, minces
, pointues , qui embraflent la tige par leur
bafe.
Au lieu que la fubftance de nos rofeaux eft peu
fucculente & allez ferme, puifqu’on en forme des
caan.es pour la promenade, les tiges de la canne
à fucre ont peu de confiftance ; on enfonce aifé-
meut l’ongle fur leur fuperficte, & elles font pref-,
qu'entièrement formées par une moelle en pulpe
fucculente , dont la faveur eft douce & fucrée:
c’elt en ce point que confîfte principalement leur
utilité.
La hauteur & la grofîeur de ces cannes dépendent
de la fertilité du terrein; 011 en a vu qui avoient
jufqu’à zo pieds de longueur , & qui pefoitent plus
de vingt livres : plus elles font expofées au foleil,
plus eiles font fucrées. Cependant, pour en retirer
aifément de bon fucre , il faut les cueillir en bonne
faifon ; & qüjnd elles font pai venues à un certain
dègré de matur.té , ce qu’on reconnoît à leur couleur
qui doit être jaune, leur tige doit être liffe,
sèche & caftante.
On appelle les cannes d’une grandeur extraor-
d'naire oes cannes créoles : elles viennent ainfî dans
-les terres vierges trop graftes.. Elles font moins
propres à faire du fucre, parce qu’il fe fige difficilement
, étant trop aqueux , & manquant de
grain. O11 les cuit par cetie raifon en firopr
Pouréviter cet inconvénient, les habitans de
S.-Domingue^ {.lantent rarement des cannes dans
les terrains vierges. O11 commence par y femer de
1 indigo aufli long-temps que la ’ terre peut produire
des récoltes paflables.
Quand la récolte commence à être infuffifante ,
on plante les cannes qui croiiTent de bouture. On
plmte aufli du coton pour préparer la terre à élever
des cannes, ou bien du roucou , ou tout au?
tre végétal propre à dégrriifer la terre. On a aufli
l ’attention de brûler fur la furface du tertein les
brouflailles & Es farclages.
On cueille & on roule les cannes dans les grandes
plantations , & on cuit le focre toute .l’année
a fur & à mefire que l'on coupe les rofeaux qui
fourniflent le chauffage des'chaudières. Ainfî les
habitans ne font pas absolument les maîtres de
cho.fîr la faifon de la récolte pour la fabrication
du fucre. Ils ont feulement ■ l’attention de forcer
la culture & lé travail pour rouler le plus de cannes
qu’il eft pofîible aux environs du printems,
faifon la p us favorable dans laquel e le fucre prend
le plus de grain. Mais les cannes plantées pour
rouler toute l'année, mûr fient les unes après les
autres, & font coupées dans touies les faifons.
Les raffineurs de l’Europe connoiflent, au plus
ou moins de grain qu’ont les fuc res bruts, la f i-
fon ou ils ont été faits. Les grandes fucreries de
S.-Domingue ont iufqu’à quatre moulins à mulets,
qui vont jour & nuit pendant tout« l’année-, mais
qui profitent le plus qu’ils peuvent de la bonne
faifon, Il faut jufqu’à trente mulets pour faire aller,
bien un moulin. Ceux qui ont l ’avantage d’avoir
uu
un moulin à eau, ferit l’ouvrage de trois moulins
à niuiets.
Les'cannes les plus pefantes font les meilleures:
la moelle en doit être grife, 8x. même un peu
brune., gluante, & d’une faveur très-douce. La
nature du terrein contribue beaucoup à la bonne
qualité, des cannes.
Dans les terres graftes & fortes, les cannes dé-
viennent trèsrhautes j mais- leur füc qui eft abondant
, donne difficilement un fuçre bien gréné : au
contraire , les cannes qui ont crû fur' un terrein
un peur plus léger, qui eft en pente, qui a beaucoup
de fond, & qui eft expofé au foleil, fourf.
njflent- du fucre grené en abondance & avec facilité.
Comme ce n'eft pas ici le lieu de s’étendre fur
ce qui réfulte de la differente nature des terreins,
on fe bornera à dire en général, que dans ceux
qui font humides, le fuc des cannes très-chargé
de phlegme a befoin de beaucoup de cuiflon j &
que dans les terreins fort fecs , comme le fuc eft
très-gluant, il faut quelquefois l ’étendre avec un
peu d'eau pour pouvoir le clarifier.
Quand le terrein qu’on veut mettre en cannes a
été bien labouré 8c eflarté , on trace au cordeau
des traits à la diftance de deux pieds les uns des
autres fi la terre eft maigre, ou de trois pieds &
demi fi elle eft très-bonne.
On fait, fuivant la direétioH de ces traits, des
foftes d’environ quinze pouces de longueur, de
quatre à- cinq pouces de largeur, & de fept à huit
de profondeur.
On plante dans chaque fofle deux boutures de
canne , de quinze à dix-huit pouces de longueur,
& on les place de manière qu’on voie fortir à
chaque extrémité de la fofle un bout de canne d’environ
quatre pouces de longueur.
Comme les racines partent & fortent prefque
toujours des noeuds , on eftime lés boutures qui en
ont beaucoup ; c’eft pour cela qu’on les prend par
préférence dans le haut des cannes, au-deflous de
l’épi ; mais on peut immédiatement fe difpenfer
de cette attention , & tirer plufieurs boutures d’une
meme canne.
Le vrai temps de planter les cannes eft la faifon
des pluies ; car au bout de huit jours qu’elles ont
été plantées, s’il tombe de l'eau , elles auront déjà
fait des productions.
Les habitans qui ont de l’eau pour arrofer leurs,
cannes en toute' faifon , ont un avantage inappréciable.
Ils plantent & recueillent en toute faifon.
Jamais leur plantation ne fouffre de la féchérefle ;
niais pour cela il faut que le terrein foie égalifé
en pente avec des canaux de décharge, pour que
l ’eau ne féjourne nulle part. Il en eit comme des
prairies en Europe : fi le terrein eft plat, il ne
A r t s & M é t i e r s , T om t V I I .
peut être arrofé avec fuccès. Il n’y a que les rifières
plates qui pbiflent être arrofées fans dommage.
Il faut farder foigneufement les cannes, & ta' t
qu’il y croît de 1 herbe. On eft en partie dc-
barrane de ce foin, quand elles font devenues
àflez fortes pour étouffer l ’herbe qui croîtroit fous
elles. On ‘doit encore éloigner toute efpèce de bétail
de ces plantat’ons , & faire la chafle aux rats
qui font très-friands de ces cannes.
Les habitans de S. Domingue, qui connoiflent
l’utilité des couleuvres pour détruire les rats, ont
foin de les faire prendre dani les endroits écartés,
par les nègres de la nation Arada, qui, comme
les Egyptiens , les ont en grande vénération, ild
portent ces amphibies dans les plantations des cannes.
Ces couleuvres font la chafle aux rats, dont
elles font friandes, & ils les mangent ou les
mettent en fuite. C ’eft fur-tout quand les cannes
commencent à mûrir, qu’il faut avoir attehtioa
de détruire les rats.
Ce qu’on vient de rapporter doit fuffire pour
donner une idée de la culture de la canne: d;f«ns
maintenant un mçt de fa récolte.
On coupe les cannes au bout de quatorze,
quinze , ou feize mois, en un mot toutes les fois
qu’elles font parvenues au point de maturité : car
il y a plus d’inconvénient de les couper trop vertes
qtie trop mûres. --
Si on laiflè trop mûrir ou pafler les cannes, le
fucre ne fe fait pas fi facilement, & n’eft point
I béau.
Dans les terres maigres & qui ont peu de fond ,
il faut replanter les cannes après la fécondé coupe :
mais elles fubfîftent vingt ans & plus dans les bons
terreins, les vieillesfouches pouffant jufqu’à quinze
tiges : on doit avoir foin de les réchauffer toutes
les fois qu’elles fo montrent trop hors de terre. '
Pour fe préparer à faire la récolte des cannes,
ôn arrache les lranes qui pourroient y être crues
depuis le dernier fàrclage ; quelque temps après oa
coupe les tiges des cannes avec une ferpe ; on le«
lie par bottes, & on les porte au moulin pour en
retirer le fuc le plus tôt qu’il eft poflible; car 011
éprouveront une perte confidérable, fi elles ve-
noiént à s’échauffer & à fermenter.
Les cannes coupées font portées en javelles ou
fagots par des boeufs jufques fur les bords des plantations
: là elles font chargées for des tombereaux
ou cabrouets qui n’entrent point dans la plantation
, pour éviter que les roues n’écrafent les rejetons
naiiîans.
Quand les cannes font cueillies, il faut en exprimer
le foc , ce qui s’exécute en les faifant
pafler entre de gros rouleaux ou cylindres de fer
q u i, par leurs révolutions engagent entr’eux ces
cannes, les brifenj & les preflent fortement dans