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jeur j avec un rabeau, un demi quart d’heure environ
à chaque fois*
On appelle première eau celle qui refie dans le
canot de trempe après qu’on en a tiré la graine avec
des paniers.
Du canot de trempe la graine pafle dans le canot
de p ile , où elle eft pilée à force de bras avec de
forts pilons pendant un quart d’heure ou davantage,
enforte que toute la graine s’en fente.
Il faut que le canot de pile ait au moins quatre
pouces d’épaiffeur par le fond pour mieux foutenir
les coups de pilons.
On met de nouvelle eau lur la graine lorfqu’elle
eft pilée j qui doit y demeurer une ou deux heures ;
après quoi on la pafie au panier en la frottant
avec les mains , enfuite on la repile encore pour y
remettre l ’eau.
L’eau qui refie de ces deux façons fe nomme la
fécondé eau3 8c fe garde comme la première.
Après ce procédé on met la graine dans le canot
qu’on appelle canot a rejfüer, où elle doit refter
jufqu’à- ce qu’elle commence à moifîr ; c’eft-à-dire
près de huit jours: Pour qu’elle reflue mieux on
l ’enveloppe de feuilles de balifîer.
Lorfqu’elle a reflué on la pile de nouveau, &
en la laifle tremper fucceflivement dans deux eaux
gui s’appellent les troijièmes eaux.
Quelques-uns tâchent d’en tirer une quatrième
eau ; mais cette dernière eau n’a plus de force , &
peut tout au plus fervir à tremper d’autres graines.
Quand toutes les eaux font tirées on les pafie
Séparément dans un crible du pays, nommé Hébichet
ou Manaret, en mêlant un tiers de la première
avec la fécondé , & deux tiers avec la troifîème.
Le canot où fe paflènt les eaux s’appelle canot de
pafle ; & on appelle canot à laver un canot plein
d’eau, où ceux qui touchent les graines le lavent
les mains , & lavent aufïi les paniers , les hébichets,
les pilons , & autres infirumens qui fervent à faire
le rocou.
L ’eau de ce canot qui prend toujours quelque
împreffion de couléur , eft bonne à tremper les
graines.
L ’eau paflee deux Fois à l’hébichet le, met dans
imeouplufieurs chaudières de fer, fuivant la quantité
qu’on en a; & en l’y métrant elle fe pafle encore à
travers d’une toile claire & fouvent lavée.
Quand l’eau commence à écumer, ce qui arrive
prefque aufli-tôt qu’elle fent la chaleur du feu, on
enlève l ’écume qu’on met dans le canot aux écumes,
ee qu'on réitère jufqu’à ce qu’elle n’écume plus : fî
^lle écume trop vite on diminue le feu,.
L ’e&u qui refte dai>s les chaudières, quand l’écume
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en eft levée, n’eft plus propre qu!à tremper les
graines.
On appelle batterie une fécondé chaudière dans
laquelle on fait cuire les écumes pour les réduire
en confîftance, & faire là drogue qu’on nomme
rocou.
Il faut obferver de diminuer le feu à mefure
que les écumes montent, & qu’il y ait continuel-
1 lement un nègre à la batterie, qui ne cefîe prefque
point de les remuer, crainte que le rocou ne
s’attache au fond, ou au bord de la chaudière*
Quand le rocou faute & pétille, il faut encore
diminuer le feu , & quand il ne faute'plus, il
ne faut laifler que du charbon fous la batterie ,
& ne lui plus donner qu’un léger mouvement, ce
qu’on appelle verfer.
A mefure que le rocou s’épaiflit 8c fe forme en
mafle , il le faut tourner & retourner fouvènt dan«
la chaudière, diminuant peu-à-peu le feu afin qu’il
ne brûle pas ; ce qui eft une des principales circon£
tances de fa bonne fabrique , fa cuifîôn ne s’achevant
guère qu’en dix ou douze heures.
Pour connoître quand le rocou eft cuit, il faut
le toucher avec un doigt qu’on a auparavant
mouillé , & quand il n’y prend pas , fa cuifîon eft
finie.
En cet état, on le laifle un peu durcir dans la chaudière
àvec une chaleur très-modérée en le tournant
de temps en temps pour qu’il cuife & sèche
de tous côtés, enfuite de quoi on le tire; obfer-
vant de ne point mêler avec le bon rocou une
efpèce de gratin trop fec qui refte à fond & qui n’eft
bon qu’à repàfler avec de l ’eau & des'graines.
Le rocou au fortir de la batterie , ne doit pas d’abord
être formé en pain , mais ü faut le mettre fur
une planche en manière de mafle platte, 8c l’y
laifler refroidir huit ou dix heures, après quoi on
en fait des pains ; prenant foin que le nègre qui
le manie fe frotte auparavant légèrement les maifte
avec du beurre frais, ou du fain-doux , ou de
l’huile de palma-chrifti.
Les pains de rocou font ordinairement de deux
ou trois livres qu’on enveloppe dans des feuille«
de balifîer.
Le rocou diminue beaucoup, mais il a acquis
toute fa diminution en deux mois.
Quand on veut avoir de beau rocou, il faut
employer du rocou verd qu’on met tremper dans un
canot, aufïi tôt qu’on l’a cueilli de l ’arbre ; alors
fans le battre ni le piler , mais feulement en le
remuant un peu & en frottant les graines entre
les mains, on le pafle fur un autre canot.
Après cette -feule façon, ôn lève de deflus l’eau
une efpèce d’ écume qui fumage ; on la fait paflèc
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à force de la battre avec une efpèce de fpatule ,
fc finalement on la sèche à l ’ombre. Ce rocou eft
fort bon , mais on n’en fabrique que par curiofîté,
à caufe du peu de profit.
La manière de faire le rocou chez les caraïbes,
eft encore plus fîmple , car on fe contente d’en
prendre les graines au fortir de la gouffe & de les
frotter entre les mains , qu’on a auparavant trempées
dans de l’huile de carubaf.
Quand on voit que la pellicule incarnate s’ eft
détachée de la graine , 8c qu’elle eft réduite en
une bâte très-forte, on la racle de defius les mains
avec un couteau pour la faire fécher un peu à
l ’ombre ; après quoi, lorfqu’il y en a fuffifamment,
on en forme des pelotes groffes comme le poing,
qu’on enveloppe dans des feuilles de cachibôu.
C ’eft avec cette farte de rocou mêlé d’huile de
carubat, que les caraïbes fe peignent le corps,
foit pour l ’embellir j fbît pour fé garantir de l'ardeur
du foleil & de la piqûre des mouftiques ; ils
prétendent aufïi que cette efpèce d’enduit leur
bouche les pores de la peau, & empêche que l’eau
de la mer ne fafle trop d’impreflion fur leur corps
quand i ls ,y nagent.
Les caraïbes fe fervent encore -du rocou pour colorer
leur vaiflelle de terré; 8c ils mettent des
feuilles tendres du roucouyer dans leur». alimens
pour leur donner du goût, & leur communiquer une
couleur de fafran. .
Les ouvriers qui travaillent à préparer le rocou,
font incommodés de maux de tete qu’on peut attribuer
à l’odeur forte de la graine de rocou qui eft
encore exaltée davantage par les infufîons & les
macérations.
L a belle pâte de rocou devient dure en Europe,
& perd fon odeur, qui approche de celle de la
violette.
‘Celle de Cayenne eft eftimée la meilleure & la
mieux préparée ; les teinturiers s’en fervent pour
mettre en première couleur les laines qu’on veut
teindre en rouge , bleu , jaune , verd, &c.
Il eft peu de couleurs où on ne la faffe entrer :
quelques infulaires la' faifoient entrer dans la com-
pofition du chocolat.
Le rocou eft aufïi le contre-poifon du fuc de
magnoc, & on lui donne la vertu de fortifier l’ef-
tomac*
r o c 7 ;
Lcrfque le linge eft taché du rocou il eft difficile
d’en effacer là tache, fur-tout lorfqii’il y a eu du
mélange d’huile ; le foleil eft plus capable de
l’emporter que toutes les leflives ; & cette couleur
eft fi extenfîble, qu’un morceau de linge taché peut
gâter toute une leflive.
Il eft à propos d’obferver que quand la pâte
du rocou commence à fermenter, il eft alors
d’une puanteur infupportable. Son odeur agréable
ne fe fait fentir qu’après la fermentation.
On a obfervé que plus on travaille en grand le
rocou, plus fa couleur en eft vive; travaillé en
petit, il devient noir.
Le rocou eft pur & bien fait quand il fè diflout
entièrement dans l’çau , & qu’il n’y a point de
corps étrangers errans ni précipités, comme dans
le rocou-gigodaine, qui eft de mauvaife qualité ;
& plus encore dans celui qu’on appelle rocou-bal,
terme honnête de fabricant qui fîgnifie la paille
& le bled., parce qu’on s’eft fervi de vieilles &
de nouvelles graines, •& qu’on y a mêlé quelquefois
du rouge d’in de.
Le rocou, pour être de bonne qualité , doit être
couleur de feu, plus v if en dedans qu’en dehors ,
doux au toucher, d’une tonne confîftance 3 afin
qu’il foit marchand & de garde.
On donne à cette pâte la forme que l’on veut
avant de l ’envoyer en Europe. Elle eft ordinairement
en pains , enveloppés dans des feuilles de
balifîer.
L a pâte de rocou donne une couleur orangée,
prefque femblable à celle du fuftet, 8c aufïi peu
folide ; c’eft une des couleurs qu’on emploie dans
le petit, teint.
On fait difioudre le rocou pulvérifé , où on a
mis auparavant un poids égal de cendres gravelées,
& on y pafle enfuite F étoffe ; mais quoique ces
cendres contiennent un tartre vitriolé tout formé,
les parties colorantes du rocou -ne font pas apparemment
propres à s’y unir, & la couleur n’en eft
pas plus aflurée. On tenteroit même inutilement
de lui donner de la folidité en préparant l’étoffe
par le bouillon de tartre & d’alun;
On doit choifir le rocou le plus fèc & le plus
haut en couleur qu’il eft poflible, d’un rouge
ponceau, doux au toucher, facile à s’étendre;
& , quand on le rompt, d’une couleur- en dedans
plus vive qu’au dehors ; on l ’emploie quelquefois
pour donner de la couleur à la cire jaune.