
S U C R E .
( Art du )
P ; , J - e r s ô 'n'n e b ignore que le fucre ell une fub£
tante folide, blanche, douce, agréable au goût ,
fort en ufage dans les offices , les cuifînes & même
én pharmacie pour la coif fe dio n des lirop.s & la
préparation de plhfieurs remèdes, Te difTolvant parfaitement
dans l ’eau , à Ikqùelle il donne une faveur
gradeulê fans lui communiquer ni couleur
ni odeur.
Suivant la définition des chimifles & particulièrement
de M. Macquer, le fucre eïl un fel elfen-
tief cryftalli fable, d’une laveur douce & agréable,
contenu plus ou moins abondamment dans beaucoup
d’efpëces de végétaux, mais dans la plupart
en t'op petite quantité , ou embarrafle de trop de
matières' étrangères, pour qu’on puiffe l’en retirer
avec profit.
La plante qui contient & qui fournit le plus
de ce fel eflentiel , eft une efpèce de rofeau qui
croît dans les pays chauds , & qu’on nohime canne
à fucre.
M. Düteône de la Couture, do fleur eh médecine,
aÏÏocié de la fotiété royale des- fciences & arts du
Cap-François, a publié en 17^0 m excellent traité
de la canne , où nous puiferons les connoil’ances
lés plus eflentielles, relativement à Part du fucre.
Eh ! quel guide plus sûr & plus inftruit pourrions-
nous cheifir d’après le rappoft & les fuffrages dès
commiliaires nommés par l ’academie des fciences
de Paris pour l’examen de cet ouvrage, ou l’auteur
a-réuni les recherches hiftoriques, la théorie de
l’art, une pratique raîfonnée ; & des vues infiniment
utiles &- fécondes.
lîifioîre de la canne.
L a canne, dit M. Dutrône, eft de tous les
Végétaux, celui qui par la nature 8c la richeffe de
fes produits, mérite le plus de fixer toute notre
attention. Mais avant de nous livrer à l ’étude de
cette plante, avant de nous occuper de la con-
noiflance des différens arts dont fes produits font
la matière & l ’objet, nous remonterons à Ibn origine
, & nous fuivrons fa marche dans l ’ancien &
«dans le nouveau monde.
C ’eft ddns les Indes Orientales que la canne
a pris naiflance; les-Chinois, dès la plus haute
antiquité, ont co'rinu Fa«*t de la cultiver 8c dven
extraire le fa c r e , production infiniment précreufe
qui a précédé cette plante en Europe de près de
deux mille ans.
Les Egyptiens, après Fétabliflèment de leur monarchie
, furent les premiers peuples qui firent
connoître i l’Europe les productions de 1 Orient.
Les Phéniciens, devenus maîtres de plufieurs ports
: dans la mer Rouge, enlevèrent aux Egyptiens k
commerce de l'Inde. .Bientôt Sidon & Tyr furent
les entrepôts d’une infinité de denrées jufqu’alqis
inconnues. La célébrité de ces villes éveilla l'ambition
de Salomon , & ce prince, voulant que lés
Jiiifs pniïent part au c mmerce de l’Inde avec le,s
Phéniciens, équipa dés flottés qui allèrent par Ta
mer Rouge a Tarfîs & a Opîur, d’ou elles revinrent
chargées de cargâifohs précieùles qui rép.m-
dirent la richeffe & la magnificence dans le royaume
dT raël. ( Kobertfdn ).
Alexandre le Grand, ayant fait la conquête de
Tyr & fournis 1 Egypte, enrichit fès peuples du
commerce d"S Phéniciens, particulièrement de
celui de l’Inde, en leur frayant une route par la
mer Rouge & le Nil. IL fonda à l’embouchure de
ce fleuve , une fuperbe ville qui fut depuis , par
fon commerce , aufîi célèbre qu’elle Fétoit alors
par le nom de fon fondateur.
Après- k conquête de 1-Afie, Alexandre fit rompre
lés cataractes de l’Euphrate & du Tigre , &
ouvrit'aux marchandifes d’O rient Une route que
ces fleuves avoient refufèe jufqu’alors.
Le goût des Romains pour les aromates & les
épiceries, donna au commerce de l ’Iude un ^nouveau
degré d’a&ivité & d’étendue ; les Grecs & les
Egyptiens le continuèrent fous l ’empice de ces pu i f
fans vainqueurs ;.leurs flottes pilotent s’app.rovrfion-
ner à Mufiris où les Indiens apportoienc leurs
marchandifes. , ^
La deflrudion de l’empire Romain rendit Canf-
tahtinople maîtreffe dé ce commerce , qu’elle fit
par l’Euphrate & le Tigre. Enfin les Soudans d’Egypte
le rétablirent par la mer Rouge , lorfqu’ils
permirent aux Italiens de venir négocier à Alexandrie.
Parmi les denrées d’Orient, le fucre pirdît avoir
été une des dernières connues,1 Lhtftoire des
c?ehs Egyptiens, des Phéniciens & dés Juifs, n’en
fait aucune mention Les médecins grecs font les
premiers qui en ay eut parléfbus le nom de fe l Indien.
A la dénomination de fel Indien , à la fàv’ur
douce & 'aux caractères que Diofcoride & Pline
a {lignent au fucre, il eft impoflible de ne pas re-
connoître le fucre candi de notre commerce. C ’é-
tort de l ’Inde & de l’Arabie que le lucre venoit
aux Grecs & aux Latin» ; mais ce n’étoit ni dans
l’Inde , ni dans l’Arabie qu’on cultivoit la canne ,
& quion fabriquoit le fucre.
La canne ne croifloit alors qu’ aux ifles de l’A rchipel
Indien , dans les royaumes de Bengale, de
S.iam, &c. , & le fucre qu’on en retiroit, pafïbit
avec les êpiceries'& les marchandifes des contrées
qui fe trouvent an-delà du Gange, défignées fous
le nom de grandes Indes.
La canne n’â pafle en Arable que dans le treizième
fîècle époque à laquelle les marchands commencèrent
à voyager dans les grandr-s Indes ; & a
aller acheter chez les indiens les1 denrées de leur
commerce.
Si la canne avbit exifté dans cette partie de l’A fie
qui eft en-deçà du Gange jufqti’à la Méditerranée,
fi elle avok exifté en Arabie, en Afrique, cette
plante qui croît aifément dans tous les pays chaud«,
qui fe reproduit fans cultufce , n’eut certainement
pas échappé aux divers peuples qui ont habité &
.parcouru toutes ces contrées1 ; fon lue-ell: trop agréable
au goût, pour qu’elle n’eût pas été connue &
recherchée avëc empreilement& par les hommes
& par les befliaux. •
Les Perles , les Egyptiens, les Phéniciens, les
Grecs qui ont parcouru une gran'dé partie de l’Afie
avec Alexandre , enfin les Juifs , lés Romains, les
Chrétiens, les Màhométan«, né font aucune mention
.de l'a canne avant l’époque où les marchands
commencèrent a voyager dans les Iiï'd'ec.
En apportaut le fb. re à Mufiris, à Ormus, &c.
les Indiens apprirent qu’on le retiroit'd’un rofeau.
Sut cette tradition, le* habit-an s de l’Afîe ( en-deçà
du Gange") cherchèrent, parmi leurs rofeau-x, s’ils
ifavoient point celui qui don'mit une. pr-oduétion
fi précisufe , & ils crurent l’avoir trouvé dans une
efpèce de bambou, qu’ ils nomment mambuy dont les
jeunes r-ejetto.ns font remplie d’un fuc très doux & très- ;
.agréable,, -
Les rejetons du mambu , apres trois ou quatre
ans, lailfent découler, vers les noeuds, un fuc.
concret, fpongieux , blanc & léger, dont la faveur
eft analogue à celle du fucre- ; ils le nommèrent
fuickar mambu , & le vendirent fous ce nom ,
& fous celui de tabaxir , lorfque le commerce de 1 Inde fut interrompu. Pifou rapporte que les propriétés
.médicinales du facchar mambu. le rendirent
ites.précieux & très-cher.
Les Arabes cherchèrent auflî le fucre dans les
plan1 es de leur pays, & iis nommèrent \uccar al-
hajfer \e fuc concret d’unè eff èce d’apocin connu
parmi eux, fous le nom d'alhujfar ou alhajjer.
Avicenne« a difliogué trois fortes de fiiçre. Le
7,uccar asundintum , qui eft le fel indien ou notre
fucre candi : le quecar mambu ou tabaxir des Perles
; & Je quccar alhajjer des Arabes.
Les opinions des auteurs des quatorzième & quinzième
fiècles fur F identité du fel indien avec le
fucre candi de notre commerce, ont été partagées^
& fortement- difeutees dans Un ouvsage latin
qui a pour titre : Maihioh Manardi EpifioU
Médicinales.
Quelques auteurs ont prétendu que le fucre de
Diofcoride & de Pline nedifféroit point de la manne;
d’auties Font confondu avec le tabaxir & lezuccar
alhaffer. Aujourd’hui que nous pouvons démontrer
que Fart du fuccrier , Fart du raffineur, & du con-
fifeur étoient 3 il y a quatre cents ans, à un très-
haut point de perfeâion dans les Indes, nous fom-
mes perfuadés que ces diverfès opinions ne trouveront
plus de partifans.
Les Indiens qui apportaient le fucre à Ormus ,
apprirent bien aux marchands qui achetoient leurs
denrées, qu’on le retiroit d’un rofeau ; mais cette
aliertion indéterminée & dénuée de déi ails circonfian-
ciés, foit fur. le rofeau, foit fur la manière d’en
retirer le fucre,.fit naître diverfes opinions, &
fur la- plante qui donnoit un produit fi extraordinaire
, & fur- le produit lui-même , qu’on jugea être
un-efpèce de miel , qui fe formoit fans le fecours ces
abeilles 3 on le regarda aufli comme une rofée du
ciel qui tomboit fut- les feuilles d’un rofeau; enfin
on imagina que c’étoit le fuc d’un rofeau concret
à la manière d? la gomme.
La crainte de perdre une branche de leur commerce
ne fut pas le feul motif qui empêcha les
Indiens d’apporter à Ormus le roi eau dont on retiroit
le fucre. La canne , comme canne, n’auroit
été pour des marchands qu’un objet de pure curio-
fîté , & conféquemment de nulle valeur 3 mais leurs
canots étant très-petit«, puifqu’ils n’étoient formés
que d'un feul tronc d’arbre , on concevra aifément
qu’ils ne dévoient fe charger que de marchandifes
du plus haut prix, fous le plus petit poids & le
plus petit volume. Le fucre n’avoit pas cet avantage
fur le pl s grand nombre de leurs ^marchandifes ,
-& la canne beaucoup moins encore que le fucre..
On ne doit donc pas être furpris fi, parmi les
denrées d’Orient, le fucre a été une des dernières
connues ; d’ailleurs, il n’étoit d’ufage qu’en médecine
, & quelque précieux qu’il fût fous ce rapport,
pouvoit-il entrer j en concurrence avec les objets
de luxe, tels q.ue les pierreries, les perles, les
paffums, les aromates i