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préfent pour venir au fecours des pauvres de cette
ville , a été de fournir de l ’ouvrage à ceux de ces
malheureux qui en manquoient. Un des membres
de cette fociété s’eft chargé de ce détail, & les
dames de charité de chaque paroiiïe l’ont fécondé
avec autant de zèie que d’intelligence.
Il réfulte du compte dès recettes & dépenfes
auxquelles cette manutention a donné lieu , que ,
fur 6000 livres que la maifon philantropique avoit
avancées pour l’achat des matières premières , &
pour payer les falaires des ouvrières , il lui eft
rentré cinq mil cinquante-fept liv. un fo l trois deniers ;
en forte qu’avec un lacrifice de n^uf cents quarante-
deux livres dix-huit fols neuf deniers , elle eft parvenue
à occuper utilement, & à faire fubfîfter
deux cents cinquante fileufes pendant onze mois ; ce
qui revient à trois livres quinze fols cinq deniers
pour chacune d’elles.
Si Vous comparez cette dépenfe avec celle
qu’exige la nourriture & l’entretien d’un pauvre
valide, dédudion faite du produit de fon travail,
foit en France, dans les hôpitaux & les dépôts de
mendicité, foit en Angleterre, dans les maifens
de travail, le réfultat de cette comparaifon vous
paroîtra incroyable : il le ferait, en effet, fi on
pouvoit douter de l’exaétitude des comptes qui
confiaient ces faits.
Cette même fociété d’Orléans a établi des écoles
de charité pour y former les enfans pauvres à
l ’ouvrage : les frais de cette efpèce d’édueation, à
laquelle trois cents de fes. enfans ont participé dans
le cours de l'année , ne fe font élevés qu’à
quinze cènts livres ; ce qui revient à cent fols pour
chaque enfant.
Il feroit fans doute difficile, dans un état monarchique
, que le gouvernement fe livrât, à tous les
détails d’une adminiftration de cette nature : fes
fuccès dépendent d’une furveillance habituelle,
dont les afiociations de bienfaifance ou les municipalités
font feules fufceptibles : les aumônes ne
font jamais plus abondantes ni plus fruétueufes, que
quand l ’emploi s’en fait par les mains même de
ceux qui les donnent : la douce fatisfaâion que
l ’on éprouve en verfant des fecours & des confo-
lations dans le fein d’une famille affligée, fait
naître le defir de la fecourir encore ; c’eft la certitude
du bien que produifent leurs aumônes qui
excite les philantropes, non-feulement a ies augmenter,
mais encore à rechercher tous les moyens
d’en perfectionner la répartition, afin d’y faire participer
un plus grand nombre de malheureux.
Lorfque la taxe perçue en Angleterre au profit
des pauvres a cefle d’être une contribution volontaire,
elle a perdu ce cara&ère de bienfaifance qui
pouvoit feul intérefler les contribuables à fuivre
l ’emploi de leurs fonds ; elle n’a plus été confédérée
dcs-Jors que comme un de ces impôts oné-
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reux, dont l'effet ordinaire eft d’exciter les murmures
de ceux qui les paient, & de leur infc
pirer , quant a l ’ufage que l’on peut faire de leur
produit, une infouciance qui fâvorife néceflaire-
ment leur extenfîon & leur accroiffement.
•Si, au lieu d’attribuer aux juges de paix le droit
de taxer les paroiffes, & de les forcer de pourvoir
a lafubfifiance des pauvres qu’ils leur adrefleroient,
les anglois avoient établi dans chaque ville , dans
le chçl lieu de chaque hundred, un comité com-
pofe d’un certain nombre de citoyens, nommés
tous les ^deux ou trois ans à la pluralité des
v o ix , qu’ils auroient conftitués, non les difpen-
fateurs des aumônes, mais les juges de la légi-
timitexdes caufes qui pouvoient conférer aux malheureux
le trifte droit de participer à leur diftribu-
£î?n ^ ^es f°n&i°ns des membres de ces comités
s’étoient bornées à prononcer fur les plaintes des
habitans des paroiffes contre les vagabonds & les
faineans , & fur celles des journaliers & ouvriers
contre les laboureurs & les manufacturiers ; fi ce
comité eût -été autorifé à envoyer en prifon, pour
y pafTer quelques mois au pain & à l’eau, le
fainéant accufé & convaincu d’avoir refufé le travail
lni aurait été offert ; fi , d’un autre côté, il luî
eût été permis de condamner le laboureur ou le
matiufadurier^ à payer une indemnité au journalier
ou à l’artifan régnicole, dans le cas où, pouvant
les occuper , & n’ayant aucun reproche à leur
faire, ils leur auroient néanmoins préféré des
ouvriers étrangers; il efi vraifemblable que ces
réglemens, bien établis & bien exécutés, n'auroient
laiffé à la charge des paroiffes que quelques
vieillards, des veuves ou des orphelins, au fou-
tien defquels la charité des paroiffiens auroit pourvu
fans l e fecours d’aucune taxe, fans l ’intervention
de l’autorité.
L a natiofi angloifè a donné, dans tous les temps,
trop de preuves de fon humanité, pour que l ’on
puilfe douter de fôn empreffement à venir au
fecours d’une famille privé? tout-à-coup, par l ’effet
du malheur des reflburces qui la faifoient fubfîfter :
le pafteur, dans ces circonfiances, provoque par
là foufcription celle de tous fes paroiffiens en état
de contribuer à cette bonne oeuvre ; & comme
c’eft une charge qu’ils s’impofent, chacun veille,
pour fon intérêt particulier, à ce que la famille
qui efi l ’objet du bienfait ne fe permette pas d’en
abufer.
1 Si on ajoutoit à ces mefures quelques gratifications
pour les journaliers & ouvriers qui fe feraient
diftingués pendant le cours de l ’année par leur
aétivité , pour les famillés Viombreufès & pauvres
qui fe feraient foutenues par leur travail, fans
avoir eu recours à la charité de la paroiffe, il efi
vraifemblable que, loin de gémir fous l ’énorme
fardeau des taxes impofées en faveur des pauvres,
les anglois jouiraient, à très - peu de frais, de
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la fatisfaétien d’exercer eux-mêmes leur bîenfai-
fance.
Ces moyens, auffi fimples qu’ils font faciles,
fur-tout dans un gouvernement public, auroient
peut-être eu plus de fuccès que tous fes facrifices
qu’ils ont faits & continuent de faire pour détruire
la mendicité.
M. Townfend allure que, quoiqu’il exiffe à
Cantorbery une maifon de travail pouvant contenir
deux cents pauvres, & quoique , depuis 1718,-
la taxe que paient en leur faveur les habitans de
cette ville fe foit élevée de 34 mille 997. livres
à 60 mille livres, les rues font remplies de men-
dians ; il ajoute, qu’ils fe montrent en auffi grand
nombre dans la cité de Wefiminfter, quoiqu’on y
lève des fommes tres-confidérables pour le foutien
des pauvres.
Un journalifte anglois obfërve à cet égard , « que
» quoique la maffe du produit de la taxe impofée
en leur faveur, tant en Angleterre que dans
» la p-incipauté de Galle';, excède le revenu de
» plufieurs fouverains de l’Europe ; & qu’indépen-
•» damment de ces fecours , les aumônes particu-
» lières foient encore très abondantes; la fîtuation
de ces malheureux n’eft fatisfaifante ni pour
» eux-mêmes, ni pour l’humanité ; d’où il réfulte
» qu'ils continuent d’êtye à charge à la fociété
» par leur parelfe , leur ivrognerie, leur liberti—
» nage & leur infolence. »
Gardons-nous donc d’adopter un régime dont
les inconvéniens fe multiplient chaque jour, &
qui, quoique loué en France, excite les réclamations
& les plaintes de la plus faine partie de la
nation angloifè.
N’échangeons pas la liberté, dont nous avons
joui jufques à préfent , de diriger nous - mêmes
l ’emploi des fonds que nous confacrons au foula-
gement des malheureux, contre les contraintes &
les vexations que néceffite la forme d’adminif-
tration adoptée par nos voifins; occupons-nous principalement
du foin de pourvoir à ce que le citoyen,
qui n’a reçu de fes parens que la faculté de travailler,
ne manque jamais des moyens qui lui font néceffaires
px)ur faire valoir ce patrimoine de la nature.
e L ’homme n’eft pas pauvre , dit Montefquîeu,
» parce qu’il n’a rien , mais parce qu’il ne travaille
» pas. » Ce n’eft point aggraver le fort des pauvres
que d’exiger qu’ils travaillent ; c’eft les inviter à
remplir leur vocation d’une manière qui leur eft
utile. « Salomon promet à l’homme laborieux des
récoltes abondantes; il prédit en même temps au
fainéant qu’il mourra dans la misère. L ’accable- '
ment , la faim & les rigueurs du froid font le prix
de l’oifiveté ; elle feule nous déshonore, & non pas
le travail, il nous rend au contraire plus chers
non-feulement aux- hommes., mais même à la
divinité , U multiplie les jouijfances des favoris de
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la fortune j il diftraît, il confole les malheureux"
qui gémiffent fous le poids de l’adverfîté. Sénecqué
compare aune mort anticipée l ’exiftence des hommes
qui ne confàcrent pas leurs loifirs aux lettres & à
l'étude ; ils reffemblent, difent Hcfiode & Platon ,
à ces frelons voraces & pareffeux, qui n’infpirent
que la haine. »
Dans tous les temps, chez,toutes les- nations,
le laboureur a â if , le fabricant,' l’artifte induftrieux
ont été récompenfés, encouragés & honorés; le
mépris , l’infamie , le bannifîement, l’efclavage,
& le dernier fupplice, ont été alternativement le
1 partage de ces vagabonds & de ces mendians oififs,
qui, voués à l’opprobre par leur vile profeffion , ne
peuvent plus être ramenés dans les fentiers de la
vertu.
Les loix d’Athènes exigeoient que les citoyens
valides rendiffent compte de l ’emploi de leur
temps ; elles condamnoient à mort celui qui ne
pouvoit pas prouver de quelle manière il pourvoyoit
à fa fubfîftance.
Cleanthes , que le defir de s’inftruire avoit conduit
dans cette v ille , y pafloit les journées entières
à écouter les leçons de Zenon : les aréopagites,
qui ne lui connoilfoient aucun moyen de fùbvenir
à fes befoins, & qui le voyoient, néanmoins , jouir
d’une bonne fanté, le citèrent à leur tribunal,
pour y déclarer quelles étoient les reflburces dont
il faifoit ufage pour fe procurer les objets de première
néceffite. Ce jeune philofophe fe juftifia,
en faifànt appeler quelques citoyens, qui atteftè-
rent qu’il employoit fes nuits à difterens travaux
pour eux, dont il reeevoit le falaire ; les magiftrats
louèrent fa conduite, & lui offrirent une gratification,
qu’il refufa.
» Il y a trois états dans la vie. qui font difpen-
» fés du travail;l’enfance, la maladie & l ’extrême
» vieilleiïè : le premier devoir du gouvernement
» eft de leur affinera tous les trois des afyles contre
» l ’indigence ; je ne dis pas feulement des afyles
» publics, triftes & pitoyables reflburces des \tieil-
» lards , des enfans , & des malades abandonnés
» mais des afyles domeftiques, c’eft-à-dire une
» honnête aifànce dans l’intérieur d’une famille
>5 laborieufe.
» Ces trois états exceptés, l’homme n’a droit de
» vivre J que du fruit de fes peines , & la fociété
» ne lui doit que les moyens de fubfîfter à ce prix :
» mais, ces moyens, elle les lui doit; ce n’eft pas
» afîèz dé dire au malheureux qui tend la main
» va travailler; il faut lui dire, viens travailler!
» A quoi, me dira-t-on ? .Quelles font les ref-
» fources pour occuper & nourrir cette foule d’iiom-
« mes oififs f Cette difficulté fera de quelque poids
« lorfque toutes les branches de l ’agriculture de
« l ’mduftrie & du commerce feront pleinement en
» vigueur, Si que dans les campagnes, dans les